C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
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GWYNETH JONES

Operatic Recital
Beethoven, Fidelio
Abscheulicher !

Cherubini, Medea
Dei tuoi figli la madre tu vedi

Wagner, Der fliegende Holländer
Johohoe !
Beethoven
Ah perfido !

Verdi, Il Trovatore
Vanne, lasciami... D'amor sull'ali rosee

Verdi, La Forza del Destino
Pace, pace moi Dio !

Wiener Staatsopernchor, Wiener Opernorchester
Argeo Quadri (mars 1966)

DECCA "Classic Recitals", 475 6412


Chaque maison de disques a aujourd'hui son label historique, son étiquette qui ressuscite les souvenirs poussiéreux des aficionados. Chaque écurie a aujourd'hui la collection ad hoc pour rendre au jour les premiers pas de ses poulains. Quand ladite maison est DECCA et que ses poulains ont pour nom Ghiaurov, Pavarotti, Sass, Jones, Suliotis ou Nilsson, les commissures des mélomanes s'humidifient, leurs yeux pétillent de souvenirs légendaires. La collection "Classic recitals" a connu des réussites incontournables (Suliotis) et d'autres moindres (Nilsson). Qu'en est-il du présent volume ?

Gwyneth Jones est de ces artistes qui ne peuvent susciter l'indifférence, qui déchaînent les passions. Rejetée en bloc ou adulée, la dame a fait l'une des plus belles carrières qui soient, polyvalente jusqu'à la nausée parfois, vrai tempérament et voix reconnaissable entre toutes (pour des raisons plus ou moins avouables il est vrai). Captée ici dans ses tendres années, point encore bayreuthienne mais déjà adoubée en Sieglinde, à Covent Garden par Solti, Jones propose l'un des récitals les plus excitants qui soient.

Gwyneth Jones, présence fauve dont le meilleur a été capté en live (sa Salome, ses Brünnhilde, son Hélène straussienne), semble ici curieusement peu inhibée par le studio, compensant par un investissement titanesque ce que le micro peut induire de froideur. On n'évoquera les défauts proverbiaux de la voix de l'artiste, ses vagues de vibrato en "ressac", son médium sinistré, les trous béants exposés par son legato, que pour dire qu'ici, par un saisissant effet de "souvenir" du futur ils sont tous présents, mais à un stade embryonnaire qui renforce le pouvoir de séduction de la voix. Il y a là une palpitation du timbre, une carnation tendue de l'instrument, une ligne très légèrement accidentée (c'est surtout le cas pour Médée), un registre médian très discrètement en creux qui rendent immédiatement sensible l'humanité de l'interprétation. Il y a là surtout une course en avant presque imprudente, une projection, une solidité des registres, une remarquable certitude de l'aigu (Fidelio, Ah ! perfido), une science du récitatif portés à un point culminant.

Il faut dire que l'on a rarement (à cette époque-là et maintenant encore) entendu de Ah ! perfido si incandescent, de Senta portée à un tel degré d'hallucination, de Médée suintant ainsi la douleur, la maternité bafouée, de Léonore (au pluriel) si investies, si épanouies dans la nuance. Jones en ces incarnations ne se compare guère qu'aux Callas, Silja, Gencer, Sass... autres électrons libres de la scène lyrique, autres empiriques de génie. Il y a même là un vrai absolu pour tous ceux qui n'entendent en Jones qu'une virago hululant, qu'une poissarde éructante: l'air du Trouvère verdien. La plénitude du timbre laisse pantois, mais peut-être pas autant que l'extrême distinction, le soin châtié porté au mot, à la ligne (mais à Covent Garden, Jones avait eu comme mentors dans ce rôle rien moins que Giulini et Visconti... ceci explique cela). Le legato une fois n'est pas coutume est à faire fondre, longue ligne en apesanteur, un souffle royal, couronnée d'aigus moelleux, apaisés, lumineux.

Un album historique de plein droit donc, et encore une réussite pour cette collection qui porte au sommet le travail éditorial de DECCA. A acheter sans tarder et à thésauriser.
  


Benoît BERGER




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