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Philippe BOESMANS (1936- )

JULIE


Opéra en un acte

Julie : Malena Ernman
Jean : Garry Magee
Kristin : Kerstin Avemo

Orchestre de chambre de la Monnaie de Bruxelles
Direction Kazushi Ono
Mise en scène Luc Bondy

Live juillet 2005 Aix-en-Provence

DVD Bel Air Classiques



Un chef d’œuvre, tout simplement.


Créée à Bruxelles en mars 2005, présentée au Festival d'Aix-en-Provence la même année, retransmise en direct sur une chaîne publique, publiée en CD (aux Editions Cyprès) et maintenant en DVD, la Julie de Philippe Boesmans ne pouvait trouver meilleurs soutiens pour accompagner sa diffusion. Ce chef-d'oeuvre en langue allemande, librement adapté de la pièce d'August Strindberg, Mademoiselle Julie, tient à la fois du théâtre (un implacable huis clos tenu par un trio sur la corde raide), du cinéma (un drame bergmanien étouffant, dans la plus pure tradition) et de l'opéra de chambre (à la manière de ceux composés par Benjamin Britten).

En accord avec le livret qui dépeint sans détour la chute annoncée d'une bourgeoise en souffrance qui perd la tête un soir de Saint-Jean, la musique de Boesmans est une merveille de densité, où cohabitent dans une même exaltation sonore, les pulsions les plus vives et le désenchantement le plus âpre. Envoûtante et trouble par son orientalisme revendiqué, la nervosité de ses accents obtenus d'un orchestre réduit (cordes, bois, cuivres, percussions, harpe et célesta) et la précision de son sous-texte psychologique, la partition est constamment mise en valeur par les soins du chef Kazushi Ono, qui se plait à souligner les névroses de chacun des personnages.

Le metteur en scène Luc Bondy, co-auteur du livret avec Marie-Louise Bischofberger, prend un plaisir évident à traiter ce sujet comme une tragédie moderne : unité de temps (une nuit, celle de la Saint-Jean où tout est permis et où le feu est censé tout purifier), de lieu (une cuisine au réalisme scrupuleux, conçue par Richard Peduzzi) et d’action (celle qui lie et se lie autour de trois personnages, une fille de famille et deux serviteurs), tous les éléments sont réunis pour conduire au drame. Sa direction d'acteurs qui privilégie le naturel jusqu'au prosaïsme, tout en dégageant la complexité des relations qu'entretiennent les protagonistes, est exemplaire. Ce travail au cordeau qui fait le prix de cette représentation est également dû à la réalisation de Vincent Bataillon, dont l'oeil aguerri ne laisse rien au hasard.

Malena Ernman, si décevante dans le répertoire baroque (Hercules de Händel par Bondy et Christie) est ici dans son univers, investie corps et âme dans un rôle-titre taillé à sa mesure. Tout d'abord séductrice, elle mène la danse de son timbre ferme et charpenté de mezzo clair, poussant le valet de son père dans ses bras, avec le fol espoir de fuir ; mais une fois la relation consommée, les rapports s'inversent et de dominante elle devient dominée. Sa voix se tarie, sa présence s'estompe et s'avouant finalement vaincue, elle se tranche la gorge avec le rasoir que Jean, dans une geste de pure provocation, lui a tendu. Magnifique composition. La baryton Garry Magee (Jean), est lui aussi exceptionnel, monstre froid qui joue sur tous les tableaux et profite avec un profond cynisme des excès de la maîtresse de maison, tout en se réservant les faveurs de Kristin, interprétée avec une grande justesse par la juvénile Kerstin Avemo, qui laisse passer dans sa voix transparente et haut perché, le soleil du matin, selon le souhait du compositeur.

Un ouvrage qui, après Reigen et Le Conte d'hiver confirme la suprématie de Boesmans dans ce genre musical fragile.


François LESUEUR


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