C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
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Jonathan LEMALU

OPERA ARIAS

Mozart - Don Giovanni - "Madamina, il catalogo..." (Leporello)
Tchaikovsky - Eugene Onegin - "Lyubvi vsye vozrasti pokorni" (Prince Gremin)
Rossini - Il barbiere di Siviglia - "La calunnia è un venticello" (Basilio)
Rossini - Il barbiere di Siviglia - "A un dottor della mia sorte" (Bartolo)
Mozart - Le nozze di Figaro - "La vendetta" (Bartolo)
Mozart - Le nozze di Figaro - "Non più andrai" (Figaro)
Mozart - Le nozze di Figaro - "Hai già vinta la causa" (Almaviva)
Gounod - Faust - "Vous qui faites l'endormie" (Méphisto)
Boito - Mefistofele - "Son lo spirito che nega" (Mephisto)
Mozart - Die Zauberflöte - "Der Vogelfänger bin ich ja" (Papageno)
Mozart - Die Zauberflöte - "Ein Mädchen oder Weibchen" (Papageno)
Verdi - Falstaff - "Ehi ! Paggio... L'onore ! Ladri..." (Sir John Falstaff)
Wagner - Der fliegende Holländer - "Die Frist ist um" (Holländer)

Jonathan Lemalu, baryton-basse
New Zealand Symphony Orchestra
Direction James Judd

Enregistré du 4 au 8 octobre 2004 à Wellington (Nouvelle-Zélande)

1CD EMI 5 57605 2. 64'30"
Co-production avec le New Zealand Symphony Orchestra


Un essai à transformer
 

Trois ans après son premier récital enregistré chez EMI et consacré à un programme de mélodies de Brahms, Schubert et Fauré (1), Jonathan Lemalu récidive, fort désormais d'un contrat d'exclusivité de trois ans, signé le 15 juillet dernier, qui nous promet au moins un CD par an. Bref, si vous ne connaissez pas Jonathan Lemalu, EMI s'arrangera pour combler cette lacune. Essayons de prendre un peu d'avance !

Le jeune homme, classe 1976, est originaire de Nouvelle-Zélande et ses racines sont plus précisément au Samoa. Outre le goût pour la musique, qu'il pratique dès le plus jeune âge dans le choeur de sa ville natale, Jonathan Fa'afetai ("merci" en samoan) Lemalu avoue volontiers sa foi ainsi qu'une passion pour le rugby... et des affinités pour le droit, matière dans laquelle il obtint un diplôme à l'université d'Otago, avant de s'engager sérieusement dans la carrière, la vraie, celle de la musique (2).

Dans ce domaine, tout est allé assez vite, sous la tutelle de son professeur Honor Mc Kellar : à 18 ans, il gagne sa première compétition au concours de Dunedin et multiplie les succès, en Nouvelle Zélande puis en Europe. Sa biographie officielle indique qu'il a gagné pas moins de 14 concours en Grande Bretagne, en sus des concours océaniens ("Otago Daily Times Aria contest" en 1996 puis le "Mobil Song Quest" en 1998, année de ses débuts au pays dans Colline de La Bohème). Vainqueur du Prix Kathleen Ferrier en 2002, il a ensuite multiplié les apparitions en concert et en récital (avec Malcolm Martineau), en Europe ou aux Etats-Unis avant de décider, en 2002, de compléter sa formation au London's Royal College of Music, avec Vera Rozsa. Les engagements prestigieux ont suivi, notamment à Glyndebourne (Papageno), à Covent Garden (Colline), à Chicago (Papageno) et au Met (Masetto). L'opéra d'Etat de Bavière en a fait une de ses recrues favorites (Figaro, Saul, Jack Wallace de la Fanciulla, Leporello, Argante de Rinaldo).
 

Pour un jeune artiste déjà expérimenté, le programme du présent disque pourrait presque surprendre : il s'agit en réalité d'une sorte de "carte de visite musicale" présentant au public l'étendue du répertoire, actuel et futur, de ce baryton-basse, accompagné d'un orchestre bien connu de lui : le New Zealand Symphony Orchestra, dirigé par James Judd, qui a co-produit le disque. Avant même d'insérer la galette argentée dans le lecteur, les interrogations ne manquent pas : qu'y a-t-il de commun au Prince Gremin et à Papageno ? à Mephistopheles et à Bartolo, du moins celui de Rossini ? Lemalu en construisant le programme s'est peut-être ingénié à brouiller les pistes. Mais le destin du baryton-basse n'est pas, nous semble-t-il, d'errer ainsi dans des contrées mal identifiées, tel le Hollandais maudit qui conclut le programme, de belle manière au demeurant. Voyons le détail.

Le joli bébé néo-zélandais emporte la conviction par un air du catalogue fort bien emmené. Très expressif, dans le respect de la ligne mozartienne et de la prosodie, Lemalu paraît très à l'aise et donne envie de le voir sur scène (3). La tonalité change avec l'air du Prince Gremin qui lui pose de sérieux problèmes de registre, notamment dans la descente finale. Certes, la musicalité y est mais dès la plage 2 du CD, on devine que le programme aurait pu faire l'économie de certains détours curieux. Les six plages suivantes sont un tour de force puisque Lemalu aborde 5 personnages de deux opéras différents. De belles réussites avec Figaro (4), le "Non più andrai" correspondant exactement à sa tessiture et à sa vocalité. Dans une moindre mesure, l'air de l'acte III du Comte Almaviva lui convient également, même si le récitatif pourrait être plus joué et si la partie d'agilité le trouve en difficulté. Du côté de Rossini, le rapprochement de l'air de la calomnie et de l'air de Bartolo ("A un dottor della mia sorte") réserve une impression contrastée. La personnalité de Lemalu, que l'on devine expansive et enjouée, semble mieux convenir au baryton basse buffo type qu'est Bartolo qu'à Basilio, déjà incarné à l'English national opera. Toutefois, en tuteur de Rosine, Lemalu ne convainc pas : manquant de vis comica, presque monotone, il est surtout en sérieuse difficulté dans la partie rapide. N'est pas Enzo Dara qui veut. Les paroles deviennent incompréhensibles et révèlent un sérieux problème de prononciation sur les "r" de l'allitération ("non servono le smorfie, gaccia pur la gatta morta") qui, prononcés à l'anglo-saxonne, disparaissent tous dans un magma sans forme. La calomnie en revanche est bien chantée, même si là n'est sans doute pas l'avenir du jeune chanteur.

La douche écossaise auditive continue, avec deux Méphisto, celui de Gounod (Sérénade) et celui de Boito aux caractéristiques proches : deux airs bien caractérisés et très bien chantés, le premier dans un français tout à fait honorable. Mais ces diables manquent de noirceur, notamment dans les rires graves qui concluent l'air de Faust. Pour l'anecdote, à propos de Mefistofele, Lemalu confie dans la notice du CD qu'il est incapable... de siffler avec ses doigts et qu'un musicien de l'orchestre a joué les doublures.

Papageno, Lemalu l'incarnera dans quelques jours, en décembre 2005, sur scène à Chicago. Sans nul doute, sa verve et sa présence scénique y feront merveille. Au disque, les deux airs restent très sages, et bien chantés, même si le chasseur d'oiseaux est, pour nous, un baryton au timbre plus clair. Relevons aussi, pour les pinailleurs, un deuxième défaut de prononciation, cette fois-ci sur les "-ich" allemands, prononcés à la néerlandaise, de manière excessivement gutturale.

Nouveau changement d'atmosphère avec la fin de l'acte I du Falstaff de Verdi. Ici, comme dans le Bartolo, d'une certaine manière, c'est un manque "d'italianité" que l'on peut déplorer. Certes, Sir John n'est pas un nobliau d'une cour italienne, mais un lord de sa Majesté. Cependant, dans la conclusion très rythmique de l'acte, il manque je-ne-sais-quel grain de folie. Pour conclure le disque, le long monologue du Hollandais laisse deviner de belles qualités qui ne demandent qu'à s'épanouir.

Au total, voilà une jolie carte de visite, fort sympathique, qui donne envie d'entendre sur scène ce jeune artiste... et qui laisse surtout espérer des disques plus accomplis.
 

Jean-Philippe THIELLAY


Notes

(1) B0000647IW, disque récompensé par un Gramophone Award for Best Debut of the year. Le nouvel opus, au titre mielleux ("Love blowes as the wind blowes") et consacré à des mélodies anglaises, vient de sortir.

(2) Pour plus d'informations, on se reportera au très complet site internet personnel www.jonathanlemalu.com et à ses abondantes photos qui, à côté de la soeurette, de papa et maman et même de quelques All Blacks, ne laissent rien ignorer de la vie animée du jeune Jonathan depuis... ses premières heures passées en couveuse !

(3) Il a déjà incarné Leporello sous la direction de Sir Colin Davis pour le London Royal School's Opera et reprendra le rôle en janvier 2006 à l'Opéra d'Etat de Bavière.

(4) Egalement prévu au programme de Munich en février prochain.
 



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