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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

LUCIO SILLA

Lucio Silla, Roberto Sacca
Giunia, Annick Massis
Cecilio, Monica Bacelli
Lucio Cinna, Veronica Cangemi
Celia, Julia Kleiter
Aufidio, Stefano Ferrari

Coro del Teatro la Fenice
Orchestra del Teatro la Fenice
Tomas Netopil

Mise en scène, Jürgen Flimm
Décors, Christian Bussmann
Costumes, Birgit Hutter
Chorégraphie, Catharina Lühr

2 DVD Deutsche Grammophon, 00440 073 4226
(série M22)




La volupté coupable de se vautrer dans l’ignominie



Ce fut la grande affaire du carnaval milanais de 1773 : après Mitridate, Mozart revenait au serio. Cinq heure et demi de spectacle ; la De Amicis et Rauzzini en primo uomo ; amour, haine, vengeance, trahison. Tout un programme.

Ce fut la grande affaire lyrique de 2006 : le festival de Salzbourg reprenait en scène l’intégralité de l’œuvre lyrique de Mozart. Nom de code : M22. L’intégrale, donc Lucio Silla. Deux heures et demi de musique, cette fois (coupures obligent) ; Massis, Bacelli et Cangemi (rien moins !) pour le duel vocal ; amour, haine, vengeance etc…

Sur la scène salzbourgeoise, en 2006, il y avait du sang sur les murs. Flimm, pessimiste, a voulu clôre sur un meurtre, là où les Lumières avaient préféré la bienveillance d’un lieto fine. Flimm est allé très loin ; Flimm est allé au-delà de ce que la post-modernité de façade affichée (assumée) de sa mise en scène pouvait laisser attendre (craindre ?).

D’où me vient alors cette pensée récurrente qui me ramène vers Ponnelle ? De l’arc palladien ? De certains costumes ? Du jeu de scène avec ses regards outrés et sa gestique volubile entre grandiloquence et hystérie ?

Ponnelle peut-être. Pourquoi pas, d’ailleurs ? Mais Ponnelle sous acides ! Un autre Mitridate. Mais un Mitridate atomisé, destructuré ! Ponnelle, trop cornélien, n’aurait pas montré, lui, le viol de Giunia (la scène est violente, vraiment). Il n’aurait pas su, non plus, décanter l’esthétique des Lumières ; il n’aurait pas su la métisser comme Flimm.

Et le tout est si bien éclairé. Et Flimm tire tant de chacun ; de chaque chanteur et de chaque corps. Quelle grammaire il leur invente ! Et comme cela est très bien filmé (les contre-champs du crudel periglio de Giunia)…

Très bien filmé et musicalement très probant. Pas beau ; jamais léché ; mais intense. Avec une direction plus proche (et même plus jusqu’au-boutiste) de Harnoncourt que de Hager. Une direction qui s’alanguit peu (malgré l’éclairage sépulcral jeté sur le Fra i pensier più funesti di morte de Giunia) et bouscule souvent ses chanteurs, les remue et perturbe la virtuosité de leurs traits. Netopil et les forces de la Fenice c’est tout cela et plus encore. Du drame ; du drame avant tout ; franchement à la hauteur du propos.

A la hauteur comme peuvent l’être les voix. A leur manière bien-sûr ; et sans être par trop vétilleux (Bacelli est un peu haute d’intonation pour son improvviso tremito et Cangemi un peu anarchique dans la fureur du fortunato istante). Mais cela compte-t-il ? On s’en fiche, on adhère ! On adhère au chant brut, brutal, scandé de Sacca (pas tellement plus idiomatique que Schreier mais avec un tel surcroît d’italianità) ; on adhère à son tyran violent, si répulsif qu’il crève l’écran. On y adhère comme on adhère à la Giunia de Massis. Elle, a plus de joliesse dans le timbre. Plus Auger que Gruberova (pour voir du côté des autres « officielles ») en somme. Moins technicienne, aussi, que ces dernières (Grubi, en live aussi, tenait toute la vocalise de l’enivrant crudel periglio, d’une seule respiration). Moins technicienne, peut-être mais tellement incarnée ! A elle la palme du martyre… Et pas seulement pour avoir été exposée au torse velu de son Sacca de tortionnaire ! Portrait abyssal…

Excellent départ pour le M22 !


 
Benoît BERGER

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