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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

MITRIDATE

Mitridate, Gösta Winbergh
Aspasia, Yvonne Kenny
Sifare, Ann Murray
Farnace, Anne Gjevang
Ismene, Joan Rodgers
Marzio, Peter Straka
Arbate, Massimiliano Roncato

Concentus Musicus Wien
Nikolaus Harnoncourt

Mise en scène et Réalisation, Jean-Pierre Ponnelle
Costumes, Pet Halmen

1 DVD Deutsche Grammophon, 00440 073 4127




Ouah !!!

Attention, chef-d’œuvre ! On en connaissait l’existence ! On le rêvait ! Deutsche Grammophon nous le rend donc enfin, ce Mitridate fantasmé, sublimé, paré de tous les tons de ses costumes incroyables, bigarrés, éclairé nous disait-on des couleurs les plus impalpables (et c’est vrai… Voyez le crépuscule du dernier récitatif), plongé dans les ombres d’un XVIIIème siècle comme seul Kubrick avait osé l’imaginer pour son Barry Lyndon ! Voilà du bon, du vrai travail éditorial… Félicitations à DG… Mieux : merci !

Etonnant film que voici. Raccourci par tous les bouts (des airs tombent, des récitatifs aussi, des reprises souvent, bref des pans de musique entiers) mais porté au triomphe par une équipe comme en voit peu… comme on n’en voit plus ! Ecoutez après cette version celle de Rousset, vous aurez beau, comme moi, l’adorer, elle vous paraîtra ou bien froide, ou bien terne, ou bien pompeuse, ou bien les trois à la fois. Je ne connais guère que le live hautement politiquement incorrect de Hager à Salzbourg qui fasse le poids ici… et encore est-ce l’affaire des chanteurs plus que du chef.

Mais qu’a-t-il donc de si exceptionnel ce Mitridate ? Une imagerie, d’abord, qui ressuscite, réinvente les fastes du baroque italien. Le décor en est simple, génialement, grandiosement univoque : le Teatro Olimpico de Vicence. Point besoin d’accessoires dans ces conditions, la gigantesque minéralité du lieu fait tout. Il y a là une grandeur qui en impose. A la fois palais, temple, autel, démultiplié par la caméra, scruté jusqu’à la moindre base de colonne, c’est un régal, tout simplement. Mais là où Ponnelle réalise un coup de maître c’est que ces fastes-mêmes ne créent jamais l’oppression d’une « sur-décoration » alla Zeffirelli, l’oppression d’un trop-plein d’images ! Non ! Même la naïveté des toiles peintes du début vaut pour sa valeur de concept, pour sa dimension quasi-archéologique. Génial, je vous dis !

Mieux encore, le metteur en scène sait jouer de toutes les ressources de sa caméra pour dynamiser le propos, éviter l’enlisement de la re-création, la froideur de la pièce de musée. En cela il suit la même pente qu’Harnoncourt et l’on comprend mieux que ces deux-là aient tant travaillé ensemble. La direction d’acteur est traquée dans ses moindres recoins par le penseur/réalisateur. Incroyable la contre plongée du début aux pieds d’Aspasie, ainsi statufiée ! Absolument folle la course de cette caméra « brouillonne » qui suit la décomposition de Sifare à la ridule près (Se il rigor d’ingrata sorte). Et que dire de l’intrusion presque violente, voyeuriste dans les tourments d’Aspasie (Nel sen mi palpita) ?

Le chef est à l’unisson, nous l’avons dit (à moins que ce soit le metteur en scène…). Harnoncourt prend cette musique « de jeunesse » (on a peine à le croire) à bras-le-corps, la brutalise, la violente (le début du dernier récitatif, Figlio non piu), la viole presque pour en extraire des trésors d’intensité dramatique, des rugosités insoupçonnées, des couleurs fauves, burinées. Incroyable encore ! Dès l’ouverture c’est un torrent de lave qui nous emporte, un courant brûlant, incandescent, une lame de fonds charriant toutes les scories d’un orchestre acide mais superbe. A ce jeu-ci, toute la partition passera au filtre d’un épisme gigantesque ; même l’introduction du duo Aspasie/Sifare au II suintera le drame, la passion… même les airs d’Ismene, par ailleurs si pauvres, convenus !

Que dire des chanteurs ? Qu’ils sont tous à leur manière imparfaits ; ou bien bruyants, ou bien en délicatesse avec la justesse… Mais qu’il est vain ici de chercher la propreté du discours bien mené. C’est la seule ressource qu’il reste aux productions médiocres ; laissons-la-leur ! Qu’importe que Murray soit si acide et Gjevang si tubée, la voix retenue quelque part entre le larynx et les joues. Qu’importe que Winbergh hurle des aigus tout sauf orthodoxes (son Vado incontro al fato estremo est assez indescriptible, innommable… Avis aux phoniatres chevronnés !)… Jamais le drame n’aura été aussi prégnant, virulent et par-là même virtuose, grand.

Mais surtout ce disque propose une interprétation incontournable, une interprétation avec un grand « I » qui renvoie dans les cordes toutes les Aspasie passées, présentes et oblitère sans doute durablement la carrière de celles à venir. Car Yvonne Kenny EST Aspasie, tout simplement et sans qu’il soit besoin d’en dire plus. Elle l’est jusqu’au bout des ongles avec sa voix puissante, sombre, et cette virtuosité empirique mais sanguine que l’on connaît depuis son Lucio Silla et son Enlèvement avec le même chef. C’est à la fois brillamment personnel, humain, incarné… Je ne vois guère que Moser (chez Hager en live) à laquelle elle puisse être comparée. Comme elle, elle est femme, femme aimante et souffrante, tragédienne outragée. Comme elle, elle porte son cœur au creux du larynx. Comme elle, elle sait ce que veut dire un chant imprégné de chair. Comme elle, enfin, elle peut toucher à l’hystérie sans être ridicule, dansant sur les marges d’un gouffre de passions sans jamais sombrer. Ma-gis-tral !

Mais ne m’écoutez pas. Aucun mot, jamais, ne rendra la grandeur de cette production, qui est plus que du théâtre, plus que de la musique, plus qu’un opéra, puiqu’elle est tout cela à la fois et plus encore. Jetez-vous sur ce produit. Regardez, écoutez… Mieux, entendez ! Entendez ce que personne ne vous avait jamais fait entendre dans cette œuvre. Ouvrez vos oreilles, vos yeux, votre cœur surtout ! De l’amour, de la mort aussi, des sentiments purs, violents, une humanité tragique et puissante, c’est tout Mozart que ce coffret recèle ! Qu’est-ce que vous faites encore là ? Vite !


   Benoît BERGER

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