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W.A. MOZART

LE NOZZE DI FIGARO

Il Conte : Ingvar Wixell
La Contessa : Claire Watson
Susanna : Reri Grist
Figaro : Walter Berry
Basilio : David Thaw
Bartolo : Zoltan Kelemen
Marcellina : Margarethe Bence
Cherubino : Edith Mathis
Antonio : Klaus Hirte
Barbarina : Deirdre Aselford
Don Curzio : Alfred Pfeifle

Chor der Wiener Staatsoper
Wiener Philarmoniker

Karl Böhm

Mise en scène Günther Rennert

2 DVD TDK(DV-CLOPNDF)


Alors que dans les plus hautes sphères de la politique on s'attache à réformer les règles du divorce, du côté des maisons de disques, l'heure semble être aux Noces. Faut-il récapituler la belle floraison de folles journées mozartiennes à laquelle nous assistons actuellement ? Contentons-nous de rappeler la sortie presque concomitante de cette version Böhm et du studio de René Jacobs. Le mélomane nietzschéen aura beau jeu de gloser sur les mérites comparés du dionysiaque René et de l'apollinien Karl ! Et si, après tout, les deux étaient exactement complémentaires ?

Les deux DVD édités par TDK nous projettent en un éclair à la belle époque du festival de Salzbourg, assis au premier rang du kleines Festspielhaus parmi les froissements de soie, les pierreries et les effluves du gotha festivalier. Sur scène, une de ces succulentes bonbonnières rococo dont l'Autriche, seule, a le secret. Aucun rouleau ne manque aux perruques du Comte, de Chérubin et de Bartolo, aucun volant non plus à la robe de Susanne, et les paniers de la robe de cour dans laquelle semble vaguement empêtrée la Comtesse, ont tous deux la taille réglementaire qui sied à une grande aristocrate. Chacun est maquillé comme au Grand Guignol (Ah ! l'incroyable Marcelline "sapritchesque" qui guette Susanne d'un oeil noir et rond de corbeau, drapée dans la dignité de sa mantille) et pourtant on y croit, et l'on rit de bon coeur, à l'instar du public... Quarante ans presque, après son enregistrement, il émane de ce spectacle une fraîcheur, un merveilleux sentiment de troupe unie. Tous les chanteurs se connaissent, chacun a mémorisé depuis longtemps son "petit Wolfgang illustré" sur le bout des doigts, et tout ce petit monde s'ébat sur scène avec cette imperceptible raideur des gestes et ces oeillades appuyées qui sont à l'opéra ce que la Sachertochte est à la pâtisserie, un petit écoeurement pour le sentiment de goûter à la légende.

C'est que dans la fosse officie un mozartien unique, Karl Böhm en personne et l'aura miraculeuse qui reste attachée à sa battue. Il faut voir le regard presque effrayé de Marcelline, rivé au bout de sa baguette de doux tyran pour ne pas perdre le rythme du sextuor. Il faut voir aussi cette stature inflexible qui sculpte le son d'une ondulation de baguette et qui tire des Wiener Philarmoniker la plus belle trame qui soit pour Mozart, celle d'un orchestre qui tutoie la scène, avec souplesse toujours, humour aussi, tendresse parfois, aux pieds de la comtesse surtout, mystère pour Susanne sous les marronniers, avec ce sens imperturbable de la rigueur, et ce débraillé chic d'une formation d'exception qui s'encanaille dans la chaleur estivale que seul Vienne, alors, offrait.

Sur scène, c'est la routine interchangeable des soirées de répertoire de la Staatsoper qui s'expose en majesté. Un petit jeu pour le mélomane facétieux: substituer les personnages à ceux du Chevalier à la Rose, le résultat est éloquent quant au métier solide des protagonistes. Mais retrouver la routine de ce Salzbourg-là est un régal.

La Comtesse de Watson, venant, dans ces années, après celles de Schwarzkopf et de Güden, ne peut prétendre au rang de ses devancières, ni à leurs miroitements scintillants. Elle a beaucoup de métal dans la voix, pourtant. Plus d'airain que d'or, en fait, une technique solide et une belle endurance qui, en plein troisième acte, lui permet la reprise sur un souffle impalpable d'un Dove sono qui bascule dans l'éternité. Le personnage lui-même est esquissé à grands coups de sanguine, et le port altier est celui d'une grande dame, ce qui est déjà beaucoup. Reri Grist non plus n'a ni le fruité ni l'italianita qui feraient d'elle une Susanne orthodoxe. C'est un mignon feu follet qui dessine ses airs à la pointe sèche et irradie la scène, qui vacille un peu aussi sous l'effort, n'évite pas de petits décalages, mais qui, avec sa voix en tête d'aiguille, crée une soubrette de chair et de sang, au coeur grand ouvert vers le public qui ne s'y trompe pas.

Idoine, le Chérubin de Mathis laisse pantois. Silhouette idéalement androgyne d'adolescent à la fois empoté et palpitant, la voix est celle d'un vrai soprano, au grave moelleux, à l'aigu rayonnant, à l'éloquence suprême qui laisse un sillon d'argent dans l'air. La Marcelline de Bence, au timbre copieusement nourri de mezzo, à peine encombrée d'un aigu un peu lourd, promène avec talent sur scène sa stature de duègne revêche qui s'éveille à la maternité d'acte en acte, et finit par jeter un oeil simplement tendre sur la Barbarina d'Aselford, laquelle détaille avec délicatesse son seul petit air.

Les hommes ne sont pas en reste, avec le Figaro goguenard de Walter Berry, sa verve légendaire, ses pitreries aussi quand il s'agit d'envoyer Chérubin à la guerre, son timbre cuivré, rougeoyant de baryton-basse modelé, martelé presque, en artiste. Avec son aisance parfaite de boute-en-train vétéran, déjà, de la scène salzbourgeoise, il réserve des moments uniques et inestimables.

Le Comte de Wixell n'a pas, lui, cette qualité textuelle propre à Fischer-Dieskau.  Ce dernier imposait, quelques dix ans plus tôt et avec le même Böhm, l'image d'un aristocrate insinuant, jouisseur et autoritaire, avec des finesses de spirite qui entrevoit la fin d'un monde. Wixell campe pourtant avec un aplomb impressionnant un hobereau psychorigide pénétré du respect du à son sang, à l'allure grandiloquente de viveur impénitent qui exerce avec faste son droit de cuissage. Sa seule philosophie semble devoir tenir dans son carnet de chasse, mais il l'exprime avec un timbre d'un velouté sombre, d'un rayonnement tranchant aussi, et des couleurs de rubis incarnat.

Autour, Bartolo malgré sa redingote, sa perruque et ses souliers à boucles, a définitivement l'éloquence d'un Alberich égaré dans l'alcôve de la Comtesse, cherchant les filles du Rhin au fond du Danube. Les ténors qui n'ont pas été gâtés par Mozart affichent une communauté de timbres, verts, acides, mais toujours ce sens imperturbable du mot qui esquisse des conspirateurs de boudoir délicieux, quand bien même la rythmique est bousculée et la pure séduction vocale oubliée dans la loge.

Mémorable soirée donc, menée avec un juste sens du théâtre jusqu'au final trépidant, virevoltant, arraché à des gosiers qui n'ont jamais été aussi bien malmenés... Les masques tombent dans un prestissimo qui entraîne tout sur son passage, avec la verve simple d'une troupe formée à une même conception de l'opéra. On pourra trouver cet apparat un peu suranné, à l'image du clavecin aigre qui officie dans les récitatifs. Mais l'ensemble est finalement simplement délectable, et cache sous ses apprêts de crème fouettée les délicatesses du plus fin des mets.
 
 

Benoît BERGER


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