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Ad Vesperas Sancti Iacobi
Codex Calixtinus - 12ème siècle

Ensemble Organum
Direction : Marcel Pérès

Voix : 
Jean-Christophe Candau
Jérôme Casalonga
Gianni de Gennaro
Jean-Etienne Langianni
Marcel Pérès
Antoine Sicot
Frédéric Tavernier
Luc Terrieux

Les Vêpres de Saint-Jacques de Compostelle

1. Hymnus peregrinorum : Dum pater familias
2. Conductus processionis : Resonet nostra domino caterva
3. Antiphona : Ad sepulcrum beati Iacobi
Psalmus : Laudate pueri dominum
4. Antiphona : O quanta sanctitate et gracia
Psalmus : Laudate dominum omnes gentes
5. Antiphona : Gaudeat plebs gallecianorum
Psalmus : Lauda anima mea dominum
6. Antiphona : Sanctissime apostole Iacobe
Psalmus : Laudate dominum quoniam bonus est psalmus
7. Antiphona : Jacobe sevorum spes
Psalmus : Lauda Ierusalem dominum
8. Responsorium in organo : Dum eseet salvator in monte
9. Hymnus : Felix per omnes dei plebs
10. Antiphona ad magnificat : O lux et decus Hyspanie
11. Benedictus Domino
Deo Gratia
12. Conductus : Congaudeant catholici

Durée totale : 78'27''
Réf. CD : AMB 9966 (Ambroisie)
Enregistrement : Monastère Sancta Maria, Irache (Espagne) 
mai 2004


Marcel Pérès, fondateur et chef de l'ensemble Organum depuis 1982, est devenu en France l'une des personnalités incontournables de le domaine de la musique médiévale. Sa riche production discographique, qui couvre plus de mille ans de musique, l'a rendu célèbre, en bien ou en mal. Il peut être considéré comme le spécialiste du renouveau dans l'interprétation des oeuvres du Moyen-ge grâce à l'étude et à la prise en compte des spécificités des chants de tradition orale. Son ensemble offre par ailleurs la particularité d'être à "géométrie variable", puisque les chanteurs et les types de voix peuvent changer du tout au tout en fonction du répertoire interprété. 

Pour cette nouvelle parution - reconstitution en abrégé (durée du Cd oblige) des premières Vêpres à la veille de la fête de Saint Jacques - Marcel Pérès choisit de renouer avec "les voix corses", déjà présentes en 1995 dans son enregistrement très discuté de la Messe de Guillaume de Machaut (Disque HMC 901590, 1995). La première écoute ne manque pas d'interpeller l'auditeur : comment une telle force expressive peut-elle se dégager d'un plain chant ? Cependant, l'enthousiasme initial s'estompe rapidement et laisse place, pour notre part, à un sentiment plus mitigé.

Les mélodies, qu'elles soient monodiques ou polyphoniques, sont la plupart du temps chantées sans nuance, de pleine voix, les effets vocaux sont multiples et variés (ornements divers, coups de glotte, particulièrement audibles dans la plage 11 et omniprésents dans les autres plages), de nombreuses notes sont attaquées par en dessous, notamment au début des phrases musicales (1ère note tutti plage 1, 1ère note plage 2, etc.) enfin la justesse est parfois relative (à la plage 8, à 4'40'', une affreuse octave se fait entendre).

Une pulsation régulière, généralement lente, a été retenue pour chacun des chants et alourdit quelques fois le discours (notamment plages 5 et 9). Cette "pesanteur" rythmique produit cependant un bel effet au tout début de la première plage - le seul chant qui ait, avec le conduit final (plage 12), un tempo allant - mais dont le refrain, par ses multiples répétitions, finit par lasser. De plus, la quinte aiguë tenue en guise de bourdon (à partir de 6'16) pour prodiguer une fin "en apothéose" relève presque du mauvais goût. Ce plain chant est à l'origine monodique, il s'achève ici à quatre voix.

Si les tessitures choisies sont relativement graves, la ligne mélodique que Marcel Pérès ajoute sur deux des chants est tout simplement abyssale : elle descend jusqu'au Si-1 (plage 1) et jusqu'au La-1 (plage 11). Pour l'organum (plage 8), la mélodie chantée en parallélisme à l'octave inférieure nous gratifie de contre-ut à foison et d'un sol-1 (à 1'47) suggéré plus que réellement chanté.

Soulignons enfin que Marcel Pérès a fait se superposer deux mélodies différentes qui portaient le même texte dans le Codex Calixtinus une première fois pour le refrain de Dum pater familias (plage 1) et une seconde fois pour les différents couplets du Felix per omnes dei plebs (plage 9 de 3'03 à la fin). Cela fonctionne étonnamment bien plage 9 (contrairement à la plage 1), mais il est absolument fantaisiste (pour ne pas dire aberrant) de finir ce chant sur une dissonance de seconde -même majeure - quel que soit le charme qui s'en dégage. Une des rares certitudes que nous ayons concernant la musique de cette époque est que les dissonances, acceptées dans le fil du discours musical, ne l'étaient en aucun cas pour la note finale.

On pourrait faire le reproche à Marcel Pérès de présenter, dans la jaquette du Cd, ces choix interprétatifs comme allant de soi ou comme étant le résultat incontestable d'investigations approfondies. Sans vouloir entrer dans une polémique stérile, nous préciserons seulement que de nombreux doutes subsistent quant à la manière dont ces chants étaient exactement interprétés à l'époque et que nous sommes loin d'adhérer à la totalité des choix esthétiques retenus dans cet enregistrement. Ces derniers présentent tout de même une alternative salutaire face à "l'uniformité" de "l'école de Solesmes" dont les options interprétatives sont diamétralement opposées. A ce titre, le conduit Congaudeant catholici (plage 12), célèbre pour être la plus ancienne musique notée à trois voix, est dans cette version réellement convaincant. Faisons donc abstraction des nombreuses (et inévitables) imperfections et retenons l'incroyable énergie et la plénitude sonore qui se dégagent parfois de ces chants. Cette force irrésistible permet à elle seule de reconnaître entre de multiples formes interprétatives une approche unique et originale signée Marcel Pérès.
 
 

Mathias LE RIDER




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