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Pascal DUSAPIN

Perelà uomo di fumo
(l'homme de fumée)

Opéra en dix chapitres
Livret de Pascal Dusapin,
D'après Il codice di Perelà d'Aldo Palazzeschi

Orchestre national de Montpellier 
Direction Alain Altinoglu

Choeurs de l'Opéra national de Montpellier
Direction Christophe Talmont 

John Graham-Hall (Perelà)
Isabelle Philippe (La reine)
Chantal Perraud (La fille d'Alloro)
Martine Mahé (Une pauvre vieille)
Nora Gubisch (La marquise Oliva di Bellonda)
Friedemann Röhlig (Le chambellan, le ministre) 
Scott Wilde (Le valet, Alloro, le président du tribunal)
Niels Van Doesum (Le premier garde du roi, le philosophe Pilone)
Nicolas Courjal (Le deuxième garde du roi, le banquier Rodella)
Daniel Gundlach (L'archevêque)
Gilles Yanetti (Le perroquet)
Isabelle Pierre (La jeune fille à la flûte)
Gilles Hubert (L'aide du roi)
Hervé Martin (Un homme seul)
Elina Bordry, Olga Tichina, Claire Gardeil (Trois femmes) 
Gilles Hubert, Hervé Martin, Laurent Serou (Trois hommes) 

Live Recording en mai 2003
Opéra Berlioz - Le Corum de Montpellier
Label © Naïve 2004
MO 782168
2 CD's - TT 120: 02 


Farce burlesque ? Vision futuriste ? Anti-roman engagé ? Délire poétique ? Élan spirituel ? L'oeuvre d'Aldo Palazzeschi (1885-1974), Il Codice di Perelà, parue en 1911, défie encore aujourd'hui tout étiquetage. Et comme la nouvelle de Gogol, Le nez, qui a attendu près d'un siècle avant d'inspirer Chostakovitch, Perelà a mis à peu près le même temps à interpeller Dusapin.

D'après le compositeur - héritier notamment de la musique spectrale -, entre ce texte et lui, il s'agit cependant d'une vraie rencontre : "Perelà a été pour moi comme une transfusion du monde de la musique vers un monde littéraire presque mystique et réciproquement (...) C'est d'abord le thème qui m'a séduit, qui m'a donné l'envie de la musique, alors que c'était le contraire qui se produisait jusque-là." 

Avec ce live de la version méridionale, le label Naïve a le mérite de sortir le premier enregistrement discographique intégral de cette création contemporaine, commande de l'Opéra National de Paris en 2003 et coproduite par l'Opéra National de Montpellier. Les deux disques sont présentés dans un sobre coffret gris mauve, contenant une information très complète en français et en anglais sur Dusapin, la genèse de cet opéra, l'argument. On y trouve également le livret original en italien et sa traduction française.

Les dix chapitres qui constituent l'ouvrage se succèdent méthodiquement, sans aucune interruption sonore. Instruments d'orchestre au grand complet, bande magnétique, piano et voix - souvent a capella - se relayent pour une narration fragmentée aux contours imprécis, évoluant entre cris plaintifs, hurlements de terreur, folie douce, extase amoureuse, furie menaçante, angoisse existentielle...

Une partition d'orchestre complexe et maîtrisée produit une nappe sonore aérienne, constamment vibrante, qui oscille entre l'évocation du vide intersidéral et la tension extrême de moments de climax apocalyptique. Les sons lancinants, parfois à la limite du déplaisant, se succèdent sans jamais tomber dans la cacophonie. Une fanfare de scène ajoutée à l'orchestre contribue encore à créer la folie incontrôlable qui s'empare des protagonistes au moment de l'hallucinante scène du bal avant de retomber dans le néant au monologue final de Perelà.

On pense fréquemment à la musique de film, au bruitage et à la science-fiction. Les photos des représentations de Montpellier figurant dans le livret ne laissent d'ailleurs nul doute sur les références cinématographiques - de Tati à Fellini en passant par Coppola, Lynch et Spielberg - présentes dans l'esprit de Peter Mussbach (Prix 2003 du Syndicat de la Critique). Celui-ci mettra aussi en scène en 2006 The last night, nouvel opéra de Dusapin, commande du Staatoper de Berlin.

Les choeurs et les multiples petits rôles dont beaucoup se transforment, en cours de route, d'un personnage en un autre, sont en général expressifs à souhait. Comme à la création à l'Opéra de Paris, le ténor aigu John Graham-Hall incarne correctement Perelà. Plus parlant que chantant, le rôle s'accommode bien de son manque de legato comme de son vibrato. Avec sa voix chaude et sensuelle, Nora Gubisch fait toujours merveille en Marquise Oliva de Bellonda. Même au disque, elle parvient à être très présente aussi bien vocalement que dramatiquement. Le falsettiste Daniel Gundlach reprend le rôle de l'archevêque hystérique tenu par Dominique Visse et la soprano Isabelle Philippe celui de Youngok Shin, tandis que Chantal Perraud, soprano colorature, habituée de Dusapin, réitère ses aigus stratosphériques dans celui de la fille d'Alloro.

Enfin, le jeune chef Alain Altinoglu dirige efficacement l'Orchestre national de Montpellier dans l'exécution de cette partition complexe au climat exacerbé.
  


Brigitte CORMIER




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