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Amilcare Ponchielli (1834-1886)

"Scene e Arie da opere"

Airs et morceaux symphoniques d'opéras rares

tirés de
 I Promesi Sposi, I Lituani, Il Figliuol prodigo,
Marion Delorme, I Mori di Valenza

Soprano : Natalia Margarit
Orchestra Filarmonica Ucraina
Silvano Frontalini
Bongiovanni GB 22286-2

Enregistrés du 1er au 4 octobre 2000
dans la salle de la Philharmonie de Lugansk (Ukraine)
Texte de présentation en italien et anglais,
textes des airs en italien
Durée : 47 '32"



Amilcare Ponchielli doutait toujours de lui-même : sur dix opéras, cinq connurent une refonte, une seconde version. Son talent est pourtant reconnu et la qualité de son inspiration évidente, mais son importance réside également dans le fait qu'écrivant entre 1856 et 1885, il effectuait une sorte de jonction entre le Verdi de la maturité et l'éclosion de la "Giovane Scuola" avec Cavalleria rusticana (1890). Il s'agit d'une période mal connue dont on retient un Verdi produisant peu et les deux derniers compositeurs romantiques en fin de carrière, Giovanni Pacini et Saverio Mercadante, le talentueux Errico Petrella et quelques musiciens plus ou moins auteurs d'une seule oeuvre marquante comme Filippo Marchetti avec son Ruy Blas. Ponchielli, comme Alfredo Catalani et Carlos Gomes, nous permet de connaître ce qui se faisait avant la "Jeune École" lorsque, précisément, il n'y avait plus d'école dans ce glorieux opéra italien qui dominait pourtant le monde ! Ponchielli cultive la chaleureuse mélodie qu'il reçoit des mains de Donizetti et de Verdi, mais libère un peu les formes dans les "morceaux" qui seront de moins en moins "fermés" ; il augmente le rôle de l'orchestre... et donc, plus ou moins consciemment, il remet ses innovations (ou tout au moins ses adaptations) entre les mains de ses élèves... (dont il fut réellement le professeur au Conservatoire de Milan) : Mascagni et Puccini.

I Promesi Sposi a été créé en 1856 puis révisé en 1872. L'oeuvre eut l'honneur d'une série de cinq extraits enregistrés en 1973 par Magda Olivero et le ténor estimé Giuseppe Campora, couplés avec neuf extraits du encore plus rare I Promessi Sposi (1869) d'Errico Petrella (1813-1877). Une récente reprise intégrale avec le même soprano qui nous occupe aujourd'hui paraîtra chez l'infatigable Casa Bongiovanni. La prière de Lucia, avec ses fort belles envolées où l'on reconnaît immédiatement la patte de Ponchielli, donne envie d'entendre le reste de l'opéra... (même si Ponchielli a banni, paraît-il, les cabalettes de la seconde mouture !).

I Lituani (1874) fait partie des trois opéras de Ponchielli connus intégralement (avec La Gioconda (1876) et Marion Delorme (1885)), même si sa diffusion dépendait de LP puis de CD "privés". On retrouve sa veine lyrique au gré d'airs, d'ensembles et d'un irrésistible ballet ! L'"Aria di Aldona" intervient après une Scena très agitée, reflétant le trouble interne du personnage, pour déployer ensuite ses belles phrases traduisant son fervent espoir de retrouver enfin celui qu'elle aime.

De Il Figliuol prodigo (1881), on connaissait un air inclus dans un récital de José Carreras, et trois extraits que l'ineffable firme de LP privés M.R.F. avait placé judicieusement en complément de son intégrale de I Lituani, tout en signalant : "Cast, conductor, date and place of performance unknown", c'est dire la passion animant l'esprit de la firme, diffusant même de l'inconnu ! L'un des morceaux (la prière initiale) réclamant un choeur, on peut donc en déduire une certaine envergure dans cette mystérieuse reprise. Parmi les trois extraits gravés ici, nous découvrons le sympathique ballet confirmant le don de Ponchielli pour cette musique un peu ronflante, mais si efficace et tout de même prenante. La filiation avec celui de La Gioconda est d'une évidence flagrante ! Précisons tout de même que Ponchielli fut pratiquement le seul compositeur d'opéra italien à écrire également des ballets à part entière, indépendants d'ouvrages lyriques (trois grands ballets et une "azione mimica").

Un intermezzo plus sobre déploie ses lumineuses phrases, serties dans un recueillement probablement voulu par le sujet. Cette fois la filiation ne renvoie pas à Ponchielli lui-même, mais aux représentants de la "Giovane Scuola" qui feront un usage intensif des intermezzi... L'"Aria di Jaftele", clamant son désespoir né d'une situation inextricable, n'offre pas une mélodie fluide et continue, elle est construite sur des passages déclamés, des pauses et de vertigineux écarts. 

Quant à I Mori di Valenza, composé vers 1877 mais créé de manière posthume seulement en 1914, on n'en connaissait rien ! La "scena" d'Elema nous montre une jeune fille arabe renonçant à l'Espagnol qu'elle aime mais l'imaginant, en délirant presque, à l'autel devant lequel il conduit une autre. Arioso vibrant plus qu'aria proprement dite, mais constitué aussi de moments lyriques cristallisés dans de limpides aigus, fort bien abordés et maîtrisés par Natalia Margarit.

Marion Delorme (1885) est le dernier opéra de Ponchielli et il faut savoir qu'à la même époque, Mascagni, qui a déjà une Pinotta dans ses tiroirs depuis deux ou trois ans, commence son puissant Guglielmo Ratcliff. Puccini a déjà créé son premier opéra Le Villi (1884) et son Edgar le sera en 1889, comme Gina, premier opéra de Francesco Cilea. Un an plus tôt, Umberto Giordano composait également son premier opéra, Marina. Eh bien Ponchielli nous surprend avec sa Marion Delorme, tant elle constitue une transition entre le Verdi de la maturité et la "Jeune École". Le concert lyrique qui nous occupe consacre quatre morceaux à l'oeuvre, un sobre prélude, une marche funèbre tout aussi sobre et servant d'intermezzo, et deux airs du rôle-titre. Dans le premier, elle frémit à la pensée que le premier homme qu'elle aime puisse apprendre son passé de courtisane. Le second traduit son désespoir de ne pouvoir le sauver qu'en se donnant au sbire de Richelieu. 

Le soprano Natalia Margarit est doté d'un timbre charnu et cuivré à la fois, son aigu est d'autant plus problématique... C'est notamment le cas dans I Promessi Sposi où l'on a même quelques craintes en découvrant ses problèmes de justesse. Néanmoins, la cantatrice se révèle capable de fort belles demi-teintes et parfois l'aigu se libère, plein, limpide (I Lituani) et même fort bien maîtrisé (I Mori di Valenza).
Natalia Margarit restitue avec sensibilité et ferveur ces airs difficiles par la charge émotionnelle, l'investissement constant qu'ils demandent et, techniquement, par l'alternance de nuances et d'un chant véhément annonçant celui de la "Giovane Scuola". Le chef Silvano Frontali insuffle à l'"Orchestra Filarmonica Ucraina" sa conviction et atténue ainsi ses (petites) approximations.

Après cet avant-goût offert par la méritante Casa Bongiovanni, on attend donc ces promis... Sposi ! Si seulement les "ponchielliens" pouvaient donner la même impulsion que les donizettiens, dont les demandes pressantes avaient contraint le Signor Bongiovanni à publier en un temps record la dernière rareté de Donizetti (Il Paria), réclamée à corps et à cris de par le monde...
 
 

Yonel BULDRINI
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