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Claudio MONTEVERDI (1567-1643)

L'Incoronazione di Poppea

Opéra en un prologue et trois actes
Livret de Gian Francesco Busenello

Poppea : Mireille Delunsch
Nerone : Anne Sofie Von Otter
Ottavia : Sylvie Brunet
Ottone : Charlotte Hellekant
Seneca : Denis Sedov
Arnalta : Jean-Paul Fouchécourt
Drusilla, Virtù : Nicole Heaston
Damigella, Amore : Cassandre Berton
Fortuna, Valletto : Allison Cook
Lucano, Soldato II : François Piolino
Famigliare I, Pallade : Thierry Grégoire
Famigliare II, Mercurio, Soldato I : Michael Bennet
Famigliare III : Ulas Inan Inaç
Littore, Liberto : Luc Coadou

Les Musiciens du Louvre-Grenoble
Direction : Marc Minkowski
Assistant : Juan-Manuel Quintana
Chef de chant : Mirella Giardelli

Mise en scène : Klaus Michael Grüber

Enregistré dans le cadre du Festival d'Aix-en-Provence
au Théâtre de l'Archevêché, juillet 2000

BEL AIR CLASSIQUES (BAC004)
164 minutes - Pal. 16/9. Toutes zones
Son dolby Digital /PCM STEREO


"Tu cèdes, seigneur, tu cèdes
à l'extase des transports amoureux
et tes yeux font pleuvoir
des gouttes de tendresse,
des larmes de douceur."
Lucano, acte II, sc. 9


Un Couronnement torride

Aucune pose lascive, pas de geste équivoque ni le plus petit carré de chair dénudée, au contraire, les corps se dérobent sous de bien peu seyantes camisoles, soi-disant asexuées : de vrais tue-l'amour. Or, le Couronnement de Poppée n'a peut-être jamais été aussi voluptueux ! D'une volupté sans complexe, insolente et devant laquelle les censeurs de tout poil pousseraient des cris d'orfraie. Ecoutez, il n'y a rien à voir, semble dire Grüber qui joue avec les nerfs des voyeurs. Fous de désir, les amants se convoitent, se cherchent, s'approchent, mais s'effleurent à peine, ne se touchent pas, ne s'enlacent jamais. Du sexe sans étreinte ? Absolument, c'est tout l'art de la suggestion. Un rien plus explicite, mais toujours sans contact, le duo de Néron et Lucain atteint des sommets d'érotisme : alors que l'empereur, couché sur le sol, tressaille et gémit d'extase, quelques mètres plus loin, la caméra fixe l'expression hyper sexuelle de son protégé (et cadet de Sénèque, la scène n'en est que plus immorale), capturant jusqu'à un fugace mouvement de langue sur le mot "bocca" qui semble violer l'intimité de François Piolino ! Quelques secondes infiniment plus troublantes et subversives que tous les phallus du monde... En comparaison, le baiser final semble presque pudique, à l'image d'un duo fusionnel, mais apaisé. 

"Il nous a semblé, écrit Marc Minkowski, qu'une façon originale et sincère d'être fidèle à cette partition inouïe, à la fois si lointaine et immédiate, composée sur le plus beau livret imaginable, était d'en dégager la courbe dramatique et d'y privilégier l'intimité et la sensualité, c'est-à-dire l'univers amoureux de Néron et Poppée dans lequel se consument peu à peu toutes les résistances, morales, physiques ou politiques" (Je souligne). Pari gagné, et plutôt deux fois qu'une : le feu embrase tout et tous, à commencer par le public. Exploitant pour l'essentiel le manuscrit vénitien, Minkowski et Grüber resserrent la trame et n'hésitent pas supprimer plusieurs monologues, la scène collective du couronnement et même la figure de Nutrice, la nourrice d'Octavie. Ainsi épuré, l'opéra, non seulement conserve toute sa cohérence, mais gagne en densité et en impact dramatique. Pas question ici de céder, comme parfois Jacobs dans ce répertoire, à la griserie d'une orchestration fastueuse, mais décorative ; les pages instrumentales se limitent à quelques ritournelles de Marini, judicieusement choisies et agencées. Le chef laisse également ses tics et sa rudesse coutumière au vestiaire pour exalter la sensualité d'un continuo luxuriant (une quinzaine d'instruments dont cinq théorbes et guitares, une paire de clavecins et une autre d'orgues !), mais attentif à la moindre inflexion des chanteurs. Dans cet environnement privilégié, les mille et un raffinements expressifs de Von Otter s'éploient en toute liberté et composent le plus fascinant des portraits.

La mise en scène applique la recette du Titien : le noir, mortifère et mélancolique, habille Octavie et Sénèque ; le rouge, incendiaire, symbolise évidemment l'amour y compris infernal, colorant une fresque pompéienne dont s'orne périodiquement la scène; le blanc, ambigu, marial, mais également lunaire et maléfique (la flèche phosphorescente de l'Amour, délicieuse Cassandre Berthon) recouvre Néron (sous sa veste dorée) et Poppée. C'est sans doute parce qu'il voie dans ce couple le prototype de la jeunesse immature et capricieuse que Grüber convoque une imagerie enfantine en passant le licteur au cirage, tel un Père Fouettard, et en l'affublant d'une cuirasse factice digne d'un magasin de farces et attrapes, alors que le Mercure dodu et emperruqué de Michael Bennet semble échappé d'un spectacle d'école primaire ou de colonie de vacances.

Et pourtant la Poppée de Mireille Delunsch n'a rien d'une gamine. C'est déjà une maîtresse femme, dévorée par la passion, inquiète, mais aussi déterminée, une lueur de gravité (prémonitoire ?) traversant furtivement son regard magnétique. Si la vidéo consacre les ambitions de Minkowski en réduisant la distance qui nous sépare des protagonistes, elle trahit aussi l'âge de Von Otter et accuse sa silhouette, bien trop féminine pour évoquer l'empereur. Il est d'autant plus difficile de croire au travesti que la confrontation avec Denis Sedov révèle un Sénèque juvénile et au physique d'Alcibiade. Le philosophe, manifestement plus jeune que son élève, est d'ailleurs trop beau, trop sain pour que son sacrifice n'en paraisse encore plus injuste et cruel. Epoustouflante de majesté blessée, Octavie (Sylvie Brunet) a des accents terribles et la rage, inhumaine. Les hésitations d'Othon, à qui elle demande de tuer Poppée, l'irritent, mais ne la touchent pas ; seul son propre malheur ("Addia Roma") lui arrache quelques cris de douleur. Othon, lui, a justement le visage du martyre et pourrait nous émouvoir si seulement Charlotte Hellekant ne luttait pas avec un contre-emploi totalement absurde. Ses interventions s'avèrent à ce point éprouvantes que la disparition de quelques répliques et d'un soliloque s'accueille avec soulagement. Pour nous consoler, enivrons-nous des piani melliflues de Jean-Paul Fouchécourt ("Adagiati Poppea"), impayable en nourrice - il faut le voir jubiler en se trémoussant comme un dindon lorsqu'il découvre le triomphe de sa maîtresse ! -, et contrepoint idéal pour cet hymne brûlant à la toute-puissance du désir.
  


Bernard SCHREUDERS


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