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Nicola PORPORA (1686-1768)

VEPRES VENITIENNES


Porpora, Laetus sum (*)
Vivaldi, Concerto pour flûte à bec RV 108
Porpora, Nisi Dominus (°)
Vivaldi, Concerto pour violoncelle RV 410 (**)
Porpora, De Profundis (*°)

Isabelle Poulenard, soprano (*)
Guillemette Laurens, mezzo-soprano (°)
Etienne Mangot, violoncelle (**)
Chœur Eclats
Les Passions
Jean-Marc Andrieu, flûte et direction

1 CD Ligia Digital, Lidi 0202185-07




Le bon Dieu ne répond pas

Rendre compte d’un enregistrement est un exercice multiple : il demande de s’attacher au produit en général, à sa réalisation mais aussi – et on l’oublie bien souvent – à l’oeuvre enregistrée, elle-même. Bref, il s’agit de parler de musique dans tous les sens du terme : celle qui est écrite et la manière dont on la donne.

On peut être familier de certaines partitions ; ce n’est pas le cas ici. On peut bien connaître le compositeur, au moins ; même constat pour ce disque. Seule, peut-être, l’ambiance du temps nous est-elle quelque peu familière. Ici, il s’agit de la Venise de la première moitié du settecento ; celle de Vivaldi, forcément.

Porpora ? Compositeur prolifique et professeur de renom aussi – ça n’a jamais forcément été de pair – a été victime d’un long purgatoire dont il ne doit sa sortie – toute relative- qu’au rôle de comparse qui lui est réservé dans le Farinelli de Corbiau. Là s’est plus ou moins dessinée une silhouette d’homme cosmopolite, habile trousseur de notes et rival malheureux de Haendel.

Porpora est donc connu pour avoir été le maître de Farinelli et aussi – dans une moindre mesure – pour une technique de solfège qui fit longtemps école. Pour sa musique, faut-il vraiment parler de talent ? Je parlais d’un habile trousseur ; de solfège aussi. Tout Porpora semble devoir tenir là-dedans. Je suis dur, je le sens bien et sans doute je n’aide pas le maestro à sortir de ce purgatoire évoqué plus haut. Mais... Mais, voilà, je parlais aussi de Vivaldi auquel tout, ici, ramène – et ne serait-ce que les deux concerti intercalés dans le programme, qui font merveille.

La musique de Porpora est un condensé de ce bel canto solaire que connut l’Europe du début des Lumières. Elle en est même, sans doute, un exemple incontesté. Car Porpora est un orchestrateur de talent et un mélodiste inventif, à défaut d’être vraiment fin. Mais le hiatus est ici consommé – plus encore peut-être qu’ailleurs – entre cette forme, cette technicité affirmée et assumée et un sentiment religieux qui est aux abonnés absents. C’est le défaut commun – dans tous les sens du terme – de beaucoup de pièces de l’époque, certes. Pour le coup, cette fois – et je m’explique mal pourquoi – cette confusion des genres entre opéra et musique sacrée me dérange. L’ensemble fonctionne pourtant bien dans un Laetus sum brillant et de belle facture générale. Mais peut-on ne pas être effaré du gouffre bavard que laisse ouvert le choeur liminaire du De Profundis ? Quelle conscience Porpora avait-il du texte qu’il mettait en musique ? Jusqu’à quel point peut-on s’abandonner aux usages du temps ?

Mais je parle d’un disque ; donc je parle aussi de ses interprètes. Et s’il est vrai que la musique peut me laisser perplexe, je dois reconnaître qu’elle est fort bien interprétée. Avec une grâce fraîche et presque naïve du côté du chef ; avec une légère langueur qui évoque bien les douceurs des jeunes filles des ospedali vénitiens. Andrieu joue d’un orchestre fin, presque suave et – pour le concerto pour flûte de Vivaldi, même si c’est hors-sujet – d’une légère nostalgie, d’un voile mineur que n’ont peut-être pas – ou moins – les Italiens dans ce répertoire.

Et puis il faut quand même que je salue aussi, bien bas, les deux prime donne qui jouent la carte du faste, des couleurs jetées en aplats virtuoses à la manière des grands fresquistes de la lagune. Isabelle Poulenard a le timbre comme un grand ciel ouvert de Tiepolo avec ses envolées de nuées et, encore, bien de la ressource dans l’émotion et dans l’abattage. Quant à Guillemette Laurens, très solide dans son Nisi Dominus, elle éclate surtout dans le De Profundis, galantissime – voir son « Si iniquitates Domine ». Là elle rafle la palme de l’italianità.

Bref on peut ne pas être convaincu par un compositeur, se poser des questions au moins ; on peut pourtant, aussi, revenir à un disque pour les qualités de ses interprètes. C’est le cas ici et la demi-teinte de la note ne leur incombe pas.


Benoît BERGER



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