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Jean-Philippe RAMEAU

Cantates Le Berger Fidèle, Thétis
Premier, troisième et cinquième concerts des Pièces de clavecin en concert

Défense de la basse de viole,
contre les entreprises du violon
& les prétentions du violoncelle
extraits - (Hubert Le Blanc)

Karine Deshayes, soprano
Alain Buet, basse
Benjamin Lazar, récitant

Les Musiciens de Monsieur Croche
Alexis Kossenko, flûte
Christophe Robert & Fabien Roussel, violons
Atsushi Sakaï, viole de gambe
Tom Pitt, basse de violon
Sébastien D'Hérin, clavecin

Alpha 067, enr. 2003, 71'48


Comme à l'habitude, la maison d'édition Alpha a préparé un digipack soigné et, cette fois-ci, une belle analyse du portrait de la jeune et douce Marie-Adélaïde de France en Diane, le regard rêveur et l'épaule dénudée, précède les notes du programme (le tableau est si célèbre que vous en avez sûrement déjà deviné l'auteur). Là encore, la démarche est originale : découvrir Rameau dans les pas de Debussy, à travers plusieurs de ses écrits où il confie son admiration pour les couleurs, les nuances et l'harmonie d'un grand compositeur qui l'a précédé.

De façon surprenante, le récital débute par la déclamation d'extraits de la Défense de la Basse de Viole contre les entreprises du Violon et les prétentions du Violoncelle d'Hubert Le Blanc, en français restitué. Benjamin Lazar ne récite pas seulement la prose drôle, attachante et pleine de mauvaise foi de ce juriste passionné de musique, il s'enflamme, s'étonne, converse. 1740, date de l'édition originale de l'ouvrage, n'a pas pris une ride. Cependant, un pareil éloge de la basse de viole aurait peut-être mieux convenu à un récital du même instrument, comme celui de la belle Rêveuse de Marin Marais sous l'archet accompli de Sophie Watillon, chez le même éditeur...

Le Cinquième concert charme d'emblée par le clavecin léger et luxuriant de Sébastien d'Hérin. La lecture est vive et légère, la flûte d'Alexis Kossenko très aérienne. L'ennui est que l'enregistrement ne parviendra jamais à dépasser cette superficialité galante, cette vision luxueuse de catalogue d'exposition sur papier glacé. La Cupis, dont le rythme lancinant rappelle d'ordinaire un peu les hésitations d'un François Couperin, semble vide et dénuée d'émotion alors que La Timide du troisième concert se transforme en danse assez indigeste. Heureusement, les instrumentistes sont manifestement plus à l'aise dans les mouvements plus rapides, mais là encore, Rameau devient "gentillet" et perd de sa puissance d'évocation. On regrettera en particulier que les Tambourins soient prétextes à des martèlements clavecinistiques acharnés sur lesquels les cordes grincent. De même, La Marais est interprétée à un rythme effréné qui transforme un portrait en charge de cavalerie virtuose. Seule La Livri et Le Vézinet du Premier Concert peuvent rivaliser avec l'éblouissante interprétation de Blandine Rannou (Zig Zag territoires). De ces célèbres oeuvres, l'ensemble Sonnerie avait privilégié le côté versaillais très raffiné et un peu trop empesé (Virgin), Gustav Leonhardt, Frans Brüggen, et les frères Kuijken avaient, quant à eux, livré une version fort, curieuse presque bachienne de ces pièces (Teldec). Du côté de Monsieur Croche, techniquement, il n'y a pratiquement rien à redire, et même beaucoup à louer : les timbres sont colorés, les tempos contrastés. Et malgré tout ce talent, cet étalage brillant et uniforme distille finalement l'ennui.

En revanche, les deux cantates sont interprétées avec nuance et subtilité, toujours en français restitué. Assurément, le timbre d'Alain Buet manque de profondeur dans les graves et les "affreux orages" de Thétis font plutôt sourire, mais l'implication du chanteur fait plaisir à entendre. Last but not least, Karine Deshayes est magnifique dans Le Berger Fidèle passant de la tristesse à l'exubérance sans jamais sombrer dans la caricature. Sa voix à la fois veloutée et aux contours clairs témoigne à merveille de la noble détresse du berger désespéré. Dans l'"air gai", ni la virtuosité requise, ni l'embarrassante prononciation qu'on lui impose, ne peuvent gêner son entrain et le naturel de sa prestation. On en vient presque à s'intéresser au texte de la cantate, et Dieu sait qu'il est difficile de rendre crédible ces salmigondis pastoraux d'Arcadie développés en trois coups de cuiller à pot ! L'accompagnement, complice et vivant, fait presque regretter que le disque tout entier ne soit pas consacré à d'autres cantates. A la lecture de cette prose enthousiaste, vous aurez sans doute compris que cet enregistrement plutôt inégal - voire un peu décevant dans sa partie instrumentale - recèle toutefois de très beaux moments. Et l'on pardonnera aisément aux Musiciens de Monsieur Croche quelques petites anicroches...
 
 

Viet-Linh NGUYEN


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