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Giuseppe VERDI (1813-1901)

MESSA DA REQUIEM
per l'anniversario della morte di Manzoni, 23 Maggio 1874

Eva Mei (soprano)
Bernarda Fink (mezzo)
Michael Schade (ténor)
Ildebrando d'Arcangelo (basse)

Arnold Schoenberg Chor
Wiener Philharmoniker

Nikolaus Harnoncourt

RCA82876 61244 2. 2 CD. Enr : 2004. Durée : 47.15 & 40.28


Nikolaus Harnoncourt est tenaillé par une obsédante inquiétude métaphysique. Derrière les paravents de la philologie, les prétextes du "dégraissage", les cuistreries du "discours musical", les surfaces trop lisses de la textualité, c'est une violence qu'on entend constamment dans ses interprétations. Celle qu'éveille la proximité insoutenable et inadmissible de la Mort. Refus des joliesses, abomination des chantournements, fussent-ils baroques. Harnoncourt ou l'âpreté - à mille lieues de ces acquiescements stoïciens et d'une grandeur paisible prononcés par les grands chefs germaniques, déjà noyés dans les lointains de l'Au-delà (Furtwängler le premier). Avec Leonhardt, Harnoncourt est le tenant post-moderne de l'ascèse à gorge sèche. Régime strict. Maigreur obligée.

Force est de reconnaître que cette diététique d'ermite convient à nos temps que culpabilisent et la graisse et la surabondance néo-capitalistes (même si, souvent, c'est pour mieux s'y vautrer). Harnoncourt est notre hère, notre discipline. Nous y trouvons des mortifications délicieuses, de voluptueuses flagellations. Vive Mozart lorsqu'il fronce les sourcils et nous vilipende ! Vive Haydn lorsqu'il est net comme un coup de martinet ! Vive Bruckner lorsqu'il nous piétine les tempes à coups de talons au lieu de nous envelopper d'incertitudes diffuses !

Et vive Verdi lorsqu'il n'est ni théâtral, ni lyrique, ni enjôleur, ni méditerranéen, ni ivre, ni rien du tout ! Chez Harnoncourt, le voici assombri, austère, sévère, un peu radoteur : gare à vous, pauvres gens ! Et certes, c'est bien ainsi que l'on peut concevoir le Requiem de Verdi. Comme une purgation de toutes nos passions musicales nébuleuses, comme un détergent puissant, à avaler d'un coup. Frisson dans le dos, chaleur vive de la gifle. Vous prendrez ce Requiem comme une punition de vos péchés, mais aussi comme une bonne raclée pour toutes vos vénielles bêtises. Ce Requiem sent le bâton de gendarme et la lanière cloutée. Parfois, ça fait du bien, paraît-il.

Le problème, c'est que Verdi n'a pas offert au Maestro Harnoncourt toutes les ressources de cette magistrale correction. Il a certes de grands ébranlements, mais aussi des moments d'élévation ; de susurration ; de murmure ; d'introspection ; de psalmodie. Et là, le bois vert ne suffit plus. Il faut savoir déployer les apaisements d'onguents bienfaisants. La prière n'est pas toujours une violence qu'on se fait. La culpabilité n'est pas le seul ressort de la foi. La violence n'est pas la seule médiatrice de notre cher Seigneur.

Mais lorsqu'il ne peut plus compter sur les vertus cuisantes de la fessée, Harnoncourt s'égare dans les mielleuses et sulpiciennes dévotions des rombières en mal de Christ. Cela se sent très vite, s'affirme dès l'Offertoire, se confirme en un Libera Me qui semble droit sorti des messes grotesques que Vatican II inflige à ceux que n'a toujours pas dégoûtés la fréquentation d'églises livrées aux tiédeurs vandales de la chansonnette scoute piteusement rehaussée de bienséance émasculée. A écouter cette interprétation, franchement, on se prend un instant à croire que Verdi a sombré avant l'heure dans les mièvreries ecclésiales contemporaines et que son Requiem est à la puissance divine ce que la statuette qui brille dans le noir est à la virginité mariale. On croit déceler dans ce chef-d'oeuvre qu'on pensait bien connaître des compromis serviles, des préventions émollientes - bref, des dérobades insoupçonnées devant la radicalité qu'exige une messe des morts. Un instant, convaincu par Harnoncourt, on doute de Verdi. On le conteste. Presque, on le renonce.

Et puis non ! C'est bien Harnoncourt seul qui impose au Maître ces douceurs évacuées de toute signification. C'est Harnoncourt qui applique à la partition ce littéralisme glucosé qui fait rendre aux sublimes choeurs du Libera Me un jus olivâtre similaire à celui qui coule des viandes trop confites. En s'en prenant à la "théâtralité" de cette partition, Harnoncourt attente à l'âme même de Verdi. Car le lyrisme, ce n'est pas l'outrance ni l'extraversion guignolesques ! Il faut en être à un stade avancé de dessiccation organique pour penser ainsi. Le lyrisme, le rubato, l'emballement, le slancio, le raptus verdiens, sont cette augmentation d'esprit, cet ajout de vibrations où naissent le mystère et la beauté.

Harnoncourt refuse à Verdi les voix qu'il exige. Schade est un ténorino égaré dans une steppe inquiétante peuplée de lignes vocales qu'il rencontre pour la première fois, d'Arcangelo poursuit l'ombre de Pinza mais en vain, Bernarda Fink est une servante agréablement humble et sans doute un peu trop ; quant à Eva Mei - révérence, Madame -, elle geint son Requiem au lieu de le chanter, simulant par des esquisses de sanglots le déportement nerveux dont elle devrait communiquer l'ébranlement. Remplacer le marbre vivant et fier de Verdi par un biscuit friable, est-ce une fidélité de philologue ou un goût de vieille fille ? Peut-on durablement confondre les flammes de l'enfer et les chaufferettes des maisons de repos ?

Allons, se vouloir fidèle à Verdi, n'aurait-ce pas été d'abord l'honorer de ce chant dont il a tout entier pétri le Requiem, le portant à des apothéoses de tension et d'extase ? Il suffit d'écouter l'Ingemisco tel que le démembrent chef et ténor pour comprendre que la prétendue fidélité ici se confond avec la diabolique perversité de ceux qui, arborant pour la galerie des trésors de religiosité austère, portent dans leur âme le plus terrible principe de corrosion : la Négation.
  


Sylvain FORT 


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