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Joseph-Guy ROPARTZ 

Le Pays

Mireille Delunsch (Kaethe) 
Gilles Ragon (Tual) 
Olivier Lallouette (Jörgen)

Orchestre Philharmonique de Luxembourg
direction : Jean-Yves Ossonce

2 CD Timpani 2C2065


En une période où les multinationales se contentent la plupart du temps de recycler les grands titres du répertoire, il faut saluer l'audace de la firme Timpani qui nous propose la première discographique de l'opéra de Joseph-Guy Ropartz, "Le Pays". Créé à Nancy en 1912 et repris l'année suivante à l'Opéra Comique avec Germaine Lubin, ce "drame en musique" méritait incontestablement les honneurs du disque. Toutefois, il nous faut signaler qu'il s'agit d'une musique d'une rare exigence, susceptible de dérouter à la première écoute. S'il est des filles qui se donnent au premier rendez-vous, cette oeuvre n'en fait assurément pas partie.

Ropartz, breton exilé en Lorraine puis en Alsace, était avant tout un symphoniste mais il signa pour la scène lyrique, outre ce "Pays", un opéra comique en 1 acte, "Le Diable couturier" et reconstitua la partition de "Guercoeur" de son ami Albéric Magnard. Il fut l'élève de Massenet et de César Franck et c'est incontestablement l'influence du second qui est perceptible ici. Il a choisi pour point de départ du livret une nouvelle de l'académicien breton Charles Le Goffic, "L'Islandaise", dont l'auteur a lui-même signé l'adaptation. Le drame a pour cadre l'Islande, mais c'est la Bretagne, chère à Ropartz, qui monopolise la pensée des personnages et sera la source du drame. L'oeuvre s'inscrit donc dans le courant régionaliste, si actif à la veille de la première guerre mondiale.

L'intrigue est simple : Tual, marin breton et unique rescapé d'un naufrage, a été sauvé par un trappeur islandais et soigné par la fille de celui-ci, Kaethe. Celle-ci est éprise de lui mais il est partagé entre l'attrait de la beauté de la jeune fille et la nostalgie de la terre bretonne. C'est cette dernière qui l'emporte et, rompant un serment fait à Kaethe, Tual décide de partir pour ne plus revenir. La punition divine est immédiate et Tual est englouti dans une tourbière. Trois personnages, un cadre unique : Ropartz a choisi le dépouillement.

Dans "Le Pays", Ropartz se soucie peu de séduire et refuse toute concession aux goûts du public. "Une action intérieure, peu de faits, des sentiments, peu de personnages, pas de spectacle", tel est son programme pour le moins austère. Ce refus des concessions est évident dès les premières notes du prélude qui installent une atmosphère oppressante qui règnera sur l'ensemble de l'oeuvre, le drame étant ainsi inscrit d'entrée dans la musique. La partition se révèle assez exigeante, non du point de vue de la complexité harmonique (sur ce plan, nous nous prenons souvent à penser au "Roi Arthus" de Chausson), mais en raison de l'enchevêtrement des thèmes dans un tissu orchestral extrêmement dense. On ne peut toutefois rester insensible à la sincérité du compositeur et à la science qu'il déploie dans l'utilisation des timbres et des couleurs, conférant à l'oeuvre un rare pouvoir d'évocation. Le symphoniste se révèle de plus dans la vision de Tual au 3e acte, superbe page qui mériterait d'être inscrite plus fréquemment au programme des concerts. 

Le grand atout de cet enregistrement est la présence de Mireille Delunsch, voix de miel à l'aigu lumineux, qui confère à Kaethe une remarquable féminité. Seule la diction mériterait parfois d'être davantage soignée, mais la soprano éclaire superbement ce sombre drame. Gilles Ragon déploie dans Tual une belle musicalité et convainc dans les passages élégiaques du 2e acte, mais il paraît manquer de vaillance à certains moments lorsqu'il lui faut passer les déchaînements d'un véritable barrage orchestral. C'est un Ulysse et non un Gérald qui est exigé ici. Le beau baryton d'Olivier Lallouette complète fort honorablement la distribution. Jean-Yves Ossonce fait ressortir toute la violence de la partition, dont il offre une lecture puissante et acérée, à la tête d'un convaincant Orchestre Philharmonique du Luxembourg..

Il nous reste à saluer encore le soin éditorial apporté à cet enregistrement et à le recommander chaleureusement à tous ceux qu'intéresse cette école française du tournant du siècle, si fertile et pourtant si peu servie de nos jours.
  


Vincent Deloge

 

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