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Charles Gounod 

LA REINE DE SABA
 

Francesca Scaini (Balkis)
Jeon-Won Lee (Adoniram)
Anna Lucia Alessio (Bénoni)
Annalisa Carbonara (Sarahil)
Luca Grassi (Soliman)
Salvatore Cordella (Amrou)
Jean Vendassi (Phanor)
Pietro Naviglio (Méthousaël)
Volodymyr Deyneka (Sadoc)
 

Orchestre International d'Italie
Chúur de Chambre de Bratislava

Direction Manlio Benzi

2 CD Dynamic 387



Le plaisir de la découverte
 

1862 : Charles Gounod retrouve la scène de l'Opéra avec cette Reine de Saba, qui appartient à un genre où le compositeur ne parviendra jamais à s'imposer : le Grand Opéra. L'intrigue est classique : le méchant baryton (Soliman) vient contrecarrer les amours de la jolie soprano (Balkis, la reine de Saba) et du séduisant ténor (l'architecte Adoniram). Trahi par de vilains ouvriers envieux et lâches, Adoniram meurt dans les bras de sa bien-aimée qui lui jure fidélité par delà la mort et tient Soliman pour responsable de ce méfait. Le livret, signé Barbier et Carré et inspiré par Gérard de Nerval, n'est pas dépourvu d'habileté et répond  à toutes les exigences du genre, offrant notamment prétexte à une mise en scène somptueuse. Pourtant, les personnages manquent de caractère et les situations dramatiques d'impact. Le succès n'est pas au rendez-vous et l'úuvre ne connaît que quinze représentations à l'Opéra. Une partie de la critique parisienne n'hésite pas alors à taxer le compositeur de wagnérisme (!) tandis que Berlioz déplore le vide de la partition.

Nous redoutions que la Reine de Saba ne soit définitivement tombée dans l'oubli depuis les légendaires représentations toulousaines dirigées par Michel Plasson en 1970 jusqu'à ce que le festival de Martina Franca ait l'heureuse idée d'en proposer une nouvelle production en juillet dernier, et la firme Dynamic de publier le témoignage de cette redécouverte. Rendons en grâce à Sergio Segalini, défricheur de répertoires comme peuvent l'être René Koering et Pierre Jourdan, qui nous propose ici une partition aussi complète que possible, seul le ballet ayant été écourté pour des impératifs scéniques.

Nous l'avons dit, le Grand opéra n'était pas le genre où s'exprimait le mieux le talent de Gounod. L'inspiration n'est pas constante et l'on peut déplorer quelques boursouflures dans les scènes d'ensemble. Quelques pages cependant méritent une attention particulière : la romance de Bénoni, le grand air d'Adoniram à l'acte II, la cavatine de Balkis, qui est sans doute le sommet de cet ouvrage et que Françoise Pollet a brillamment défendue au disque, ainsi que l'air de Soliman. On y retrouve toutes les qualités qui ont assuré  la notoriété du compositeur, son charme mélodique et sa délicatesse d'instrumentation. Un autre motif d'intérêt de l'úuvre, développé par Gérard Condé dans son passionnant commentaire, est l'utilisation par Gounod de tout un réseau de motifs de rappel, une première dans l'opéra français. Nous soulignerons encore la curiosité d'un rythme de valse endiablé dans le ballet et les couleurs étranges de l'évocation du ravin du Cédron.

La distribution réunit de jeunes chanteurs, peu ou pas connus, qui ne se montrent pas tout à fait à la hauteur d'un ouvrage particulièrement exigeant. Le rôle de Balkis, créé par Pauline Gueymard, appelle un grand falcon. La prestation de Francesca Scaini mérite indiscutablement le respect avec un aigu percutant mais hélas une diction totalement incompréhensible. Le ténor Jeon-Won Lee tire le meilleur parti d'une voix assez séduisante, jeune et stylée, même si les moyens restent en deçà des exigences du périlleux rôle d'Adoniram, en particulier dans le haut de la tessiture. Luca Grassi est un baryton assez fruste mais tire malgré tout parti de son air très gratifiant du quatrième acte. Anna Lucia Alessio s'acquitte de sa romance avec beaucoup de fraîcheur mais le trio des conspirateurs se révèle en revanche assez médiocre.

Louons encore la direction colorée de Manlio Benzi et recommandons chaleureusement à tous les amateurs d'opéra français l'acquisition de cet enregistrement qui vient combler une importante lacune dans la discographie et nous offre la plaisir de découvrir un ouvrage qui, sans être une absolue réussite, ne manque pas de qualités et comporte plus d'une page digne d'intérêt. Notre compréhension du parcours musical de Gounod et de l'évolution de la musique française sous le Second Empire y gagneront nécessairement.
  


Vincent Deloge



Pour en savoir plus sur l'oeuvre, consulter le site consacré à "Charles Gounod"
(mise en ligne : 26/3/2002)
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