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Georg Friedrich HAENDEL

SERSE

Livret d'après Nicolo Minato revu par Silvio Stampiglia

Serse : Anne-Sofie von Otter
Arsamene : Lawrence Zazzo
Amastre : Silvia Tro Santa Fe
Ariodate : Giovanni Furlanetto
Atalanta : Sandrine Piau
Romilda : Elisabeth Norberg-Schulz
Elviro : Antonio Abete

Choeur et Orchestre des Arts Florissants
Direction William Christie

Virgin, 3 CDs 7243 5 45711 2 1, 2004


Le voici donc ce Serse que tout le monde connaît grâce à son arioso "Ombra mai fù", magnifique déclaration d'amour d'un monarque persan à un platane - d'autres niveaux de lectures sont heureusement permis. Le livret est plus que brouillon, grouillant de situations plus invraisemblables les unes que les autres, de rebondissements en tout genre, de quiproquos complexes. Ironie et décalage sont les armes de cet enchevêtrement délirant qui comprend en vrac une princesse déguisée en soldat, un serviteur travesti en marchande de fleurs, la destruction d'un pont et trois lettres qui plongent les personnages (comme l'auditeur) dans l'incompréhension la plus totale...

Alors que le compositeur ne bénéficiait que d'une distribution globalement médiocre, la musique de son antépénultième opéra est absolument magnifique, pleine d'humour et d'inventivité. On a l'impression que l'auteur prolifique pastiche sa quarantaine d'opera seria. Les airs sont peu catholiques : le plus souvent sans da capo, les ritournelles d'ouverture sont absentes et l'arioso abonde. Les mouvements sont très brefs, sans véritable continuité narrative (impossible à atteindre vu le livret). Chacun est une sorte de caricature : la pastorale, l'air héroïque comme l'explosion de fureur sont certes figurés, mais de telle façon qu'ils semblent décalés, ridicules ou pathétiques.

Christie et Haendel : un cocktail dangereux. Si Theodora ou Le Messie étaient particulièrement réussis, que dire de l'Orlando ou de l'Alcina aux tempi bousculés, et dont les reprises délirantes défiguraient les oeuvres ? Anne Sofie von Otter campe un monarque persan un peu trop sage pour le despote mégalomane et conquérant qu'on aimerait entendre. Plus de fougue et davantage d'implication dans les récitatifs seraient les bienvenus. Son vibratello constant pourra en déranger plus d'un, et l'on se prend soudain à regretter la monotone version de Malgoire, où la perfection du plateau vocal était minée par l'une des pires prestations de La Grande Ecurie & la Chambre du Roy jamais enregistrées (Sony). La plus grande déception vient du fameux "Ombra mai fù" qui ouvre l'opéra : Christie insiste trop sur le "tube" que les spectateurs du Théâtre des Champs-Élysées attendent avec impatience. Le tempo est désespérément lent pour ce "Larghetto" ironique, trop souvent appelé "Largo" depuis le XIXème siècle. L'introduction orchestrale s'étiole, fait naître des silences entre les phrases, laisse les notes en suspens. Il ne manquerait plus que le mezzo s'arrête afin que le public reprenne en choeur "oooooombra maiiiiii fou (soupir) di vé-gé-é-é-ta-bi-lé". Von Otter chante avec grâce, mais la ferveur quasi religieuse qui se dégage de l'air est tout à fait inappropriée. Par la suite, elle semble contrainte, comme si la battue retenue du chef ne la laissait guère s'épanouir. L'extraordinaire air de bravoure "Se bramate d'amar chi vi sdegna" où elle se joue des cadences de sa voix puissante et rageuse est l'un des trop rares moments où elle s'émancipe vraiment du carcan lisse et doré des Arts Flo. Notons avec soulagement que les da capo sont ornementés avec grâce, sans acrobaties inutiles et surtout sans anachronismes flagrants (on redoutait Fleming dans Alcina).

Du côté d'Atalanta, Sandrine Piau reste fidèle à elle-même : magnifique. Très fidèle au texte dans les récitatifs (la fréquentation de la tragédie lullienne doit y être pour quelque chose), sensible, tout en finesse et en demi-teintes, la chanteuse nous gratifie d'un "Dirà chen non m'amo" mutin et rieur pour continuer avec le déchirant "Voi mi dite che non l'ami" où elle soupire sur son amour condamné. En revanche, Silvia Tro Santafé allie une technique déficiente à un timbre forcé dans les graves, d'une lourdeur particulièrement indigeste. A cela s'ajoute une incapacité totale à agrémenter correctement et à partir sur les temps. L'air "Or che siete, speranze, tradite" du deuxième acte, la voit mitrailler les vocalises et devancer l'orchestre en projetant des notes d'une justesse fort approximative. Certains apprécieront toutefois le côté "brut et cuivré" de son chant et l'énergie qui se dégage de ses interventions. De même, Elisabeth Norberg-Schulz paraît bien peu inspirée par le personnage de Romilda qui eut mieux convenu à la divine Sandrine (que l'on songe à sa prestation avec McCreesh à Beaune). Sa modestie vocale confine à une fadeur éthérée qui, si elle convenait aux décors pastels de Gilbert Deflo, s'avère assez transparente au disque. Les autres solistes sont sans peur et sans reproche, avec une mention particulière pour Antonio Abete, voix riche et vibrante. Passons sur la brève apparition du choeur des Arts Florissants (pour célébrer la construction d'un pont) où les pupitres sont un peu trop ramassés, malgré un entrain certain, et des cuivres mal captés. 

L'orchestre est précis et incisif ; on reconnaît immédiatement la vive clarté des Arts Florissants dès l'ouverture. Les attaques des cordes sont remarquablement nettes ; les sonorités colorées et bien différenciées ; le climat chaud et moelleux. L'ennui provient du manque d'épaisseur, de corps, de profondeur. Dans les airs, on a l'impression que l'orchestre sans volume freine les chanteurs plus qu'il ne les soutient. Ce Serse-là aurait bien besoin d'élan et de panache. Or, ni Christie, ni McGegan (BMG) et encore moins Malgoire (Sony) n'ont réussi à lui insuffler suffisamment de conviction pour donner un soupçon de vraisemblance et de logique à une intrigue plus qu'artificielle. Enfin, si l'approche globale aurait pu être plus ambitieuse, Christie a cependant parfaitement réussi à doser moquerie et légèreté dans une oeuvre qu'on ne peut décidément pas prendre au sérieux. Les Arts Florissants insistent sur les articulations, accentuent les effets de timbre pour notre plus grand bonheur. Alors ne boudons pas ce plaisir !
  


Viet-Linh NGUYEN


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