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photo - http://www.nightingaleclassics.com/
Gaetano Donizetti (1797-1848)

Maria Stuarda

Opéra en trois actes, sur un livret de Giuseppe Bardari, d'après Friedrich Schiller
Première représentation : Milano, Teatro alla Scala - 30/12/1835

NIGHTINGALE CLASSICS NC 190209-2 (2cds) DDD - durée: 113'43
Enregistrement live avec reprises en studio : München, Herkulessaal der Residenz - 24-28.09.1998
Textes de présentation et synopsis en anglais et allemand, par Neil Rishoi et Giorgio Migliavacca
Livret original en italien, traduction en anglais, allemand et français

Maria Stuarda, Regina di Scozia Edita Gruberova (soprano)
Elisabetta, Regina d'Inghilterra Carmen Oprisanu (mezzo-soprano)
Roberto, Conte di Leicester Octavio Arévalo (tenore)
Giorgio Talbot, Conte di Shrewsbury Duccio dal Monte (basso)
Lord Guglielmo Cecil, Gran Tresoriere Marcin Bronikowski (baritono)
Anna Kennedy, Nutrice di Maria Michaela Lucas (mezzo-soprano)

Chor des Bayerischen Rundunks
Udo Mehrpohl (chef de choeur)

Münchner Rundfunkorchester
Marcello Viotti (direction musicale)


Au printemps 1834, Donizetti se trouvait au sommet de sa carrière . Après une période relativement féconde (« Parisina d'Este » et « Rosmonda d'Inghilterra » à Florence, « Torquato Tasso » à Rome, « Lucrezia Borgia » à Milan), le compositeur fit montre d'un intérêt grandissant pour la littérature romantique qui commençait à gagner l'Europe toute entière. « Rosmonda d'Inghilterra », « Il Castello di Kenilworth » et « Anna Bolena » avaient conforté le maître de Bergame dans son idée d'exploiter le potentiel dramatique des grandes lignées royales de l'Angleterre. Après avoir songé à un opéra sur le comte d'Essex (« Roberto Devereux », qui sera créé à Naples en 1837), Donizetti dut renoncer à une « Maria Tudor » dont Felice Romani était incapable de produire le livret.

C'est le jeune Giuseppe Bardari, alors âgé de dix-sept ans, qui proposa à Donizetti le thème d'un opéra consacré à Mary Stuart, figure dramatique idéale pour le concept d'une triste et noble héroïne romantique. Pour les besoins de l'opéra, l'action fut simplifiée et ramenée au traditionnel triangle romantique : un courtisan et deux reines ennemies ; mais l'emploi inhabituel de deux primedonne plaça l'oeuvre en dehors des conventions de l'époque, ce qui valut à Donizetti de faire l'objet de nombreuses critiques.

Il dut également faire face à l'hostilité croissante entre les deux interprètes principales, Giuseppina Ronzi de Begnis et Anna del Sere, qui les gorges chaudes de la presse de l'époque ; comme pressentie par le compositeur, la répétition générale fut des plus mouvementées : « La mauvaise volonté de Mary fit tellement enrager Elisabeth, par nature la plus coléreuse, qu'au beau milieu d'un finale, elle se précipita sur son ennemie, la tira par les cheveux, lui frappa les oreilles, la mordit, la gifla, et lui brisa presque les jambes en lui donnant des coups de pieds furieux » (Teatri, Arti e Letteratura, un périodique de l'époque).

En dépit des facéties des deux chanteuses, Donizetti jugea les répétitions probantes et s'apprêtait à exécuter l'ouvrage dans la plus grande sérénité. Ce fut un coup rude pour le compositeur lorsque le roi Ferdinando fit interdire la représentation, prétendant par cet arrêté ménager la susceptibilité de la reine Maria Cristina, tout en faisant comprendre sa lassitude pour les histoires tragiques et sanguinaires imposées par l'esthétique romantique de l'époque.

Après maints remaniements de la partition et quelques changements de titres comme « Giovanna Grey » ou encore « Buondelmonte » (pour lequel un nouveau livret fut créé, en toute hâte), la véritable « Maria Stuarda » dut sa première production scénique à une demande du Théâtre de la Scala ainsi qu'à l'intérêt que lui porta Maria Malibran, l'une des plus fameuses voix de mezzo-soprano de son époque. En dépit, du refus de la soprano Sofia Schoberlechner de chanteur le rôle d'Elisabeth, l'oeuvre put connaître sa première exécution dès le 30 décembre de l'année 1835, au Théâtre de la Scala. Mais en découvrant que la Malibran défiait les convenances de l'époque, la censure milanaise fit rapidement interdire toute nouvelle représentation : la mezzo-soprano persistait à traiter Elisabeth de « vil bastarda », portant au cou l'ordre de la Toison d'or, et se mettant à genoux dans la scène de la confession.

Pendant la seconde moitié du XXè siècle, « Maria Stuarda » est devenue l'une des figures donizetiennes les plus admirées ; et l'on doit à de grands noms du passé la résurrection de cette héroïne malheureuses de la trilogie anglaise : Leyla Gencer, Montserrat Caballé, Beverly Sills ou encore Joan Sutherland.

Après « Anna Bolena » (Vienne, 1994), puis « Roberto Devereux » (Strasbourg, 1994), la firme autrichienne Nightingale Classics s'attaque aujourd'hui à un nouvel enregistrement de « Maria Stuarda ». Edita Gruberova, fondatrice de la maison de disques en question, entreprend depuis le début des années 90, l'enregistrement d'un certain nombre d'oeuvres du répertoire italien romantique ; après une très réussie « Maria di Rohan » de Donizetti, et une « Sonnambula » de Bellini à la fois brillante et inspirée, la soprano d'origine slovaque revient donc à une héroïne familière, qu'elle incarna de nombreuses fois à la scène et qu'elle porta une première fois au disque chez Philips, vers le milieu des années 80.

La « Maria Stuarda » de Gruberova a fait du chemin depuis une quinzaine d'années ; la maturité aidant, elle esquisse ici le portrait d'une femme à la fois fragile et volontaire, affrontant résignée et fière le cruel destin que lui inflige la reine Elisabeth. Malgré la fréquentation excessive de rôles lourds tels que « Elisabetta » dans « Roberto Devereux », son chant demeure digne des plus grandes interprètes du rôle, se rapprochant plus de Joan Sutherland ou Beverly Sills, que de Leyla Gencer ou Montserrat Caballé.

Néanmoins, on est ici loin des merveilles que la soprano a pu offrir à son public lors des représentations de Vienne 1985 (aux côtés d'Agnès Baltsa et de Francisco Araiza, sous la direction de Giuseppe Patanè) ou de la version de concert de Bonn 1991 (avec une Martine Dupuy survoltée, sous la direction de Miguel Gomez-Martinez). Le registre aigu continue à se restreindre, laissant le plus souvent la place à des sons filés, du plus bel effet, mais qui desservent l'intensité dramatique du rôle ; sans parler des notes attaquées par la queue, et dont l'émission première est souvent instable ou irrémédiablement en-dessous de la justesse requise. Il suffit pour cela d'écouter les toutes dernières mesures de l'actes II ; la soprano se réfugie prudemment dans la masse orchestrale, parfois en retrait de certains solistes (Carmen Oprisanu ou Octavio Arévalo)... sans parler d'un aigu final juste mais instable, attaqué par en-dessous, ou d'un vibrato lent et lancinant, très inhabituel chez cette chanteuse connue justement pour la pureté de sa voix et la quasi-absence de vibrato.

Il reste malgré tout des moments de grâce ; la cavatine de Maria à l'acte II est sûrement la scène la plus proche du drame qu'écrivit Schiller, puisque le poète allemand inséra des vers lyriques pour exprimer la joie ressentie par la reine ; Le cantabile « O nube che lieve per l'aria ti aggiri,.. », transformé en aria, est une paraphrase du deuxième vers du poème de Schiller. Gruberova y fait merveille, s'abandonnant parfois à quelques manières, mais sans jamais faire défaut ; les aigus sont toujours percutants et insolents, et l'on reste littéralement médusé par des sonorités ahurissantes dont elle a seule le secret. Consciente des limites dramatiques que lui impose sa voix, elle va jusqu'à poitriner certaines notes dans la scène de la confrontation « Figlia impura di Bolena ». Là où autrefois elle décrochait des aigus à l'octave supérieure, la diva autrichienne attaque forte des notes sombres et graves à l'octave inférieure, avec des intonations presque véristes qu'on ne lui connaissait guère (si ce n'est dans certains enregistrements « live » privés des scènes finales de « Roberto Devereux » et « Anna Bolena »). Si l'effet paraît ici artificiel, il surprend et renforce de manière efficace la progression dramatique de l'acte.

La scène de la confession est un autre grand moment de cette nouvelle intégrale ; le duo final (Maria Stuarda / Giorgio Talbot) « Lascia contenta al carcere » confine au sublime ; certes, tout n'y est pas parfait : Duccio dal Monte offre un support solide au soprano de Gruberova, mais reste par trop en retrait, et manque singulièrement de personnalité. Toutefois, les deux chanteurs offrent ici un des moments les plus émouvants de l'oeuvre, emprunt d'une intensité rare et d'un raffinement extrême... Raffinement, que l'on retrouve dans la grande scène finale : Gruberova y fait montre de tout son art, et les traces que les années ont pu laisser sur sa voix ne ternissent en rien la perfection dramatique qu'elle atteint ici.

Carmen Oprisanu campe ici une « Elisabetta » tout d'une pièce, privée de sens dramatique, parfois primaire dans l'expression aveugle de sa jalousie, mais parfaitement soumise aux pulsions revanchardes qui l'assaillent dès la première scène de l'opéra. Découverte parmi les solistes à demeure de l'Opéra de Zürich, cette mezzo-soprano que l'on pu voir récemment à l'Opéra de Paris dans le rôle éminemment difficile de « Dulcinée » (« Don Quichotte » de Massenet) fréquente avec assiduité le répertoire italien de la première moitié du XIXè siècle (elle vient d'ailleurs d'enregistrer le rôle de « Romeo » dans « I Capuleti e i Montecchi » de Bellini, toujours chez Nightingale, aux côtés d'Edita Gruberova et de Juan Diego Florez).

Il semble malgré tout que le rôle de « Elisabetta » lui pause de sérieux problèmes de tessiture... La vocalise n'est pas toujours sûre et suffisamment articulée, la voix s'engorge facilement dans des sonorités fermées et fixes, mais sombres à souhait et toujours à dessein. La scène de la confrontation lui vaut sûrement sa plus belle démonstration de force, mais dans un opéra où les rôles principaux sont confiés à deux primedonne, la mezzo-soprano reste bien en deçà des qualités dramatiques et vocales exigées pour un tel rôle : ici, l'absence de théâtralité ne fait que souligner l'inadéquation vocale.

Octavio Arévalo, comme à son habitude, se réfugie dans une sorte de caricature des tenorini de jadis, au médium inconsistant, à l'aigu frêle, au timbre douceâtre et mièvre, à l'opposé de tout ce que la vocalità donizetienne requiert pour le rôle de « Roberto », souvent ingrat et frustrant. Le ténor sud-américain, également issu du vivier zurichois, fréquente lui aussi depuis quelques années le répertoire belcantiste ; on a pu le voir à Zürich dans le rôle de « Lord Arturo Talbot » (« I Puritani » de Bellini, Zürich 1998 et 1999), transposant allègrement les airs dont il ne pouvait assumer la tessiture élevée. Son interprétation de « Riccardo, Conte di Chalais » (« Maria di Rohan » de Donizetti), que ce soit au disque (avec Edita Gruberova) ou en concert (avec Victoria Loukianetz), n'est guère plus convaincante. Son « Roberto » échappe à toutes les règles du belcanto ; il convient cependant de lui reconnaître un engagement dramatique certain, ainsi que de relever quelques scènes bien senties où il n'abuse jamais d'effets trop ostentatoires (« Ah ! non m'inganna la gioia », acte II). Ceci posé, les ténors sont une denrée rare aujourd'hui, et il faudra bien apprendre à se contenter de ce genre d'interprète si la relève se fait attendre.

Les rôles de « Anna Kennedy » et de « Lord Guglielmo Cecil », respectivement tenus par Michaela Lucas et Marcin Bronikowski, ne permettent pas de se faire une idée précise de la qualité des deux chanteurs. Michaela Lucas possède à l'évidence des qualités de timbre idéales pour son personnage, malgré quelques rigidités dans la voix. Marcin Bronikowski manque par contre de finesse et de maîtrise, sa voix n'étant pas toujours très équilibrée et manquant singulièrement d'aplomb dans le bas médium et le grave.

Mené de main de maître par Marcello Viotti, grand spécialiste du genre, l'orchestre de la Radio Bavaroise, bien qu'habitué à la fréquentation du répertoire romantique allemand, parvient à ce rapprocher de sonorités que l'on pensait être le seul apanage de formations telles que le London Symphony Orchestra, plus coutumier du répertoire belcantiste. Le choeur, quant à lui, n'est pas aussi braillard qu'on aura pu le craindre ; il accompagne judicieusement tous les ensembles, sans pour autant porter préjudice aux solistes... les forte sont convenablement dosés, et la cohésion choeur-orchestre est marquée par des tempi très rythmés, sans jamais tomber dans la vulgarité.

Au fil des ans, la discographie de « Maria Stuarda » prend peu à peu de l'importance ; on ne compte pas moins d'une dizaine de versions qui furent, ou sont, disponibles dans le commerce (live et studio confondus), bien plus que « La Fille du Régiment » ou « La Favorite » ! On se demande alors pour quelles raisons, pour quels mauvais motifs, cet opéra n'est pas monté plus souvent ; certains chefs-d'oeuvre du genre ne devraient quitter la scène qu'au moment où leur esthétique s'avère dépassée... c'est loin d'être le cas pour « Maria Stuarda ». 


Yann Manchon



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