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Richard WAGNER

TANNHÄUSER

Hermann, Landrag von Thüringen : Alfred Muff
Tannhäuser : Peter Seiffert
Wolfram von Eschenbach : Roman Trekel
Walther von der Vogelweide : Jonas Kaufmann
Biterolf : Rolf Haunstein
Heinrich der Schreiber : Martin Zysset
Reinmar von Zweter : Guido Götzen
Elisabeth : Solveig Kringelborn
Venus : Isabelle Kabatu

Mise en scène : Jens-Daniel Herzog

Chor des Opernhauses Zürich
Orchester der Oper Zürich
Franz Welser-Möst

2 Dvds EMI, 7243 5 99733 9 5


Commençons par un constat simple. On le sait, on le dit du moins, le dvd est destiné, à terme, si ce n'est à remplacer purement et simplement le classique cd, du moins à ouvrir à prix équivalent une autre voie dans le marché du disque d'opéra. En pérennisant des interprétations captées dans le feu du live, ce que ne faisait pas ou peu (de manière moins institutionnalisée en tout cas) le disque officiel, un tel produit amène cependant à revoir les critères d'évaluation qui avaient cours jusqu'à maintenant, comme aussi l'idée que l'on a pu se faire d'un produit musical "fini". Ainsi la présente production zurichoise pose-t-elle problème, soulevant un certain nombre de réserves auxquelles il va falloir, à l'avenir, s'habituer.

A Zürich, on enregistre beaucoup, et les chaînes spécialisées font leur miel de ces captations régulières, le plus souvent très bien distribuées (on pense évidemment au Cosi d'Harnoncourt, mais aussi à la Nina de Paisiello ou au récent Fidelio du même Harnoncourt). L'acoustique de la salle est particulièrement propice à la voix et l'agréable esprit de troupe qui y règne offre au spectateur l'attrait d'un travail toujours professionnel.

Franz Welser-Möst est communément le maître d'ouvrage de ces productions solides. Kapellmeister dans la meilleure tradition, il se révèle dans ce Tannhäuser un architecte probe, menant une ouverture sans vertiges, parfaitement tirée au cordeau et d'une belle rigueur. Sachant, au Venusberg surtout, imprimer à son orchestre une poésie sombre, moite, le chef joue d'une trame instrumentale dense, touchant en de rares instants (manière magnifique de poser les premiers accords du "Wie Todesahnung" de Wolfram au 3) des sommets de musique pure... Peut-être finalement manque-t-il seulement à cette lecture un peu de l'élan romantique du Sawallisch des années 60, un peu de l'hédonisme virtuose (on est presque tenté de parler d'esbrouffe sonore) de Solti, un peu de cette fièvre, enfin, qui va si bien à Tannhäuser.

Sur le plateau, personne n'est gêné par la mise en scène sobre de M. Herzog. A ce sujet encore, il conviendrait de parler d'une intense probité, qui nous épargne avec bonheur les errements exégétiques dont les pays alémaniques détiennent le très hermétique secret. La direction d'acteur est quasi nulle (il faut voir Tannhäuser au concours de la Wartburg !) et cela est d'autant plus visible que la mise en image colle au plus près des visages, accrochée à chacune des attitudes molles des artistes impavides. Elle y colle surtout avec partialité (pourquoi ce plan presque fixe sur Tannhäuser pendant le lied de Walther au 2?), suivant les déplacements de chacun avec une frénésie frôlant la cyclothymie. Cela se regarde pourtant sans déplaisir, parce que la gamme colorée mise en place est très bien venue, que le jeu de matières est très finement observé (l'univers minéral, froid, imperméable au sentiment, de la Wartburg par exemple) et qu'en fait rien ne vient perturber l'écoute.

Il reste de toute façon possible de n'écouter que la piste audio, laquelle piste n'est pas, non plus, exempte de défauts agaçants. Commençons d'abord par le meilleur, cet esprit de troupe qui fait merveille, avec surtout un Walther de Jonas Kaufmann absolument magnifique. Même curieusement habillé au 1, il émane de l'artiste un rayonnement animal qui irradie la voix, sombre et magnifiquement projetée, parfaitement déliée et dans laquelle on sent l'un des ténors qui comptera dans les années à venir (à Zürich déjà, il a donné, sous la férule d'Harnoncourt un Florestan triomphant, frôlant l'idéal en termes de vocalité pure comme d'investissement scénique). On comptera aussi au nombre des très belles réussites de ce coffret le Landgrave d'Alfred Muff, qui peine un peu dans une tessiture tout sauf confortable, mais royalement, avec une dignité de phrasé et une prégnance de timbre impressionnantes. On gardera enfin pour l'éternité le Wolfram de Roman Trekel. La voix comme le port sont ascétiques, le son est presque rude, sans apprêts, mais l'émission joue de colorations infinies sur tout le spectre dynamique. Trekel a forgé son éloquence à l'école du lied et cela s'entend, dans une "Romance à l'étoile" de miel surtout, irisée d'éclairages diaphanes, de piani à peine effleurés, jouant d'un grave rugueux et d'un aigu parfaitement placé, à la fois fier et sincère. Simplement anthologique.

Le duo antithétique des dames affiche lui aussi de beaux moments. Isabelle Kabatu, Venus à la poésie trouble, au timbre sombre, témoigne d'une ligne très artistement menée, d'une réelle intelligence du texte, d'un registre médian plein, coloré, d'une belle gamme de nuances. Hélas la voix, dans l'aigu, ploie sous les vagues d'un vibrato désagréable, véritable grelot qui dérange l'ordonnance d'un final particulièrement douloureux. L'Elisabeth de Solveig Kringelborn appelle les mêmes éloges et les mêmes reproches. L'artiste a la demi-teinte aisée, très bien timbrée surtout, ce qui est rare; elle a aussi la projection altière, mais elle a surtout un aigu charnu et charnel qui, dans l'urgence du direct accroche la fin de la "teure Halle". Elle met pourtant beaucoup de grâce juvénile et virginale à son duo et son "allmächt'ge Jungfrau" est même magnifique, parée d'un legato soyeux, d'un timbre aux liquidités opalescentes, installée dans un piano à la fois extatique et doloriste, à l'image de son Elisabeth à la chevelure mutilée, en lambeaux.

On restera enfin bien dubitatif face à Tannhäuser en qui l'éditeur met sans doute beaucoup de ses espoirs de vente. Peter Seiffert qui est un Max magnifique, un Florestan splendide aussi, a été promu au rang de heldentenor au prix de ce que l'on reconnaît communément (et depuis bien longtemps sans que le problème ne se solutionne vraiment) comme une crise du landernau wagnérien. Pour tous ceux, cependant, qui ont Melchior ou Lorenz dans l'oreille, Seiffert ne restera jamais qu'un Froh idéal, un Erik monté en graine. Et si Lohengrin lui va comme un gant, par (paradoxalement) son italianité rayonnante, il touche aux limites extrêmes de ses moyens dans Tannhäuser, en termes de tessiture comme de pur format. On l'y a pourtant entendu en bien meilleure voix (à Paris récemment, par exemple), et il n'est pas impossible que l'artiste ait été, au moment de cette captation, dans un moment de méforme passagère. Car la voix est grise d'harmoniques, uniment poussée dès ses premiers "zuviel", condamnant de fait son éloquence à un héroïsme bien univoque. L'artiste souffre, peine et la sudation torrentielle que la caméra dissèque de manière bien cruelle témoigne de l'effort constant fourni, dès son entrée en scène, par le ténor. "Dir töne Lob" a pourtant un bel emportement, mais il y a du mauvais Kollo dans ces aigus irrémédiablement poussifs. Seiffert retrouve pourtant une certaine délicatesse, sa belle souplesse de phrasé comme aussi sa morbidezza le temps d'un beau duo avec Elisabeth. Et c'est paradoxalement le retour de Rome qui le voit le plus à son affaire, là où l'on a pu entendre un Windgassen, un Vinay à bout de souffle. La ligne est absolument royale, sans histrionisme, intériorisée et nourrie d'une véritable narration, d'un sens du récit qui laisse rêveur.

Ce qui dans la salle a pu apparaître comme un spectacle de tout premier ordre, exposé ici à une caméra inquisitrice, au jeu cruel aussi de la fragmentation que permet le dvd, restera dans les esprits comme un enregistrement de fort bonne qualité, mais stopé dans le processus de mythification auquel peut se livrer la seule mémoire. Il y a beaucoup à retenir de cet enregistrement : le meilleur Walther entendu depuis longtemps, un Wolfram d'exception, un très bon Landgrave, mais aussi des dames qui ont du mal à s'installer dans un Panthéon déjà bien fourni, un chef seulement solide, un héros, enfin, empoté scéniquement qui peine à imposer un vrai standard d'interprétation en regard du passé. Pas de quoi faire, donc, une version de référence... hélas !
  


Benoît BERGER




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