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TEREZIN – THERESIENSTADT

Anne Sofie Von Otter


Ilse WEBER (1903 - 1944)
Ich wandre durch Theresienstadt

Karel SVENK (1917 – 1945)
Pod destnikem - Vsechno jde ! (Marche de Terezin)

Ilse WEBER
"Ade, Kamerad! - Und der regen rinnt

 Adolf STRAUSS (1902 - 1944)
 Ich weiss bestimmt, ich vwerd dich wiedersehen

ANON.
Terezin-Lied - D’après la chanson « Komm mit nach Varasdin »
Tirée de l’opérette « Gräfin Maritza » d’ Emmerich Kálmán

Martin ROMAN (1910 - 1996)
Wir reiten auf hölzernen Pferden - Tiré de Cabaret Karussell

Ilse WEBER
Wiegala

Hans KRÀSA (1899 - 1944)
Trois mélodies sur des poémes d’Arthur Rimbaud, traduits par V. Nezval
Ctyrversi – Vzruseni - Pratelé

Carlo Siegmund TAUBE (1897 - 1944)
Ein jüdisches Kind
 
Viktor ULLMANN (1898 - 1944)
Berjoskele

Trois sonnets de Louise Labé :
Clère Vénus – On voit mourir - Je vis, je meurs

Pavel HAAS(1899 - 1944)
Quatre mélodies sur des poémes chinois traduits par B. Mathesius
Zaslech jsem divoké husy - V bambusovem hàji –Daleko mésic je domova – Probdénà noc
 
 Erwin SCHULHOFF (1894 - 1942)
 22 – Sonate pour violon seul (1927)
Andante cantabile
Scherzo
Finale

Anne-Sofie von Otter, mezzo soprano, Christian Gerhaber, Baritone, Daniel Hope, violon, Bengt Forsberg et Gerold Huber, piano, Bebe Risenfors, accordéon, double basse, guitare, Ib Haussmann, clarinette, Philip Dukesalto, Joséphine Knight, violoncelle.

1CD DGG N° 00289 477 6546
Enregistré en 2007 – durée totale : 71’



HISTOIRE SANS FIN OU LE RESSAC DE L’HISTOIRE….


Le 20 août 1942, le baron Göran von Otter, diplomate suédois alors en poste à Berlin, monta dans le train qui devait l’emmener à Varsovie. Le destin voulut qu’il se retrouve à partager un compartiment avec l’officier SS Kurt Gerstein, chargé de veiller à l’amélioration de « l’efficacité » des chambres à gaz, grâce à l’utilisation d’un gaz à haut pouvoir toxique, le Zyklon B.

Bouleversé par ce qu’il venait de voir à Belzec – où plusieurs centaines de juifs avaient été gazés la veille - et désireux de soulager sa conscience, Gerstein révéla au diplomate l’inimaginable : cet implacable processus de la « solution finale » qui allait conduire à l’extermination de six millions de juifs…

Göran von Otter, supplié par l’officier nazi de rapporter aux autorités suédoises l’abomination qu’il venait, horrifié, de découvrir, rédigea un rapport qui ne fut jamais transmis aux alliés. Cette rencontre essentielle, et le silence des responsables politiques qui s’ensuivit, devaient le hanter jusqu’à la fin de ses jours, comme le précisait il y a peu à la radio suédoise sa fille Anne-Sofie, qui ajoutait à propos du disque « Terezin » : « On peut entreprendre un tel projet à titre personnel, mais je le fais aussi un peu en mémoire de mon père. »

L’idée de réaliser cet enregistrement germa lorsque, en janvier 2000, à Stockholm Anne-Sofie von Otter fut invitée à chanter lors du Symposium International sur l’Holaucauste. Korngold, bien sûr, dont elle avait déjà enregistré plusieurs mélodies, y figurait en bonne place, et puis des œuvres de Viktor Ullmann, compositeur, entre autres, de l’opéra « Der Kaiser von Atlantis ».

Cette magnifique interprète de Mahler, Weill, Korngold et Zemlinsky, tous mis à l’index par le régime nazi, ne pouvait, compte tenu de son éclectisme et de son immense curiosité, que se passionner pour une telle entreprise. Et n’oublions pas, que lors de ses derniers récitals, son fidèle pianiste Bengt Forsberg avait, à plusieurs reprises, inscrit au programme des œuvres pour piano d’Erwin Schulhoff.

Le résultat est passionnant et bouleversant, et ce qui frappe à l’audition de cet enregistrement, c’est l’explosion de sensualité et d’humour, la vie et la force extraordinaires qui en émanent. Comme si, face à la barbarie, la seule possibilité de lutte ne pouvait qu’être une volonté acharnée et féroce de créer, de vivre et d’aimer…

Et c’est bien ce que firent tous ceux qui peuplèrent Terezin, sorte de « ghetto modèle » de « vitrine » mensongère destinée à la propagande du régime nazi. Une grande partie de l’élite artistique et intellectuelle juive y fut déportée, et de nombreuses pièces de théâtre, opéras, concerts et revues de cabaret s’y donnèrent, pour prouver au monde et aux inspecteurs de la Croix Rouge en particulier « qu’on n’y vivait pas si mal »…Hélas, nombre de ces artistes en partirent pour Auschwitz,  dont, bien sûr, ils ne revinrent jamais…

On retrouve avec plaisir et intérêt les œuvres de Viktor Ullmann, de Frank Kràsa (qui écrivit également l’opéra pour enfants « Brundibar ») et de Schulhoff, on déguste avec délectation les mélodies raffinées composées sur les poèmes de Louise Labé (Ullmann) et celles si délicates et poétiques de Pavel Haas sur des poèmes chinois…

Mais les œuvres d’Ilse Weber, également poétesse et infirmière, morte à Auschwitz, constituent indiscutablement une véritable révélation, et von Otter sait à la perfection en distiller la mélancolie toute schubertienne…Tout comme elle excelle dans le « vieux françois » des poèmes de Labé, et bien entendu dans le genre « cabaret » de la chanson de Roman « Wir reiten auf hölzemen Pferden » qui n’est pas sans rappeler le Kurt Weill de « One touch of Venus »…

Tous les protagonistes de ce projet intense  sont au diapason de celle qui en fut l’instigatrice : Christian Gerhaber dont le timbre séduisant s’allie à un chant stylé et expressif, Daniel Hope qui porte avec passion et sensibilité la vertigineuse sonate de Schulhoff, et les autres instrumentistes, vraiment formidables.

Un disque à acquérir absolument, parce qu’il s’agit, paradoxalement, d’un hymne à la vie, comme un chant sans fin qui ne s’arrêtera jamais, puisqu’il triomphe de tout, même de la mort.


Juliette BUCH



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