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Giuseppe VERDI (1813-1901)

LA TRAVIATA

Opéra en trois actes
Livret de Francesco Maria Piave,
D'après la pièce d'Alexandre Dumas Fils La Dame aux camélias

Violetta Valéry: Mireille Delunsch
Alfredo Germont: Matthew Polenzani
Floria Bervoix : Marina Prudenskaja
Annina : Geneviève Kaemmerlen
Giorgio Germont : Zeljko Lucic
Gastone de Letorières : Olivier Hernandez
Barone Douphol : Enrico Marabelli
Marchese d'Obigny : Joszef Dene
Dottore Grenvil : Janne Sunqvist
 

Europa Chor Akademie
Orchestre de Paris
Direction musicale : Yutaka Sado

Mise en scène: Peter Mussbach
Décors : Erich Wonder
Costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Lumières : Franz-Peter David
Conception images vidéo: Anna Enquel-Donnersmark, Stefan Runge

Bel Air / Harmonia Mundi BAC 005
130 min, DVD 9, PAL, Format 16:9, All zones, 2005 (captation Juillet 2003)



LA BEAUTE DIAPHANE DES TUBERCULEUSES
ou SOUVENIRS D'UN RETROVISEUR UN SOIR DE PLUIE

Des gouttes d'eau tombent, petit à petit. Violetta s'avance dans l'obscurité, dévoilée seulement grâce à sa robe rétro-éclairée à effet phosphorescent. Sa démarche est vacillante, hésitante, comme l'est également la ligne mélodique du prélude. 

Cette mise en scène parmi les plus convaincantes de la Traviata réussit brillamment le passage de la scène à l'écran. La conception visuelle de l'ensemble, qui mêle voiles, jeux de lumières et gouttes de pluie filmées en gros plan, s'inscrivait d'emblée dans un monde tolérant les caméras, proche d'une esthétique de vidéaste. La sobriété du dispositif scénique ne pouvait en outre pas égarer le réalisateur de la version filmée, même s'il s'adonne comme de coutume à la trop grande manie du gros-plan qui nous fait perdre la vision globale du plateau pour avoir le loisir d'observer la luette des chanteurs. Si l'image peut convaincre avec aisance, cependant, la captation sonore heurte celui dont les oreilles sont plus habituées aux salles qu'aux disques. La qualité technique est en effet acceptable, mais le parti pris radical de balance déséquilibrée entre les voix et l'orchestre laisse les chanteurs esseulés et rend l'orchestre maigrelet, voire inconsistant, rejeté au grand large. Le DVD ne contient aucun bonus comme c'est souvent le cas lors de réalisations au départ télévisées (ici pour ARTE), mais le livret compense cette absence car il reprend le texte d'un entretien éclairant entre Peter Mussbach et Brigitte Paulino-Neto.

Le metteur en scène y détaille certaines de ses options d'interprétation, tranchées en regard des productions classiques de la Traviata. Sa vision a choqué les uns, déprimé les autres et émerveillé un grand nombre, à chacun de juger. Elle a en tout cas le tout grand mérite de respecter la musique. En effet, l'idée sous-tendant l'ensemble de la lecture est celle du souvenir : Violetta, mourante, se rappellerait certains événements de sa vie. Le présent et le passé se mélangeraient au fil des actes, sans que la distinction ne soit nette pour le public. Or la répétition des thèmes, l'enchevêtrement de certains motifs, le retour du prélude au troisième acte, tout concourt dans la partition à accepter cette option scénique, qui renouvelle notre perception de la partition. L'absence de gestes inutiles dans la direction d'acteurs a, de plus, l'élégance de laisser la musique s'exprimer sans interférences. Mussbach le metteur en scène - neurologue relate également dans cet entretien que sa connaissance de la médecine lui a inspiré son traitement plastique de la figure de Violetta : plus les tuberculeux étaient proches de la mort, plus leur peau était diaphane, plus ils étaient beaux. La transparence de la peau est renforcée ici par la blondeur platine des cheveux et la blancheur de la robe de celle qui rappelle alors Marilyn ou Lady Di ou encore bien d'autres blondes consumées et mortes dans la fleur de l'âge. 

Mireille Delunsch tient le rôle d'un bout à l'autre. Son double n'en finit plus de vaciller mais elle ne flanche pas. Sa performance est absolument remarquable, même si la voix laisse à désirer par la monotonie des phrasés ou ses limites dans le médium et le grave. On ne ressent jamais le grand frisson, la voix est lisse, légère, très française. Heureusement que l'actrice est au rendez-vous, si présente dans la faiblesse maladive de Violetta. Matthew Polenzani ne peut en dire autant. Si la voix d'Alfredo est correcte, sans plus, la performance est lamentable. Il est larmoyant du début à la fin, un larmoyant artificiel et inintéressant, contamination d'un chanteur très présent sur une certaine scène new-yorkaise où ce ton est trop souvent de mise ? Zeljko Lucic est, en revanche, la révélation vocale de cette production. Son timbre est parfois tendu jusqu'à l'extrême, parfois enveloppant et tendre. Les lignes mélodiques sont construites avec intelligence et sensibilité, le jeu et la voix sont vivants et variés, on sent l'acteur et le chanteur à l'aise et encore loin de ses limites. Il a la prestance et la voix d'un père affectueux et autoritaire, ce que son jeune âge ne laissait pas deviner dès l'abord. On en redemande et on attend que cette voix mûrisse encore.

Un DVD à fleur de peau donc, pour ceux que la noirceur poétique n'effraye pas. On aurait préféré une captation de la première berlinoise car Christine Schäfer incarnait une Violetta encore autrement effondrée, belle et bouleversante. Restent cette production extrêmement intense, une écoute renouvelée, des images magnifiques et puis les lumières, quelles lumières... Les éclairages de Franz-Peter David coupent le souffle par leur lyrisme et leur tristesse. La plus belle des inventions est certainement la robe lumineuse de Violetta, seule tache blanche dans un univers entièrement noir.
  


Lise BRUYNEEL


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