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Richard Wagner (1813-1883)

TRISTAN UND ISOLDE

Drame musical en trois actes
Livret du compositeur

Tristan : Clifton Forbis
Isolde : Jeanne-Michèle Charbonnet
König : Marke Alfred Reiter
Kurwenal : Albert Dohmen
Brangäne : Mihoko Fujimura
Melot : Philippe Duminy
Ein junger Seeman/Ein Hirt : David Sotgiu
Ein Steuerman : Nicolas Carré

Orchestre de la Suisse Romande
Armin Jordan
Grand Théâtre de Genève

DVD Bel Air Classiques (Harmonia Mundi)




Olivier Py transcende Tristan et Isolde
et accède à la cour des grands


Accueillie avec enthousiasme, la production genevoise de Tristan und Isolde imaginée par Olivier Py en 2005, est aujourd’hui prolongée grâce à un DVD publié aux éditions Bel Air Classiques. Après Weber (Der Freischütz à Nancy en 1999), Offenbach (Les contes d’Hoffmann à Genève en 2001), Berlioz (La damnation de Faust à Genève en 2003) et Le vase de parfums de Suzanne Giraud (Paris 2004), l’enfant terrible de la mise en scène française s’est attaqué à ce qu’il considère lui-même comme « la plus belle partition du monde occidental », avec le regard neuf et radical que nous lui connaissons.

L’impressionnant dispositif scénique conçu par Pierre-André Weitz, son décorateur attitré, censé figurer un cargo (fantôme ?) dont nous verront les coursives, les cales, les cabines et le pont constitue un spectacle à lui seul. Comme toujours chez Py, le noir prédomine, l’acier et les tubulures n’étant que faiblement éclairés par des rais de lumière. L’atmosphère est crépusculaire, morbide et humide, l’élément aquatique étant omniprésent au troisième acte, en hommage à la cité lacustre (Venise, « la ville des cents solitudes profondes ») dans laquelle Wagner termina Tristan en 1859 et mourut le 13 février 1883. Ce bateau-fantasme, qui ramène Isolde et Tristan en Cornouailles (1er acte), dans lequel ils vont s’aimer (2ème acte) et près duquel Tristan succombera de ses blessures (3ème acte), permet à Py de construire un implacable huis clos, animé par une machinerie diabolique qui alterne les décors à la manière d’un travelling infini. La réalisation signée Andy Sommer, très inspirée du cinéma de Lars von Trier, inventeur du dogme (unité de temps et de lieu, images floues, éclairage naturel...), ne rend pas toujours compte avec exactitude de ce qui se déroule sur le plateau, mais celle-ci est en accord avec le propos novateur du metteur en scène. L’œil met du temps à s’habituer aux tremblements de la caméra, aux prises de vues compliquées, aux effets répétés (ralentis, plan fixes, images surexposées, philtres..), mais se laisse prendre par la magie de cette imposante représentation lyrique. A l’amour et à la mort qui lient Tristan à Isolde, sont ici associés le feu, la terre et l’eau qui accompagnent le couple comme autant d’épreuves rituelles imposées à leur impossible union. Pour incarner ces deux personnages mythiques et rendre crédible cette cérémonie funèbre et initiatique, Olivier Py dispose de talentueux passeurs.

Jeanne-Michèle Charbonnet, rousse et plantureuse Isolde, possède le physique et l’endurance du rôle, sans en connaître pour autant toutes les finesses et les subtilités. Sa voix apparaît large et robuste, mais les grands aigus plafonnent, le timbre est peu varié et l’arrogance de l’expression (1er acte) frise l’agressivité. Reconnaissons-lui un réel engagement et une belle capacité à jouer l’extase amoureuse, finalement transcendée par la mort.

Son héros a les traits un peu lourds de Clifton Forbis, dont la voix barytonnante et les accents gutturaux ne sont pas sans évoquer ceux de Ramon Vinay, légendaire Tristan, notamment à Bayreuth en 1952 avec Martha Mödl dirigé par Karajan. Quelque peu engoncé au premier acte, le ténor à l’allure impassible, révèle une fragilité touchante qui prend tout son sens pendant l’agonie du troisième acte, vécue avec un sens de la progression dramatique et un souffle remarquables.

Tout droit sorti d’un tableau viscontien, Alfred Reiter est un élégant Roi Marke, aux phrasés ondoyants, tandis qu’Alfred Dohmen prête à Kurwenal une onctuosité vocale et une humanité superbes. Inutile de chercher en Mihoko Fujimura, Brangäne légère de voix (présente dans la gravure Emi dirigée par Pappano avec Domingo et Stemme), les splendeurs ondulantes d’une Christa Ludwig ; plus appliquée, qu’inspirée, la cantatrice chante avec sincérité un rôle qui mérite cependant davantage d’implication.

A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Armin Jordan privilégie dès les premiers accords la rapidité, accélère la cadence et impose un élan et une élasticité instrumentale qui tourne le dos à la contemplation et aux étirements traditionnels. A l’opposé de Salonen, véritable alchimiste recherchant un discours minéral et magnétique (à Paris en 2005 avec Sellars, Meier et Heppner), Jordan regarde en avant, anticipe, prenant le risque de surprendre par une lecture nerveuse, parfois presque distante, à la limite de la froideur, mais tout aussi savante et parfaitement accomplie. Un moment rare.



   François LESUEUR

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