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Aristide Hignard 
(& Alfred Dusfresne)
 

JULES VERNE
MELODIES INEDITES

Françoise Masset (soprano)
Emmanuel Strosser (piano)

1 CD MIRAMARE n° MIR 001 - Publié en 2005


En cette année 2005, centenaire de la mort de Jules Verne, les livres affluent sur l'auteur le plus traduit de son vivant (cent langues en 1875). Biographies, essais et rééditions de ses soixante-trois Voyages extraordinaires envahissent les librairies, auxquels s'ajoutent moult films en DVD et livre-CD. Qui eut cru qu'un disque de musique titré "Jules Verne" surgirait dans les bacs, mettant pour l'une des premières fois le nom d'un librettiste, d'un poète, en "une" d'un enregistrement musical, et reléguant le compositeur en petites lettres ! A ma connaissance, seule la magnifique anthologie de Felicity Lott en 1985 procédait à cette inversion, avec pour titre Mélodies sur des poèmes de Victor Hugo (Harmonia Mundi HMC 901138).

La comparaison s'arrête là, car, outre que Victor Hugo est un poète subjugant, il bénéficie des talents accomplis de Bizet, Liszt, Fauré, Wagner, Delibes (un ami de Jules Verne), Saint-Saëns, etc. En somme une pléiade de compositeurs remarquables ! A l'époque de ces mélodies, Jules Verne - admirateur inconditionnel de Victor Hugo dont il recopiait les poèmes, au point que dans certaines éditions ont attribua à Verne quelques Orientales - est un écrivain qui se cherche, et Aristide Hignard un compositeur sans grand éclat. Le résultat relève donc de la curiosité.

En vérité, les textes de ces mélodies, aussi charmants soient-ils, n'ont d'intérêt que dans la mesure où on les lit avec les images et les enchantements de Michel Strogoff, du capitaine Nemo, d'Hatteras ou de Philéas Fogg... Les tirades enflammées de Nemo ou du Ker-Karadje (Les Naufragés du Jonathan) sont encore loin !

Ce sont de simples chansons de jeunesse (1847-1855), à l'époque où le jeune Verne (né en 1828), parti de Nantes pour Paris, cherche sa voie dans le théâtre. Nous sommes encore à quelques années de Cinq semaines en ballon (1862) qui lancera le romancier dans un genre qui le rendra célèbre. Pour l'heure, il s'acharne à percer dans le vaudeville, la tragédie, la comédie et les livrets d'opéras-comiques.

Aidé par Alexandre Dumas père, il obtiendra quelques succès d'estime au théâtre, mais rien dans le domaine lyrique, sinon une quarantaine de représentations en 1853 pour Le Colin-Maillard co-écrit avec Michel Carré et mis en musique par Aristide Hignard. Plus tard, Jules Verne reviendra au théâtre lyrique avec l'adaptation de ses romans, et notamment une version musicale (disparue ?) des Les Enfants du capitaine Grant composée par Louis Ganne longtemps célèbre pour Les Saltimbanques.

On peut donc se demander pourquoi son choix s'est porté sur Hignard, alors que Verne est à cette époque secrétaire du Théâtre Lyrique dirigé par Jules Seveste, qu'il est le camarade de Victor Massé ou Léo Delibes ? C'est qu'Aristide Hignard est son ami d'enfance, un Nantais comme lui, un compagnon de voyage, un fidèle des années difficiles. Avec lui, il écrit Les Compagnons de la Marjolaine (20 représentations), Monsieur de Chimpanzé, L'Auberge des Ardennes, La Mille et deuxième nuit, autant d'ouvrages lyriques peu ou pas montés sur scène.

On sait peu de choses d'Hignard et malheureusement le livret d'accompagnement de ce CD ne nous apprend strictement rien sur ce compositeur inconnu des non-spécialistes de Jules Verne.

En fait, Aristide Hignard est né le 20 mai 1822 à Nantes, rue Voltaire, non loin de la maison natale de Verne. Voisin de palier de l'écrivain à Paris, il effectuera avec lui deux voyages, l'un en Angleterre et en Ecosse, l'autre en Scandinavie. Le frère d'Aristide est en effet agent de compagnie de navigation... Au conservatoire de Paris, Hignard est élève de Jacques Fromental Halevy où il fera ensuite une excellente carrière de professeur, enseignant notamment la composition à Emmanuel Chabrier. En 1850, il obtient le second grand prix de Rome et l'année suivante, il fait représenter avec succès à Nantes Le Visionnaire, opéra-comique en un acte.

En 1868, il achève sa pièce maîtresse, son opéra Hamlet qui remporte le prix de l'Académie des Beaux-Arts en 1871. Mais Ambroise Thomas triomphe sans partage au même moment, qui plus est à l'Opéra national, avec son propre Hamlet. Vingt ans plus tard, en 1888, Hignard obtient de faire représenter son opéra au Théâtre Graslin de Nantes, alors dirigé par Monsieur Paravey qui découvre un ouvrage de valeur, malgré la faiblesse, dit-on, des parties chorales. Hignard est à la baguette, le ténor Lorant chante le rôle-titre, Mme Vaillant-Couturier, soprano, est Ophélie. Succès de cette unique représentation du 21 avril, malheureusement sans lendemain. Hignard meurt paralysé en 1898 à Vernon (Eure).

A l'écoute de ces mélodies de salon (comme de celle d'Alfred Dufresne qui conclut cet enregistrement) toutes publiées en partitions, on ne ressent, hélas, aucune grande émotion musicale. Un accompagnement très sage et une ligne mélodique sans imagination particulière... voilà qui relève plutôt de la curiosité pour les compositeurs oubliés de l'époque. Loin de Berlioz, nous sommes plus près de Thomas ou Halévy, sans l'invention mélodique de ces derniers.

On lit ainsi dans L'Illustration du 10 juin 1855 à propos de l'opéra-comique Les Compagnons de la Marjolaine, qu'Hignard "instrumente fort bien, n'abuse pas des trombones, ne s'embarrasse pas dans les détails d'orchestre, n'étouffe pas les voix sous la symphonie"... c'est tout dire et cela résume sans doute bien le musicien. Rappelons que Robert Pourvoyeur a publié en 2001 un riche article musicologique sur les partitions d'Hignard et sur sa collaboration avec Verne dans la revue Opérette.

C'est dommage pour Jules Verne, passionné de musique, surtout d'opéras et d'opérettes, qui se disait doté d'une voix de "fort-ténor". Il aurait peut-être pu faire une carrière parallèle dans le monde lyrique avec un compositeur plus audacieux.

Pour ce premier enregistrement mondial, Françoise Masset et Emmanuel Strosser sont parfaits, avec juste ce qu'il faut de distance mais aussi de complicité : masquant les faiblesses et relevant les qualités. On ne peut guère espérer mieux comme interprètes, et cela ravira les curieux, tout ceux qui ne connaissent pas Hignard, et tout ceux qui se passionnent pour Jules Verne. Les textes sont habiles, sentimentaux ou patriotes, bien écrits mais sans magie particulière, à l'instar de nombreux textes de lieder que le génie d'un Schubert ou d'un Strauss fait souvent oublier. L'enregistrement est d'une très bonne qualité et le livret bilingue propose tous les textes des mélodies avec quelques intéressantes illustrations.
  


Jean VERNE


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