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L'édito...
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LE VOYAGE D’ETE


Apprenant que j’écoutais le Winterreise de Schubert en plein juillet, un monsieur fort avisé s’étonna et me dit : « laissez tomber, le temps et la saison commandent ». J’aurais pu lui répondre qu’on met bien des glaçons dans le pastis mais, interloqué, je restai sans voix. Que la musique eût ses saisons, son climat, son moment propre me semblait assez absurde. Du reste cela rendrait particulièrement incommode l’écoute intégrale des Quatre Saisons de Vivaldi ou des Saisons de Haydn. Mais que dire de l’Oratorio de Noël, confiné au mois de décembre ? Et La Bohème, cette « Vigilia di Natal » ? Allons plus loin : pour écouter les Nocturnes de Chopin ou la Sonate au clair de lune, faut-il attendre que les enfants soient couchés ?

L’industrie du tourisme a répondu clairement à ces interrogations grotesques. Elle a répondu : NON. Grâce à elle, vous pourrez écouter les Nocturnes en digérant vos tartines à la confiture. Vous pourrez assister à La Bohème en étouffant de chaleur. Vous pourrez entendre les Vêpres de la Vierge l’après-midi. Vous pourrez déguster la Sonate au clair de lune au son des cigales et vous injecter une dose de Winterreise avant d’aller piquer une tête dans la piscine à 25 degrés. C’est bien.

Vous pourrez aussi regarder au fond des affres schumanniens avant de vous remettre avec un rosé bien frappé ; tâter du désespoir mozartien avant d’aller pincer les fesses de la députée sous les lampions ; vous saoûler aux perfections du madrigal vénitien avant de clapoter sur la plage. Avec un peu de chance, vous pourrez même attraper la finale de la coupe du monde entre deux actes de Tristan.

J’exagère, sans doute. Avec ce genre de raisonnements, on fermerait la plupart des festivals pour atteinte à l’intégrité musicale - à commencer par les Folles Journées, dont tout le monde sait que les coups qu’elle peut porter aux conditions d’écoute de la musique trouvent contrepartie dans un impact festif et pédagogique glorifié (sinon vérifié) chaque année. On supprimerait aussi les disques, qui permettent de se lever avec le Crépuscule des dieux et de se coucher avec L’Or du Rhin.

Et pourtant. Commandant à nos nerfs et à nos humeurs, la musique est un climat. Les compositeurs ont leurs saisons. Le Winterreise qu’on écoute les yeux rivés sur le bleu de la mer Egée n’a pas exactement ce givre qui vous glace l’âme. Chopin au grand midi n’est que galant, quand il nous dévaste la nuit venue. Schubert à l’apéritif… pourquoi pas Baudelaire en tricot de corps ? Il n’y a guère que les trompettes d’Aida qu’on peut écouter en short et jupette : ça fait égyptien

Cette année, une fois encore, je m’abstiendrai de vous lancer avec une bourrade paternelle sur les routes des festivals. Chacun est libre. Pour notre humble, très humble part, nous n’assisterons pas, dans l’air humide du soir, sur ces méchantes chaises de toile qui vous ruinent le dos pendant que les effluves de Mennen pour Hommes vous agacent les narines, à des séries de concerts où toutes sortes d’instrumentistes en bras de chemise et souvent chevelus à l’excès tentent désespérément de captiver un auditoire épuisé par une journée de plage, et d’attirer sa sympathie bonhomme avec quelques clins d’œil bien dosés, non sans lui infliger d’interminables heures de viole de gambe ou de piano romantique assommant ; lorsque le doux souffle de la nuit frigorifie l’assistance et ramène la douleur cuisante des coups de soleil, l’instrumentiste entame un bis populaire, arrachant à sa contrebasse les suaves accents de Mexico Mexico ou à son piano tétanisé les brillants accords d’Ah qu’il est beau le débit de l’eau, qui décroche un sourire complice aux dames rubicondes en paréo à fleurs.

Nous filerons à toute vitesse sur les routes d’Italie, avant de prendre le large, loin, à l’abri des festivals, ayant pour seule compagnie sonore celle du vent adriatique, le sifflement des voiles, le ronronnement amical de la mer venant caresser la coque du bon navire, voix mêlées où résonne l’écho des Sirènes – n’est-ce pas le seul opéra qui vaille en ces temps ?

Bon vent !

Sylvain Fort
Rédacteur en chef

 

 
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