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13 février 1883 : Mort à Venise

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13 février 2023

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« Si l’on se sent une âme de martyre, il faut vivre en Allemagne et mourir en Italie ». On prête à Cosima Wagner – à moins que ce ne soit à son père Franz Liszt – cette phrase définitive. Liszt, qui disait aussi que « toujours l’Italie sera le mal des belles âmes ». 

Le pense-t-il, Richard Wagner, lorsqu’il décide une fois encore d’aller dans la péninsule qu’il a tant arpentée ces dernières années ? Nous sommes à la fin de l’année 1879 et toute la troupe wagnérienne se prépare à partir pour Naples. Le compositeur y a loué la Villa Doria d’Angri, imposante bâtisse de style néoclassique et de construction relativement récente sur le flanc de la colline de Pausilippe, juste en face du Vésuve. Il compte y rester six mois pour travailler à son Parsifal et laisse derrière lui l’austère Wahnfried et ses mille soucis – évidemment toujours financiers – causés en partie par le gouffre que représente son grand théâtre bayreuthien, et qui l’oppressent.

A Naples, en fait de travail, Wagner se laisse plutôt aller. Il se promène beaucoup, visite les trésors dont regorge la région et notamment la luxuriante côte amalfitaine, au meilleur moment : en mai. A Ravello, on lui montre ainsi la villa Rufolo, aux sublimes jardins réalisés par un botaniste écossais trente ans auparavant, autour d’un palais faussement mauresque et au-dessus du scintillant golfe de Salerne. À la vue de ces jardins presque babyloniens, Wagner s’écrie : « J’ai trouvé le jardin de Klingsor ! ». Entre excursions et contemplation, il entreprend un ouvrage sur l’art et la religion, essai philosophique qu’il présente ainsi : « En réfléchissant sur les causes pour lesquelles mes succès même considérables et enviés, obtenus devant ce public, ne me satisfaisaient nullement, je crus me trouver sur la bonne voie. Il m’a été possible d’acquérir par ce moyen, la conviction que l’art véritable ne peut croître que sur le terrain de la véritable moralité ; aussi attribuai-je à l’art une mission d’autant plus élevée que je le trouvais absolument identique à la religion véritable ». Sacré Richard ! Il en profite pour achever son autobiographie, sobrement intitulée « Ma vie » qu’il dédicacera bientôt à Louis II de Bavière, avec qui il correspond toujours.

Son moral, lui, décline aussi sûrement que ce pauvre Amfortas avant que Parsifal n’appose la lance sur son flanc. Sa mélancolie n’est apaisée que par la visite de quelques amis, comme Humperdinck, futur copiste de Parsifal, ou le peintre Joukovsky, qui fait un portrait de Cosima resté célèbre et dessinera les décors du dernier opéra du maître. 

Venu à Naples chercher repos et calme, Wagner est bientôt rattrapé par ses ennuis de santé. Il a de plus en plus fréquemment de violentes douleurs à la poitrine à peine apaisées par les sonates de Beethoven que lui joue le pianiste Joseph Rubinstein. Son visage est vérolé par un eczéma récurrent qui le contrarie beaucoup. En août, tout ce petit monde quitte Naples et remonte vers la Bavière via Rome, Florence et surtout Sienne, où Wagner découvre la cathédrale et en désigne la coupole du dôme à Joukowsky qui l’accompagne, pour servir de modèle aux futurs décors des actes I et III de Parsifal.  Un mois plus tard, les voici à Venise, qu’il adore et où il s’installe au Palazzo Contarini delle Figure, près de Saint-Marc. Les Wagner n’arrivent à Munich qu’en octobre 1880. Le mois suivant, il doit assister à une représentation de Lohengrin voulue par le roi, devant qui Wagner dirige aussi le prélude tout chaud de Parsifal. Le roi le fait rejouer mais demande surtout qu’on lui exécute celui de Lohengrin, « pour comparer », contrariant suffisamment Wagner pour que ce dernier refuse de le diriger lui-même et ait une nouvelle crise d’angine de poitrine. Il ne reverra jamais Louis II.

Rentré à Bayreuth, il reprend enfin son opéra, dont il pressent que ce sera le dernier. Il en profite pour s’intéresser de près au dernier ouvrage de son ami le comte de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, dont les wagnériens fervents jurent qu’il n’en partage aucune des thèses, mais dont le contenu ne l’empêche pas d’inviter l’auteur à Wahnfried pendant tout un mois et même de proposer de financer sa réédition lorsqu’il se trouve épuisé. « Gobineau est mon seul contemporain » dira Wagner. On a connu distanciation plus marquée…

Or, au même moment, des violences antisémites éclatent à Berlin et on prétend que Wagner lui-même les aurait inspirées. Il s’en défend vivement : « Je suis absolument étranger au mouvement antisémite actuel : un essai de moi, qui paraîtra prochainement dans les Bayreuther Blätter, le prouvera de telle façon qu’il sera impossible aux gens intelligents de prétendre que j’ai des accointances avec ce mouvement-là. » écrit-il à Angelo Neumann, lui-même de confession juive et patron de l’opéra de Leipzig, qui s’apprête à diriger le Ring à Berlin. De fait, l’essai en question, dont le titre a des allures d’encyclique pontificale, Connais-toi toi-même paraît durant l’hiver 1881. Pendant tout ce temps, Wagner orchestre les deux premiers actes de Parsifal, dont les répétitions commencent à Bayreuth sous la direction d’Hermann Levi dès le printemps 1881. 

De sombres histoires conjugales et autres rumeurs de liaison entre Cosima et Levi rendent l’atmosphère irrespirable et Wagner rêve à nouveau du grand air ensoleillé de l’Italie. Cette fois, ce sera Palerme où la famille Wagner s’installe au très luxueux Grand hôtel des Palmes en novembre 1881. Le compositeur se sent renaitre et il entame l’acte III de Parsifal à peine arrivé. Malgré une mauvaise santé, il travaille si bien et si vite qu’il termine l’acte et donc l’opéra le 13 janvier 1882, juste avant qu’Auguste Renoir, de passage à Palerme, n’esquisse son célèbre portrait, que Cosima évoque dans son journal : « Cet artiste appartient à l’Ecole des Impressionnistes qui peignent tout en clair et, sous le soleil, il (Renoir) amuse Richard en faisant beaucoup de grimaces et en travaillant avec une telle nervosité que Richard lui dit qu’il est le genre de peintre que l’on trouve dans les Fliegende Blätter. Quant au résultat très étrange, bleu-rose, Richard dit qu’il a l’air d’un embryon d’ange avalé par un Épicurien qui croit que c’est une huître. »


Wagner par Auguste Renoir, le 15 janvier 1882

Wagner vit mal sa vieillesse. Bien qu’il désire revenir à Palerme tous les ans et y rester six mois tant il aime cette ville si riche de trésors et qui lui donne le sentiment de rajeunir, il subit de plus en plus souvent des attaques de poitrine qui le laissent angoissé et épuisé. La famille reste encore un peu à Palerme et dans ses environs avant de repartir pour le continent, via Naples et, bien sur, Venise. C’est lors de ce court séjour, en avril 1882, que Wagner découvre le palais Vendramin. Il décide d’y revenir après la création de Parsifal pour s’y installer durablement et composer de la musique instrumentale.


Le palais Vendramin-Calergi à Venise. Wagner résidait au premier étage

De retour à Bayreuth, le compositeur se concentre sur les préparatifs de la création de son opéra. La création a lieu le 26 juillet, avec grand succès. Après les reprises, toutes triomphales, les Wagner repartent donc pour Venise où ils arrivent le 16 septembre. Ils louent les 18 pièces du premier étage du palais Vendramin où ils reçoivent beaucoup et souvent. Liszt vient les rejoindre en novembre et c’est peu après que Wagner apprend l’invention du phonographe, qu’il condamne sévèrement.

Peu à peu, la mélancolie revient, comme à Naples, comme s’il voyait les sombres nuages venir vers lui, amenés comme un présage par la mort soudaine de son ami Gobineau. Liszt repart à son tour et il ne le reverra plus. Il reçoit le dernier opus de Nietszche, mi-compagnon de route, mi-adversaire, Le Gai savoir, dont il méprise le contenu dans lequel il ne voit que du mauvais Schopenhauer. Janvier 1883 est morose et le début de février ne s’annonce pas meilleur. Le compositeur s’intéresse désormais à l’ouvrage d’Auguste Bebel, Les femmes et le socialisme, qui est conforme à ses propres idées sur l’égalité hommes-femmes et l’obsolescence du mariage. Wagner projette même d’écrire un ouvrage sur le sujet qu’il pense intituler De la femme dans l’Humanité.

Ses crises de poitrine ne l’ont pas quitté. Elles se succèdent régulièrement et Wagner les surmonte en serrant les dents. Dans l’après-midi du  dimanche 11 février, il sort malgré le mauvais temps et revient épuisé, la main serrée sur la poitrine. Le lendemain, il subit une nouvelle crise le matin, qu’il surmonte suffisamment bien pour en plaisanter avec le docteur Keppler, qui vient le voir chaque jour. Ce même soir, il fait la lecture à ses proches et, à cette occasion, Joukovsky dessine un ultime croquis du maître.

Au matin du mardi 13, Wagner reste enfermé dans sa chambre. Il travaille à ce nouvel essai sur les femmes et demande qu’on ne l’attende pas pour le déjeuner de midi. Il sent une nouvelle crise arriver et dit à son valet de chambre : « il faut aujourd’hui que je fasse bien attention ». Dehors, il pleut des cordes. Joukovsky, venu pour le déjeuner, raconte dans une lettre à Liszt : « À deux heures, il nous fit savoir qu‘il avait sa crampe habituelle et nous demanda de nous mettre à table sans l’attendre. Nous étions tous gais comme à l’ordinaire ». Quelques minutes, Wagner sonne. La femme de chambre, Betty Bürkel, vient dire à Cosima que « Monsieur la priait de venir immédiatement ». La femme de chambre a vu Wagner prostré sur son bureau où il vient d’écrire ces deux mots, les derniers : « L’amour… Le tragique ». Son bonnet a glissé à côté de lui et il semble accablé par une crampe. À peine Betty repartie, il sonne à nouveau. Wagner demande dans un souffle  qu’on fasse venir immédiatement Cosima et un médecin, pendant que le valet de chambre, Georg, le porte à son canapé. Sa femme se précipite. Il souffre abominablement, réclame sa montre, qui a glissé de son gilet, pose la tête sur l’épaule de Cosima et meurt à 15h30. Il faudra plus de vingt-quatre heures pour convaincre Cosima de laisser la dépouille de son époux, pour pouvoir l’embaumer.

Trois jours plus tard, le corps est placé dans un cercueil, lui-même disposé sur une gondole tendue de velours noir qui le porte à la gare. Un train spécial ramène la dépouille à Bayreuth, avec des étapes durant lesquelles les couronnes de fleurs s’amoncellent. A Munich, ville qui l’a tant honni, une foule compacte et silencieuse accueille le catafalque, tandis que Louis II, bouleversé, demeure caché. 

A Bayreuth, le 18 février, toute la ville est là. Les funérailles sont grandioses et solennelles, et on enterre Wagner sous la neige, hors la présence de Cosima, dans le tombeau qu’il s’est fait construire dix ans auparavant.


Funérailles à Bayreuth

Le 14 février, Verdi, qu’on présente alors comme son plus grand rival et qui est le cadet de Wagner d’à peine 5 mois, reçoit la nouvelle. Sous le coup de cette dernière, il l’évoque le lendemain dans une lettre à son éditeur Ricordi : « Triste ! Triste ! Triste ! Wagner est mort. En lisant hier la dépêche, j’ai été terrifié, je peux le dire. N’en parlons pas. Un grand individu a disparu ! Un nom qui laissera une marque puissante dans l’Histoire de l’Art !!! Adieu, adieu ! »

Laissons peut-être le dernier mot à Guy de Pourtalès, qui clôt ainsi sa biographie de Wagner : « Sa musique avivait en chacun de nous une blessure. Elle nous appelait de l’autre bout du monde vers notre plus chère douleur. Nous découvrions que la terre n’a pour nous qu’une seule patrie, celle de nos sentiments. Tristan nous apparaissait subitement armé de notre amour et tendant vers nous son cœur comme une fleur mystique. Il devenait notre emblème, ce cœur. Il était notre Occident. Et, songeant au musicien qui avait tiré de son mal une consolation si durable, nous disions, comme après la mort du Pauvre d’Assise le peuple de l’Ombrie bénissant Saint François : Il exauce ceux que Dieu ne veut plus entendre ».

 

 

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