Le 17 janvier 1994, la région de Los Angeles est frappée par un violent séisme, dont l’épicentre se situe à Reseda, au nord de la grande ville de l’ouest américain. Cet événement dramatique agit comme un révélateur sur John Adams, qui vit en Californie, à Berkeley, depuis 1971. En effet, le compositeur s’intéresse aux ressorts de la société américaine, et plus particulièrement ceux qu’il observe à Los Angeles, avec ses profondes inégalités, ses immenses potentialités, ce condensé de rêve américain et de vérités amères.
Il projette donc d’écrire un opéra, mais ne souhaite pas se cantonner à une forme classique comme il venait de le faire avec son saisissant Death of Klinghoffer. « Après avoir composé deux grandes opéras, Nixon in China et The Death of Klinghoffer, j’ai réalisé que la seule forme véritablement indigène du théâtre musical américain était ce que nous appelons, faute d’un terme plus précis, le ‘musical’ ». Il veut que son opéra colle au réel et il travaille pour cela autour du langage de June Jordan, poétesse, essayiste et militante africaine-américaine, qui écrit le livret. C’est pour répondre à ce caractère direct, ancré dans les réalités sociales, qu’Adams adapte sa propre écriture musicale en se tournant vers le gospel et la pop music : c’est moins un opéra qu’un Song Play comme Adams l’appelle. « J’ai voulu m’éloigner du style opératique traditionnel et explorer des genres populaires américains : gospel, R&B, jazz, rock… avec une instrumentation proche de celle d’un groupe de musique populaire » dira-t-il.
C’est le témoignage direct d’une victime du tremblement de terre qui lui inspire le titre étrangement poétique de sa partition : I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky. En effet, pendant le tremblement de terre, ce témoin avait raconté qu’elle regardait son plafond, qui soudain s’est effondré, laissant entrevoir le ciel. Adams y voit la métaphore de nos propres changements intérieurs.
L’oeuvre raconte – dans des tableaux séparés – la vie de sept jeunes adultes vivant à Los Angeles dans un quartier multiethnique, traversé de tensions sociales et de racisme. Les personnages viennent de milieux variés : un prêtre latino, une immigrée sans papiers, un activiste noir, une avocate, un travailleur social blanc, une jeune mère latino etc. Ils sont confrontés à des dilemmes moraux, des conflits amoureux et à la violence urbaine — le tout dans le contexte du tremblement de terre, qui agit comme un catalyseur de changement.
Créé voici 30 ans au Los Angeles Theatre Center dans une mise en scène de Peter Sellars, le Song Play d’Adams et June n’est pas très bien reçu. Plusieurs critiques le jugent maladroit et, paradoxalement, trop superficiel. D’autres louent la capacité d’Adams à sortir des sentiers battus et proposer un style nouveau. Dans l’extrait de l’enregistrement dirigé par le compositeur, vous entendrez le solo de Tiffany, avocate afro-américaine qui a du mal à assumer sa position sociale qu’elle confronte à ses origines, et qui se pose ainsi beaucoup de questions.