S’il est riche de plus de deux cents opus, le catalogue de Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749) ne contient guère de « grandes formes » – et notamment pas d’opéra. Compositeur apprécié d’un Louis XIV vieillissant et de Madame de Maintenon, longtemps actif à Saint-Cyr, Clérambault a surtout brillé dans le domaine des airs spirituels, du motet, de la sonate et de la cantate, dont il fut l’un des grands maîtres. C’est à quatre de ces pièces de chambre que Reinoud Van Mechelen consacrait l’un de ses premiers disques à la tête de A nocte temporis, l’ensemble qu’il a cofondé avec la flûtiste Anna Besson, démontrant l’adéquation de sa voix lumineuse et de son approche sensible avec le climat d’Apollon ou de Pyrame et Thisbé (Alpha, 2017).
Ici, le chef et haute-contre s’attaque à deux gros morceaux qui, à notre connaissance, font leur entrée au catalogue discographique : un vaste Te Deum daté de 1745 et un bref oratorio sans doute plus âgé d’une vingtaine d’années.
Il s’agit du seul oratorio signé de Clérambault, alors qu’après la mort de Charpentier la France boudait le genre. Consacré à l’épisode de la femme adultère défendue par Jésus face à ses accusateurs juifs (« que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre »), il adopte le modèle initié par Carissimi en faisant appel à un Narrateur, quatre courts rôles solistes et un grand chœur qui conclut les deux parties.
Ce sont les interventions de ce dernier qui nous touchent le plus, particulièrement la seconde avec son alternance pré-haendélienne de blocs homophoniques, de passages fugués et de soli vocaux. Le reste pâtit d’une approche par trop suave, émolliente, privée de contrastes et de pathos – défaut qui, hélas, entachera tout l’enregistrement, et se voit accentué par une prise de son cotonneuse, réalisée dans un espace assez réverbérant.
Ce parti pris étonne encore davantage dans le Te Deum, pièce triomphaliste s’il en est. Selon Catherine Cessac, celui-ci aurait été écrit pour célébrer l’achèvement (très relatif) de l’église Saint-Sulpice conçue par Servandoni, mais il aurait pu aussi retentir pour fêter la victoire de Rocroy, à l’instar du Te Deum strictement contemporain d’Esprit Antoine Blanchard. La conception kaléidoscopique de Clérambault reste plus archaïque que celle de son cadet, plus tributaire du modèle lullyste, bien qu’extrêmement travaillée et riche en figurations – toute la seconde moitié, à partir du beau récit de basse « Tu ad liberandum », suivi du fugato « Aeterna fac » pour trois voix d’hommes, est remarquable.
Mais, là encore, on regrette que les solistes portent si peu la voix : nous sommes à l’église, que diable, et (soi-disant) dans une église vaste, pas dans un cabinet ! Certes, ils n’ont à affronter qu’un effectif orchestral (trop) léger – quinze instrumentistes – au sein duquel les flûtes usurpent parfois le rôle des violons. Cela n’empêche cependant pas Van Mechelen de scintiller lui-même dans l’air italianisant « Salvum fac populum », comme auparavant dans le bref rôle du Christ, tandis que Lisandro Abadie, éprouvé par des parties trop graves, ne fait que les effleurer et que la radieuse Gwendoline Blondeel savonne son « latin à la française ». Dépité par l’absence d’emphase comme de théâtralité (« Dignare Domine » bien timide de Guy Cutting), nous nous tournons à nouveau vers l’excellent Chœur de Chambre de Namur à dix-huit voix (réparties en cinq pupitres), préparé par Thibault Lenaerts, qui, lui aussi, trouve ses meilleurs moments dans les passages contemplatifs (« Te ergo quaesumus »).
Deux exhumations bienvenues mais abordées avec des pincettes…