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5 questions à Karen Vourc’h

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Interview
21 juin 2010

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Révélation lyrique aux Victoires de la musique 2009, la soprano Karen Vourc’h interprète actuellement Mélisande dans une nouvelle production de l’œuvre symboliste de Debussy dirigée par John Eliot Gardiner à l’Opéra-Comique1. Un personnage avec qui la jeune femme se sent intimement liée.

 

 

Vous jouez Mélisande ce mois-ci à l’Opéra Comique, est-ce une rencontre ?

Il y a toujours une rencontre avec les personnages que nous interprétons. Chacun d’entres eux est un mélange de ressemblance et de différence. Mélisande est un personnage très riche, sauvage. Cette femme traverse beaucoup d’épreuves. On la découvre blessée, apeurée, puis mariée, souvent triste mais aussi amoureuse et gaie. Elle subit la violence de son mari alors qu’elle est enceinte. Mélisande meurt d’amour. Interpréter un personnage aussi riche est un immense bonheur. Cela permet à la fois de développer un imaginaire incroyable et en même temps de se confronter à un caractère proche du mien. Je comprends Mélisande, ses silences, sa personnalité changeante mélancolique, douce, soudainement énigmatique, mais aussi joyeuse et enfantine. Tout ceci trouve une résonance en moi. Mais ce qui me fascine également, c’est ce que je ne comprends pas d’elle.

 

C’est un rôle que vous avez déjà interprété auparavant, l’abordez vous toujours de la même manière ?

Bien sur que non ! D’abord parce que j’évolue et que je vis des expériences qui modifient sans cesse ma façon de regarder le monde et les êtres. Ensuite parce que chaque metteur en scène apporte un point de vue différent. J’ai eu la chance de chanter ma première Mélisande avec Gilles Bouillon qui est un formidable directeur d’acteur. Cet homme m’a beaucoup donné, à la fois dans l’interprétation psychologique de Mélisande, mais aussi dans mon jeu de scène, ma façon de marcher, de m’asseoir, de regarder et surtout d’écouter. Un détail essentiel à prendre en compte lorsqu’on joue Mélisande car elle est très présente sur scène, mais elle chante très peu. Stéphane Braunscheig qui met en scène l’œuvre de Debussy à l’Opéra Comique est aussi un directeur d’acteur exceptionnel. Je suis comblée et je mesure vraiment ma chance. Cela n’arrive pas souvent dans les maisons d’opéra. Stéphane me donne un éclairage différent sur Mélisande, en particulier sur la façon de la rendre moins consciente de ce qu’elle vit. Elle n’est pas séductrice ni manipulatrice. Il émane d’elle ce charme qui attire Pelléas, cette tristesse aussi qu’elle ne comprend pas. Dans le fond, elle reste une énigme même pour elle. Elle le dit d’ailleurs souvent dans l’opéra et je crois qu’il est important de montrer qu’elle est perdue dans des sentiments qu’elle ne contrôle pas. Cela est évidemment une lecture, il y en existe d’autres, mais il s’agit du choix de Stéphane que j’approuve totalement.

 

Vocalement est-ce un challenge ?

Je ne sais pas si cela est un « challenge ». Je crois seulement que ce rôle demande vocalement plus d’attention qu’il n y paraît ! D’abord parce que justement Mélisande parle/chante peu. Il faut donc avoir le corps souple, prêt et continuellement dans la juste énergie durant tous ces moments de silence afin d’entrer dans les phrases de chant. Mélisande est un rôle où la moindre phrase acquiert une importance particulière. Cela donne envie de goûter chaque mot, chaque syllabe, chaque voyelle. En travaillant Mélisande ces derniers mois, j’ai retrouvé une approche similaire de la vocalité de Mozart parce que cette écriture demande une ligne de chant très pure, une très grande clarté d’émission. Ce travail est passionnant à faire d’autant plus que la tessiture de Mélisande est très centrale, sans difficulté particulière. Il est donc possible donc d’essayer des couleurs, de prendre des risques.

 

Parlez nous de Debussy, un univers et un compositeur particulier ?

J’ai toujours un peu de mal à répondre à des questions de musicologie. Je crois que je ne suis pas encore débarrassée d’un complexe d’ex-scientifique qui n’a pas grandi dans la musique. En plus je suis du genre perfectionniste, j’aurais besoin de lire toutes les biographies et les correspondances de Debussy afin de m’autoriser à répondre à la question ! Cela étant pour parler de Pelléas – qui est quand même à part dans sa production – je crois que Debussy était en effet très admiratif de Wagner et de la forme de ses leitmotivs. Nous avons par exemple un certain nombre d’analogie entre Tristan et Pelléas. Je crois que Debussy a même voulu aller « au delà »  de Wagner, dans le sens ou Wagner utilisait un thème par personnage ou par émotion. Debussy a voulu mêler des leitmotivs de façon moins évidentes, plus subtiles. Cela aide et conduit parfois la mise en scène, par exemple une intervention du thème de Golaud, dans une scène ou il n apparaît pas, afin d’indiquer la peur de Mélisande. Sir John Eliot Gardiner a décidé aussi de bouleverser entièrement la disposition des musiciens d’orchestre dans la fosse. De cette façon, chaque instrument, chaque voix se distinguent particulièrement, comme en musique de chambre. Je pense que cette version va être tout à fait exceptionnelle.

 

Parlez-nous de votre carrière aujourd’hui. Comment vous sentez-vous vocalement ?

Cela ne m’intéresse pas de parler de ma carrière. J’ai même du mal à utiliser le mot carrière en parlant de moi. J’ai l’impression de parler de quelqu’un d’autre ! Lorsque je suis montée la première fois sur scène après avoir arrêté mes études de Physique, j’ai vécu un évènement incroyable, presque magique. Il m’a fallu quelques années pour me rendre compte que cela devenait mon métier et qu’il pouvait durer, faire partie de ma vie. Ma victoire de la musique l’année dernière a été un véritable électrochoc. Elle a fixé un élément du réel là ou il n’y avait encore que songe et fantasme. Je prends conscience depuis un an de mes limites, de mes qualités, de mes faiblesses. Vocalement, je suis beaucoup plus sélective dans le choix des rôles et très exigeante dans ma préparation. J’ai découvert (mieux vaut tard que jamais) qu’il ne me suffisait pas d’avoir les notes d’un rôle pour bien le chanter. J’ai vraiment besoin d’aimer le rôle dramatiquement et si possible d’être entouré d’un chef et d’un metteur en scène de qualité et bienveillant. Peut-être est-ce beaucoup demander ! Si une de ces conditions n’est pas remplie, je me suis rendue compte que je n’étais pas heureuse sur scène. Ce qui se traduit immédiatement chez moi par une performance médiocre. Cela demande donc de faire des choix. Concrètement, j’essaie de ne pas enchaîner les productions, j’essaie d’être plus exigeante, plus sélective sur les projets que j’accepte, tout simplement pour être heureuse, et offrir sur scène le meilleur de moi même.

 

Propos recueillis par Raphaëlle Duroselle

 

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© DR

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