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Franco Fagioli : « De Cavalli à Puccini, je perçois une ligne historique continue »

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Interview
8 septembre 2016

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A partir du 14 septembre, Franco Fagioli interprètera au Palais Garnier le rôle-titre dans Eliogabalo de Cavalli. Et à la fin du mois sort son nouveau disque consacré à Rossini. Le contré-ténor sera aussi l’invité des Grandes Voix au Théâtre des Champs-Elysées le 4 novembre prochain.


A l’automne 2013, vous formuliez deux vœux pour l’avenir : interpréter la musique de Rossini et chanter au Palais Garnier.

Et ça y est, nous y sommes ! Cette interview pour Forum Opéra d’il y a trois ans a dû me porter chance… Ces désirs, ces belles aspirations que j’exprimais vont se réaliser, et je suis absolument ravi de proposer au public ce nouvel enregistrement d’airs de Rossini.

C’est un nouveau départ pour vous ?

Oui et non. D’abord, à Martina Franca en 2011, j’ai déjà eu l’occasion d’interpréter le rôle que Rossini a écrit pour un castrat dans Aureliano in Palmira. Et surtout, je considère que c’est en fait un retour à mes origines. Quand j’ai commencé à faire des études de chant en Argentine, j’ai d’abord travaillé le bel canto romantique, c’est dans cette esthétique-là que j’ai fait mes débuts, pas uniquement dans Haendel, pas uniquement dans la musique baroque. Et j’ai eu la chance de rencontrer des professeurs qui ont compris qu’il y a vait dans ma voix quelque chose qui pouvait très bien convenir aux partitions du XIXe siècle. Je dois beaucoup à mon maître, le baryton Ricardo Yost, qui enseignait à l’école du Teatro Colón, où l’on entretenait un lien très fort avec la grande tradition italienne du chant. Un jour, alors qu’il m’écoutait, il m’a dit : « Toi, tu devrais essayer Arsace, dans Semiramide ». J’ai été très surpris car je n’avais pas du tout prévu ça, mais j’ai pris pour la travailler la partition de l’air « Eccomi in Babilonia ». J’ai été très impressionné, j’ai pensé : « Mais oui, ça marche pour ma voix, voilà ce que je voudrais chanter ».

Alors pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?

En Argentine, en tant qu’étudiant, je travaillais aussi bien Haendel que Bellini, Donizetti, leurs mélodies surtout. Mais quand je suis arrivé en Europe, j’ai dû me conformer à ce que les gens attendent d’un contre-ténor. Donc j’ai chanté du Haendel, qui est un compositeur que j’aime beaucoup, bien sûr. Et ma carrière a commencé uniquement dans cette voie. Mais pour moi, quand je chantais les opéras du XVIIIe siècle, ce que je faisais venait du bel canto.

On aurait pourtant pu penser que vous enregistreriez plutôt les airs écrits pour castrat par Rossini et ses contemporains.

Bien sûr, il y avait Velluti, le dernier castrat star, au début du XIXe siècle : c’est un personnage auquel je compte me consacrer dans deux ans. Et c’est d’ailleurs par lui que je suis arrivé à Rossini, à force d’étudier des partitions, mais aussi de façon plus imaginative. On peut voir que Rossini avait une réelle admiration pour la grande époque des castrats, le XVIIIe siècle. Sa musique reflète une véritable nostalgie de cet âge d’or, qui s’épanouit autour des élèves de Porpora. Et lui, au début du XIXe siècle, il compose des opéras qui conservent un parfum baroque, comme inspiré par un certain regret du passé. Je m’explique : Rossini a écrit pour Velluti un rôle dans Aureliano in Palmira et dans la cantate Il vero omaggio, mais l’époque des grands castrats était révolue. Pourtant, il a continué à écrire des operas serias, en respectant cette convention qui voulait que le personnage principal masculin soit confié à une voix aiguë. Il n’aurait pas procédé autrement s’il y avait encore eu des castrats en son temps.

Donc selon vous, Rossini a écrit « par défaut » pour des mezzo-sopranos ?

Ce n’est pas si simple. Déjà du temps de Haendel, certains rôles masculins étaient créés par des femmes. Sesto, dans Giulio Cesare, fut chanté dès la première par une cantatrice. Mais quand on pense par exemple au Roméo de Bellini – attention, je ne suis pas en train de dire que je vais chanter I Capuleti e i Montechi ! –, on peut se demander si tous ces personnages n’ont pas été inspirés par la nostalgie des castrats. Et si vous regardez la tessiture d’Arsace dans Semiramide, vous constaterez qu’elle est identique à ce qui était écrit à la même époque pour Velluti. Voilà pourquoi, pour ce disque Rossini, que j’ai conçu comme une sorte de voyage imaginaire, j’ai choisi d’interpréter une sélection de rôles travestis, créés par des femmes au début du XIXe siècle.

De Tancredi, vous avez retenu une aria alternative à la place de « Tanti palpiti ». Vous n’avez pas osé enregistrer cet air si connu ?

J’ai surtout eu envie de faire entendre des opéras de Rossini que l’on joue peu. Bon, il y a l’air d’Arsace, qui est à peu près le seul air connu à figurer sur le disque. J’aurais beaucoup aimé enregistrer « Mura felici » de La donna del lago, mais c’est un opéra qu’on commence à donner un peu partout. Alors qu’Adelaide di Borgogna, on ne peut le voir qu’à Pesaro. Et le pasticcio intitulé Eduardo e Cristina est presque encore plus rare !

Pensez-vous que les rôles travestis des opéras de Rossini doivent être chantés par des contre-ténors ?

Je ne dis pas du tout ça ! Mon disque Rossini ne signifie pas que tous les contre-ténors peuvent chanter cette musique, ni que les théâtres doivent en engager pour ces rôles. Ce CD reflète simplement un parcours personnel. Il montre ce que je crois pouvoir faire avec ma voix et ma personnalité. Toutes les timbres de contre-ténor ne conviennent pas à Rossini. Si je chante cette musique, c’est parce qu’elle me paraît adaptée à ma voix. Après Arsace à Nancy, j’espère pouvoir aborder d’autres rôles rossiniens, tous ceux qui me vont, en tout cas.

Après vous être fait connaître dans la musique du XVIIIe siècle, vous élargissez votre répertoire en débordant sur le siècle suivant, mais aussi sur le précédent, puisque vous tiendrez prochainement à Paris le rôle-titre dans Eliogabalo de Cavalli.

Ce n’est pas vraiment une nouveauté, car j’ai déjà chanté du Cavalli : Il Giasone, à Chicago. Et j’ai aussi interprété du Monteverdi, Le Couronnement de Poppée, Le Retour d’Ulysse.

Comment abordez-vous cette musique du XVIIe siècle, des premiers temps de l’opéra ?

Pour moi, il n’y a pas de rupture dans la tradition lyrique italienne. De Cavalli à Puccini, je perçois une ligne historique continue, une forme qui se développe, une discours musical qui évolue selon le goût du temps, mais il y a toujours un point commun, celui auquel on revient toujours : la déclamation. Mettre dans les paroles le son de la voix, chanter sur le souffle, c’est la base constante. Même dans Rossini, quand je chante l’air d’Arsace, je déclame toujours, « Eccomi in Babilonia », j’articule des syllabes, des consonnes et des voyelles, par-delà l’ornementation propre à un style de musique.

Vous ne faites pas de distinction dans votre pratique du chant ?

Dans ma tête, je ne procède pas à des séparations nettes, il n’y a pas la case Mozart, la case Haendel, etc. Je pense toujours à la genèse du genre : l’opéra est né du théâtre grec, de la déclamation. Chaque discours a sa spécificité, et ses difficultés, mais il s’agit toujours de dire en chantant. Le bel canto n’est pas né au XIXe siècle, et quand j’interprète Cavalli, je l’approche en me replaçant dans l’idée du « beau chant » telle qu’elle pouvait exister en son temps.

Vous parlez de difficultés : quelle est la musique la plus difficile à interpréter, pour vous ?

Sans hésitation, ce que j’ai chanté de plus difficile, c’est la musique napolitaine écrite pour des voix comme celle de Caffarelli. En novembre sortira mon enregistrement de l’Adriano in Siria de Pergolèse, et c’est une partition terriblement exigeante dans sa virtuosité, vraiment. Pour Cavalli, en revanche, c’est plus que jamais sur la déclamation que je concentrerai mon attention.

Tant qu’à élargir votre répertoire, envisageriez-vous de chanter des œuvres de notre temps, comme le font régulièrement Xavier Sabata ou Bejun Mehta ?

Ce que j’ai chanté de plus moderne, c’était une œuvre de mon compatriote Osvaldo Golijov, Ainadamar, que j’ai interprétée en 2010 au Teatro Argentino de La Plata. Cet opéra évoque l’amitié qui unissait Federico Garcìa Lorca avec l’actrice Margarita Xirgu. Là encore, je tenais un rôle initialement écrit pour une femme, puisque le personnage de Lorca est généralement interprété par une mezzo ! J’en garde un excellent souvenir : ce fut une très belle expérience parce qu’il s’agissait de musique contemporaine mais très chantable.

Vous pourriez demander à un compositeur vivant de vous écrire une partition sur mesure.

Pourquoi pas. Je suis ouvert à toutes les propositions, à condition de pouvoir tomber amoureux de cette musique. Même pour un opéra contemporain, je suis très attaché à une certaine italianité du chant, à l’idée de bel canto, toujours !

Maintenant que vos deux vœux vont être réalisés, vous êtes un homme comblé ?

J’ai la chance d’avoir pu chanter de très belles œuvres dans le répertoire qui me convient. Bien sûr, je veux continuer à explorer la musique baroque. De Mozart, j’ai chanté Sesto et Idamante, mais je pourrais aussi aborder Ramiro dans La finta giardiniera. L’essentiel est que le public comprenne bien qu’il s’agit à chaque fois du résultat d’une décision personnelle, d’interpréter chaque rôle à ma manière, avec ma voix. Dans Il trionfo del tempo e del disinganno de Haendel, à Aix-en-Provence, je tenais le rôle de Piacere, qui n’avait pratiquement jamais été confié à un homme.

Et Rossini ?

Pour Semiramide, le projet est né en discutant avec Nancy, après y avoir fait La clemenza di Tito. Maintenant, ce que j’aimerais beaucoup chanter, c’est La donna del lago. Voilà, vous êtes prévenus !

Propos recueillis et traduits le 2 juillet 2016

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