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Hector Berlioz, celui qui ne voulait (presque) pas être critique

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Feuilleton
21 janvier 2019
Hector Berlioz, celui qui ne voulait (presque) pas être critique

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Episode 1 : Rêveries-passions

Peu épargné par les critiques de son temps, aussi controversé en France qu’encensé en Europe (notamment dans les pays germaniques), Hector Berlioz est un critique prolifique qui laissera plus de 900 articles, si l’on en croit Dallas Kern Holoman, spécialiste du compositeur. Plume de premier ordre, théoricien fameux de l’orchestration et de la direction d’orchestre, Berlioz s’illustrera aussi dans son feuilleton du Journal des Débats. Nous nous concentrerons ici sur le regard, à la fois sèvère et indulgent, qu’il porte sur l’art lyrique et ses créateurs.


Hector Berlioz. Lithographie d’Etienne Carjat © DR

« Fatalité – Je deviens critique ».

Voici comment Berlioz titre le 21echapitre de ses Mémoires, parlant d’une « roue d’engrenage » l’ayant conduit à se lancer en 1830, à la demande d’Humbert Ferrand, pour la Revue européenne. Après une – courte – résistance vaincue par la nécessité d’améliorer un ordinaire assez chiche, Berlioz accepte de « défendre le beau » et d’attaquer ce qui ne l’est pas. « La composition musicale est pour moi une fonction naturelle, un bonheur. Ecrire de la prose est un travail ». Il éprouve ainsi mille difficultés à concevoir ses articles, les reprend, les rature, les refait. Il lui faut en moyenne deux jours pour en réaliser un, même lorsqu’il se dit enthousiasmé. Il commence doucement, en écrivant des éloges admiratifs sur ses héros : Spontini, Beethoven, Weber et surtout Gluck. Puis, peu à peu, il commence à connaître les difficultés « de cette tâche dangereuse qui a pris avec le temps une importance si grande et si déplorable dans (sa) vie ». 

Il est vrai que Berlioz, à bien des égards, est un cas à part. La tension que provoque chez lui ce travail jugé ingrat et qui lui est pourtant nécessaire  le poussera même, comme le raconte son ami et grand admirateur Ernest Reyer, jusqu’aux portes du suicide. Il s’en plaint amèrement dans son autobiographie, au point qu’on peut se demander pourquoi il s’infligeait une telle torture, et ce alors même que dans son article pour le Journal des Débats du 9 juin 1849, il écrit : « J’ai une passion pour la critique, rien ne me rend heureux comme d’écrire un feuilleton, de raconter les mille incidents dramatiques, toujours piquants, toujours nouveaux d’un livret d’opéra (…). Malheureusement je ne sais rien prendre avec modération, et cet âpre plaisir que je trouve à écrire des feuilletons tournant évidemment à la manie, à l’idée fixe, eût pu avoir les conséquences les plus désastreuses si je ne m’étais arrêté à temps et si je n’eusse pris la résolution de résister à cet étrange entraînement avec une énergie désespérée». 

Il s’amuse autant qu’il souffre. Il n’est jamais plus heureux que lorsqu’il décrit avec une ironie parfois très grinçante les mœurs musicales de l’époque, qu’il s’agisse des compositeurs ou des interprètes. Il n’y a qu’à lire ses amusantes « Soirées de l’orchestre ». Et il n’est pas tendre avec le public non plus, surtout le parisien, qu’il juge souvent absolument ignare, ou l’italien qui fait à peu près tout sauf écouter la musique qui est donnée. 

Lire les articles de Berlioz sur les premières représentations d’œuvres nouvelles auxquelles il a assisté donne une idée certes superficielle mais non moins claire de l’étendue d’un répertoire aujourd’hui totalement disparu : L’An Mil de Grisard, Le Remplaçant de Batton, Eva de Girard et Coppola, La Maschera de Kastner et tant d’autres.

Ces articles sont aussi des bijoux littéraires, qu’il écrit comme s’il s’agissait d’un roman ou d’une nouvelle, avec style, esprit et mordant.

Berlioz est un boulimique, il voit tout, entend tout, écoute tout, décortique chaque livret dans le détail (en s’en moquant un peu au passage, comme dans le Marie Stuart de Louis Niedermeyer :  « Les marins chantent, comme dans le Tableau parlant :

Déjà les vents s’apaisent,
Les voilà qui se taisent.

Pourtant il faut un peu de vent, si léger qu’il soit, pour porter la reine en Ecosse, puisque les bateaux à vapeur ne sont pas encore inventés. A propos de bateaux à vapeur, on va faire bientôt une expérience qui… Pardon, pardon, ma folle, il n’est pas question d’invention moderne, il s’agit du nouvel opéra ».

Si bien que les feuilletons sont souvent fort longs, pleins de digressions étonnantes qui parlent de tout autre chose avec une grande verve, mais toujours avec précision et méticulosité.

Tous gluckistes !

Gluck, c’est, comme il le dit, le “Jupiter de [son] Olympe”. Dans trois articles d’octobre 1835 (dont deux consacrés à son Alceste), il reprend les thèmes chers à Gluck et que ce dernier avait théorisés dans la préface d’Alceste : mettre la musique au service de la poésie, de l’action, des sentiments. Pour Berlioz, la fameuse querelle entre gluckistes et piccinistes n’avait pas de sens : Piccini appliquait les principes de Gluck. Tout comme Mozart l’a fait à de rares exceptions près ; et aussi Beethoven, et Weber et tous les Salieri, Sacchini, Mehul ou Kreutzer. Mais Berlioz n’est pas idolâtre : Gluck, trop soucieux de la qualité de l’expression avait parfois pu en oublier la mélodie, notamment lors des récitatifs, que Berlioz trouve trop languissants. Gluck prétendait qu’une ouverture devait montrer aux spectateurs le sujet abordé, ce que Berlioz conteste : l’ouverture peut montrer des atmosphères, des ambiances, des sentiments, mais elle ne saurait les expliquer. C’est toujours l’action et donc le chant, qui le permettra le mieux. Mais ce ne sont là que des remarques secondaires. Pour tout le reste et donc pour l’essentiel, Gluck surpasse tous les autres.

Le Panthéon

Dans ses idéaux lyriques, à part Gluck, on trouve à peine Mozart, mais surtout Weber, dont le Freischütz est une œuvre « irréprochable, constamment intéressante d’un bout à l’autre » et Beethoven. Il admire particulièrement Fidelio, présenté à Paris seulement en 1860, dont il loue la « profondeur du sentiment de l’expression ». Et puis il y a Spontini. Quelques semaines après la mort de ce dernier (24 janvier 1851), il souligne dans un article en forme d’éloge funèbre plein de révérence, qu’en dépit de l’influence fondamentale de Gluck, le compositeur italien n’en avait pas moins su développer un style propre qui ne devait rien à personne, mais qui empruntait au chevalier le sens du drame,« dont l’inspiration grandissait avec l’importance des situations, avec la chaleur des sentiments, avec la violence des passions qu’il avait à peindre ». Il lui fallait un sujet de la trempe de La Vestale pour déployer son génie et devant cette partition, Berlioz se « prosterne » littéralement. Trouve-t-on çà et là dans cette oeuvre des fautes harmoniques ? Ce ne sont pour Berlioz que de « magnifiques hardiesses ». Quelques incorrections de style ? Il faut être mesquin pour les trouver et encore n’en compte-t-on que deux minuscules, « pure distraction » de leur auteur.

Et lorsqu’on descend du Panthéon, que trouve-t-on ?  : prochain épisode : L’enfer (ou le paradis), c’est les autres.

 

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