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Le directeur de casting, alchimiste des distributions

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Actualité
5 mai 2016

Infos sur l’œuvre

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Qui choisit les chanteurs qui tiennent les différents rôles d’un opéra ? Josquin Macarez, directeur de casting à l’Opéra de Limoges, nous explique l’art de concocter une distribution.

Comment devient-on directeur de casting ?

Il n’y a pas de parcours-type, c’est avant tout un métier de passion. Plusieurs directeurs de casting sont d’anciens chanteurs qui se sont reconvertis. Pour ma part, j’ai découvert l’opéra à six ans, cela a été un véritable choc et le virus m’a pris. Bien sûr, il faut avoir fait de solides études musicales, bien connaître la musique, l’histoire de la musique et de l’opéra, savoir parfaitement déchiffrer une partition, connaître très bien le répertoire et la voix.  J’ai suivi un cursus en classes à horaires aménagés musique durant toute ma scolarité jusqu’en seconde, apprenant le solfège, l’analyse, jouant de la trompette, chantant en maîtrise et jouant dans un orchestre. Je n’ai jamais souhaité devenir chanteur, en revanche j’ai toujours chanté. Quand j’ai déménagé à Montpellier pour mes études, je suis entré dans la classe de chant du conservatoire, en même temps que Marianne Crebassa. Par la suite, j’ai pu faire mes preuves lors de différents stages et ainsi me faire une place dans le milieu.

Directeur de casting, c’est une activité à plein temps ?

Tout dépend de l’activité de la maison d’opéra. En fait, j’ai deux casquettes. A Limoges – comme à l’Opéra de Saint-Etienne auparavavant – j’ai un poste de permanent mais à temps partiel. Le reste (et la plupart) du temps, je suis le délégué artistique de Laurence Equilbey pour les deux ensembles qu’elle a créés : Insula orchestra et accentus. Auprès d’elle, je m’occupe également du casting de chanteurs mais mes fonctions vont bien au-delà. A Limoges, mon rôle concerne exclusivement les chanteurs même si je participe à la réflexion globale aux côtés d’Alain Mercier. Je suis parfois amené à construire des programmes avec les chanteurs, comme pour un concert Offenbach en décembre dernier où j’avais élaboré un programme uniquement composé de raretés. Quand Venera Gimadieva a donné un récital de bel canto en octobre dernier, j’ai tenu à lui faire chanter un extrait de la rare Maria Padilla de Donizetti.

Quand démarre le processus de recrutement ?

Dans une maison de taille moyenne comme Limoges, chaque saison est planifiée deux ou trois ans à l’avance. En ce moment, nous travaillons sur la saison 2017-2018, et nous avons déjà des options pour la suivante. En général, le directeur choisit une ligne directrice pour sa saison. Le choix des ouvrages correspond à ses désirs, à une cohérence artistique, et aux contraintes budgétaires. Je participe aux discussions sur les titres, les metteurs en scènes ou les chefs.

Une fois ces choix arrêtés, en quoi consiste votre travail ?

Il est très variable, selon que l’on travaille sur un grand titre du répertoire (Carmen, Le Barbier de Séville…), une œuvre oubliée (Les Barbares, Le Mage…) ou la création d’un opéra pas encore écrit ! Quand il s’agit d’un ouvrage que je ne connais pas encore bien, je commence toujours par lire la partition piano-chant, j’écoute des enregistrements si il en existe (ce qui n’était évidemment pas le cas pour un ouvrage comme Le Mage de Massenet). Je reviens ensuite au livret et parfois à l’œuvre littéraire dont il est tiré. Je me renseigne sur les créateurs des rôles. Et je consulte le conducteur (la partition d’orchestre), pour étudier dans le détail ce à quoi les chanteurs auront affaire.

C’est donc un travail en solitaire ?

Dans un deuxième temps, je rencontre le metteur en scène, pour qu’il me raconte son concept, pour discuter de ce qu’il souhaite faire, s’il a des recommandations particulières pour les rôles. Par exemple, lorsque l’on a monté Werther à Saint-Etienne, Laurent Fréchuret voulait avoir toutes les générations sur scène, depuis les enfants, bien sûr, groupe dont Sophie est encore proche, deux adolescents pour Brühlmann et Kätchen, deux jeunes gens pour Charlotte et Werther, puis le bailli en père de famille, ensuite Schmidt et Johann encore un peu plus âgés, et enfin le pasteur dont on fête les 80 ans au deuxième acte et sa femme. Le résultat était vraiment enthousiasmant ! Je discute aussi avec les chefs, directeur musical de la maison ou chef invité.

Et c’est seulement alors que vous pouvez chercher des interprètes pour les différents rôles ?

Exactement. Quand j’ai toutes les informations en main, le véritable travail de casting peut commencer. Dans une maison de taille moyenne, nous n’avons pas les moyens d’engager des stars. Mais c’est tout l’intérêt pour moi : découvrir des nouveaux chanteurs ou lancer des plus expérimentés dans de nouvelles prises de rôles ! Ce que je trouve vraiment intéressant, c’est de rassembler une distribution homogène, et où tous les chanteurs sont pensés en fonction des autres. C’est la que repose la réussite du spectacle. En fait, tous les rôles sont importants. Par exemple dans Le Barbier de Séville, Fiorello est un personnage secondaire qui n’a qu’une seule scène, mais c’est avec lui que tout commence, alors si l’interprète n’est pas très bon, ça peut plomber toute la soirée. Et j’ai vu quantité de Traviata où l’on réunit trois grandes stars séparément, et où finalement aucune émotion ne passe, car il n’y a aucune alchimie entre les chanteurs.

Ces chanteurs, où allez-vous les chercher ?

Pour commencer, je vais au spectacle presque tous les jours. Pas qu’à l’opéra d’ailleurs ! Par rapport à une audition, l’intérêt d’une représentation est de voir les chanteurs en situation. Ils sont plus libérés, on se rend compte si la voix passe l’orchestre dans une grande salle, et on peut aussi juger le jeu d’acteur. Tous les jeunes chanteurs n’ont pas l’occasion de se produire sur scène, c’est pourquoi les auditions restent indispensables par moment. Mais c’est un exercice très difficile, un moment de stress où le chanteur peut perdre ses moyens. J’organise des auditions ciblées et je me déplace aux auditions organisées par les agents ou dans les conservatoires supérieurs. Et puis il y a les opéra-studios, l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, ceux de Strasbourg,  Zürich, Londres, et même le Young Artists Program du Bolchoï où j’étais l’année dernière. J’assiste aussi à des concours de chant (dans le jury ou non). Je vais souvent voir les élèves dès la deuxième année au CNSMDP.  J’ai ainsi découvert le ténor Enguerrand de Hys quand il passait sa licence, j’ai trouvé qu’il avait un potentiel très intéressant et lui ai tout de suite proposé des troisièmes plans, puis des seconds plans. Quand je remarque quelqu’un, et si la voix évolue bien, j’essaie de le suivre. C’est ainsi que j’accompagne Florian Sempey depuis ses 21 ans, il viendra d’ailleurs faire une nouvelle prise de rôle à Limoges la saison prochaine.

Vous vous fiez uniquement à votre jugement ?

Je pense avoir un panorama très large des artistes qui travaillent en France. En revanche c’est difficile d’avoir un œil partout, et c’est là que les agents m’aident : j’ai noué de bonnes relations avec des agents en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis… Je les ai régulièrement au téléphone ou je les vois quand eux ou moi sommes en déplacement. Je leur demande s’ils ont découvert de nouveaux talents et on parle de certains chanteurs, pas forcément de leur agence, d’ailleurs.

Quand je pense à un artiste pour un rôle précis, je contacte son agent pour connaître ses disponibilités, et négocier les conditions financières. Je sais précisément combien je peux proposer à tel ou tel, en fonction de son parcours et surtout en fonction de nos moyens budgétaires. Pour tous les aspects financiers et administratifs, je passe par l’agent. Pour parler artistique, j’ai des discussions personnelles avec les chanteurs. Il faut parfois arriver à les convaincre. Par exemple, pour Eugène Onéguine à Limoges, les chanteuses pressenties pour Olga n’étaient pas prêtes à répondre aux attentes du metteur en scène, Marie-Eve Signeyrole, pour cette production.

En général je choisis l’interprète principal en premier (par exemple Violetta dans Traviata) et construis ensuite l’équipe autour, en fonction de sa personnalité, de sa voix.

Quand vous avez trouvé tous les chanteurs d’un spectacle, votre travail est-il terminé ?

En principe la distribution est bouclée 18 mois avant la première répétition. Or, pendant ce temps-là, il peut se passer beaucoup de choses : une chanteuse peut tomber enceinte, un chanteur peut avoir un accident, ou perdre sa voix parce qu’il a trop forcé… C’est pourquoi la première répétition, la « musicale », est très importante pour moi. J’y assiste toujours, évidemment, pour accueillir les artistes, mais surtout pour voir comment ça se passe. En général, on voit tout de suite s’il y a des problèmes, même si les chanteurs sont amenés à s’économiser pendant les premières répétitions scéniques. Quand quelque chose ne marche pas, il vaut mieux prendre une décision rapidement. Si nous devons le remercier, c’est alors à moi d’annoncer qu’on ne peut pas poursuivre avec lui. Heureusement c’est rare.

Ensuite, votre présence n’est plus nécessaire ?

Je laisse se faire les premières semaines de répétitions scéniques et je reviens pour les premières répétitions d’orchestre, et notamment pour « l’italienne », première répétition où l’orchestre rejoint les solistes. Cette séance est très importante. Elle permet à l’orchestre d’entendre enfin les voix, de mettre en place les choses musicalement et de régler la balance entre le plateau et la fosse. Pour les chanteurs, ils peuvent enfin se tester face à l’orchestre, surtout pour ceux qui sont en prise de rôle. C’est le moment où ils peuvent voir s’ils ne s’épuisent pas ! C’est le deuxième test vocal après la « musicale ».

Durant la série de représentations, il peut encore se passer plein de choses : tel artiste a un accident, tel autre devient aphone… Je dois alors trouver une solution d’urgence. Quand il s’agit d’une œuvre de répertoire, c’est relativement facile : on sait qui l’a chantée récemment et on peut donc trouver quelqu’un. Soit le chanteur connaît déjà la mise en scène, soit il l’apprend en une journée, soit il chante à l’avant scène et quelqu’un mime le rôle. C’est plus compliqué pour les raretés où nous n’avons pas les moyens d’avoir une doublure. Pour Le Mage de Massenet à Saint-Etienne, Luca Lombardo qui venait de chanter magnifiquement les italiennes a commencé à se sentir mal à la pré-générale, et il s’est retrouvé cloué au lit par la fièvre. Nous avons fait la générale sans lui, tout en cherchant quelqu’un. Ce n’était pas facile, car évidemment aucun ténor ne connaissait l’œuvre, et le rôle est monstrueusement lourd. Luca nous a finalement sauvé en acceptant de chanter, alors même que les concerts étaient enregistrés en vue d’une sortie discographique. Dans ces moments de stress, il faut agir vite, on n’a pas vraiment le choix.

Vous assistez aux spectacles ?

Oui, notamment pour les raisons que je viens d’évoquer. Les agents viennent aussi écouter leurs artistes lors des représentations, c’est l’occasion pour moi de les rencontrer, de faire un bilan et d’évoquer des projets futurs. Je veille à engager des gens avec qui je sais que tout va bien se passer sur le plan humain, pour qu’il y ait une bonne ambiance. Les chanteurs d’une production travaillent ensemble tous les jours pendant deux mois donc il vaut mieux qu’il y ait une cohésion d’équipe.

Avez-vous une opinion dans la controverse sur l’emploi des chanteurs français ?

Nous avons d’excellents chanteurs en France, mais il faut savoir que financièrement, un artiste étranger qui a un formulaire de détachement de sécurité sociale coute beaucoup moins cher. On passe de 50 % de charges (voire plus) pour un Français, à seulement 5% pour un étranger qui a le formulaire en question ! Ce n’est en aucun cas pour moi un critère de recrutement, mais c’est un fait, c’est le système actuel qui veut ça.

Pour Le Barbier de Séville à Saint-Etienne, nous avions l’honneur d’avoir Alberto Zedda à la baguette.  Pour les trois premiers rôles, je tenais à avoir trois jeunes artistes français qui débutaient plus ou moins, et le résultat s’est avéré formidable pour les spectateurs comme pour les artistes : Gaëlle Arquez chantait son tout premier opéra de Rossini, Florian Sempey a ensuite repris cette production à l’Opéra de Paris et a été invité par Alberto Zedda à chanter le rôle de Figaro à Pesaro. Quant à  Philippe Talbot, il a failli bisser le grand air « Cessa di più resistere »

Par ailleurs, je considère que permettre à de jeunes artistes de débuter dans un rôle est un peu notre devoir dans ces maisons de tailles moyennes : pour Lakmé à Saint-Etienne, il n’y avait que des prises de rôle, à l’exception de Mistress Benson. Et bien sûr, que des chanteurs francophones ! Pour Così fan tutte à Limoges, j’ai dû remplacer le Guglielmo. Philippe Estèphe, un jeune baryton français très prometteur, a ainsi interprété son premier grand rôle dans une maison d’opéra.

J’ai noué de fortes relations avec des chanteurs français que j’accompagne depuis leur début. Florian Sempey et Marianne Crebassa donc, mais aussi Chiara Skerath, Alexandre Duhamel ou encore Stanislas de Barbeyrac avec qui nous avons trois projets prévus dans les 12 prochains mois. Ils m’appellent aussi régulièrement pour me demander conseils sur des propositions de rôle qu’on leur fait.

Je suis content d’avoir des chanteurs germaniques ou parfaitement germanophones quand on programme une œuvre du répertoire allemand, surtout un Singspiel. Pour les ouvrages russes ou anglais, aussi, il est bon d’avoir des artistes plus fidèles à la couleur voulue par le compositeur. A l’inverse, il me paraîtrait aberrant de monter des ouvrages français en France avec des non-francophones, même si je n’exclus pas d’en avoir un ou deux dans une distribution. Quand il s’agit d’un artiste comme Jonas Kaufmann, personne ne se plaindra de la qualité de son français, mais j’ai vu en France des Carmen assez étonnantes du point de vue linguistique…

 

Propos recueillis le 12 avril 2016

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