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Magdalena Kožená : « J’apprécie de revenir au baroque, car je m’y sens chez moi »

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Interview
2 mars 2017
Magdalena Kožená : « J’apprécie de revenir au baroque, car je m’y sens chez moi »

Infos sur l’œuvre

Détails

Depuis le 28 février et jusqu’au 13 mars, Magdalena Kožená est de retour à Paris pour lI ritorno d’Ulisse de Monteverdi. C’est l’occasion de faire le point sur une carrière internationale qui l’a un peu éloignée d’une capitale où on l’a beaucoup entendue il y a une quinzaine d’années.


Quand vous avez commencé le chant, imaginiez-vous que vous auriez un jour une  carrière internationale ?

Absolument pas ! Pourtant, la musique a toujours été ma passion. Quand j’étais enfant, j’étudiais le piano et je chantais dans un chœur professionnel, mais je pensais que je deviendrais pianiste car, au chœur, on nous disait très clairement que nous ne pourrions pas poursuivre dans cette voie. Mais il y a cette anecdote que les journalistes aiment bien : juste avant un examen de piano, je me suis cassé une main, donc je me suis résignée à faire du chant. L’année suivante, j’ai pu également être acceptée en classe de piano au conservatoire, mais entre 14 et 18 ans, j’ai découvert que le chant était ma vraie vocation. A 16 ans, j’ai rencontré un luthiste, nous avons formé un duo spécialisé dans le musique de la Renaissance, nous nous sommes mis à donner des concerts dans de petites églises, ça marchait bien et j’ai même commencé à gagner modestement ma vie.

Et c’est ainsi que l’on vous a ensuite découverte en spécialiste du baroque.

Pourtant, à l’université, j’ai étudié le bel canto, et tous les styles, mais comme j’étais membre de plusieurs ensembles baroques, cette musique-là était un peu ma passion. Evidemment, quand je me suis mise à travailler avec des personnalités comme Marc Minkowski, John-Eliot Gardiner ou Nikolaus Harnoncourt, le baroque occupait tout mon emploi du temps. Mais peu à peu j’ai abordé d’autres types de musique. Et si j’ai débuté comme une sorte de spécialiste, je ne pourrais pas aujourd’hui ne chanter que dans un style. J’aime faire des choses variées, mais j’avoue que j’apprécie toujours de revenir au baroque, car je m’y sens chez moi, c’est le répertoire qui me semble le plus naturel.

On a un peu l’impression qu’entre Mozart et le XXe siècle, il n’y a pas grand-chose pour vous à l’opéra.

Je chante un peu moins Mozart ces temps-ci, mais ce n’est pas par choix. Ce sont un peu les hasards de la vie : j’ai trois enfants, je n’ai pas envie d’être constamment absente, donc je participe à peu de nouvelles productions d’opéra. Malgré tout, j’ai récemment fait La Clémence de Titus, je reprendrai bientôt le rôle d’Idamante, et je pourrais essayer Elvire (il y a un Don Giovanni en projet, mais qui n’a pas encore été confirmé). Je n’évite pas Mozart, mais il arrive un moment où l’on sent que l’on n’a tout simplement plus l’âge d’être Cherubino ou Dorabella. Je dis toujours que, dans les opéras de Mozart, ce sont les récitatifs que je préfère ! C’est formidable d’avoir de beaux airs à interpréter, de pouvoir montrer sa virtuosité, mais mon objectif n’est jamais la pure beauté sonore, je cherche avant tout à raconter une histoire. C’est pour ça que je suis attirée aussi par la musique du début du XXe siècle, parce que le texte y est plus important, parce que les rôles y sont plus intéressants sur le plan du théâtre. En récital, j’essaye toujours d’inclure du Debussy ou du Ravel, des compositeurs qui me fascinent.

Au sein de votre carrière, Carmen fait un peu figure d’exception.

En fin de saison, au Staatsoper de Berlin, je vais participer à une version scénique de La Damnation de Faust, que je n’avais chanté qu’en concert jusqu’ici. J’aimerais beaucoup être Charlotte dans Werther, et il y a d’autres œuvres françaises que je pourrais interpréter, mais elles ne sont pas si souvent montées, ce qui est dommage. Quant à Carmen, on me l’avait proposé plusieurs fois, notamment à Glyndebourne, mais à des moments où je ne me sentais pas prête. Finalement, quand mon mari [Simon Rattle] me l’a demandé, j’ai accepté, mais je savais parfaitement que je n’avais pas le profil attendu pour le rôle et que cela ne plairait pas à tout le monde. Mais c’est un personnage tellement extraordinaire ! Et je pense que l’image que l’on s’en fait n’est pas la seule vision possible : Carmen a été écrit pour l’Opéra-Comique, et absolument pas pour une mezzo poitrinante. Si vous regardez les autres protagonistes, Micaëla, Escamillo, ils ont des airs à chanter, mais Carmen n’a que des chansons de cabaret, en quelque sorte : elle vient d’ailleurs, elle n’a pas sa place dans leur monde. Donc je trouve ça très bien quand l’artiste qui interprète Carmen n’est pas non plus à sa place ! A Vienne, des gens m’ont même remerciée d’avoir eu le courage d’être une Carmen différente. Des amis se sont étonnés que je tente cette entreprise, qui ne m’a pas valu que des éloges, mais je n’opte pas toujours pour la sécurité, et je peux permettre d’affronter le désaccord du public ou des critiques. J’ai beaucoup appris en travaillant un rôle qui ne correspond pas exactement à ma personnalité.

Comme vous venez de le dire, vous êtes mariée à un célèbre chef d’orchestre : cela a-t-il changé votre vie, ou votre carrière ?

Il est bien difficile de dire ce qui me serait arrivée si je n’avais pas fait ce choix ! Ce n’est pas toujours la chose la plus facile au monde, car nous sommes tous deux très occupés, et nous travaillons à des endroits différents. Quand en plus on a trois enfants, vous pouvez imaginer que les questions purement logistiques sont déjà assez complexes. Pour le reste, je ne pense pas que cela ait changé grand-chose à ma carrière, mais c’est formidable de vivre avec quelqu’un qui connaît votre métier et qui en comprend les difficultés.

Avez-vous encore le temps de chanter dans votre pays natal ou d’en défendre le répertoire ?

En fait, il n’y a pas beaucoup de rôles pour moi dans l’opéra tchèque. J’ai chanté Varvara dans Katia Kabanova, mais c’est à peu près tout. Les compositeurs tchèques aimaient trop les sopranos dramatiques ! J’espérais qu’après trois maternités, un bouleversement surviendrait dans mon corps, qui me permettrait de devenir soprano dramatique, mais ça n’a pas été le cas… Des mélodies de Dvořák ont été orchestrées pour moi, et j’essaye de persévérer dans cette voie. Je m’intéresse notamment aux compositeurs morts dans les camps durant la Seconde Guerre mondiale, comme Pavel Haas ou Hans Krása… Je donne régulièrement des concerts en République tchèque. J’ai failli participer à plusieurs productions, mais hélas, ils n’ont pas l’habitude de prévoir les choses aussi longtemps à l’avance, et ces projets sont tombés à l’eau quelques mois avant l’échéance. J’adore chanter là-bas, ce sera toujours mon pays, où j’ai mes racines, même si je vis désormais à Berlin.

On vous voit rarement sur scène à Paris.

C’est vrai. Vous savez, dans le monde du chant, il y a des modes, et Paris est une ville où ces modes comptent beaucoup. A une époque, avec Marc Minkowski, j’ai beaucoup chanté ici, mais surtout en concert. En 1999, il y a eu Aix-en-Provence, où j’ai fait Le Couronnement de Poppée (je prévois d’y retourner prochainement car c’est un endroit merveilleux) et j’ai assuré la réouverture du Châtelet avec Orphée de Gluck. Mais je n’ai jamais chanté à l’Opéra de Paris.

Votre dernière participation à un spectacle parisien remonte à 2007, avec Pelléas et Mélisande.

Oui, et c’était déjà au Théâtre des Champs-Elysées, où je reviens pour ce Retour d’Ulysse. C’est la première fois que je travaille avec deux femmes, et en chantant le rôle d’une femme, ce qui ne m’arrive pas si souvent. J’adore les discussions que j’ai pu avoir sur mon personnage avec Mariame Clément. J’aime les metteurs en scène qui ne se contentent pas d’avoir leur concept, mais qui le nourrissent par toute une réflexion, qui cherchent à donner une cohérence à leur travail, en reliant les différentes interventions d’un personnage pour former un tout qui a du sens. Cela paraît logique de procéder ainsi, mais ce n’est vraiment pas toujours le cas. C’est la première fois que j’interprète Pénélope, qui me faisait l’impression d’être une femme un peu ennuyeuse, qui passe son temps à se lamenter. Et je ne pouvais pas admettre que tout le monde sauf elle reconnaisse Ulysse. C’est là que Mariame a eu cette excellente idée : Pénélope a reconnu son mari, bien sûr, mais aussitôt après elle l’a vu massacrer les prétendants. Et cet Ulysse-là n’est pas celui qu’elle a connu auparavant. C’est en ce sens qu’elle ne le reconnaît plus, qu’elle ne veut pas de cet homme-là. Cela rend le personnage beaucoup plus intéressant à jouer, car Pénélope est sous le choc, elle doit traverser un long processus pour retrouver l’Ulysse d’autrefois. Quant à Emmanuelle Haïm, j’ai déjà travaillé plusieurs fois avec elle, notamment récemment encore, ici-même, pour un concert de musique baroque française. Elle essaye toujours de mettre tout le monde à l’aise, elle tente de soutenir les chanteurs pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes. Là encore, ce n’est pas toujours le cas, il y a des chefs qui imposent leur autorité, et rarement avec de bons résultats.

Vous avez participé à deux concerts-spectacles montés par Peter Sellars. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

C’est une expérience inoubliable. J’adore le travail de Peter, j’avais travaillé avec lui pour un Idoménée à Glyndebourne, en 2003. Ce qu’il a réalisé sur les Passions de Bach est exceptionnel : il parvient à faire naître les émotions les plus profondes en chacun, et pas seulement parmi les chanteurs. Il inclut aussi tout l’orchestre, les instrumentistes devaient apprendre leurs solos par cœur et ils étaient partie prenante du spectacle. Quand on participe à une de ces « ritualisations », on n’a pas simplement l’impression d’interpréter une partition, mais plutôt d’être pris à l’intérieur d’un vaste ensemble de choses, d’un questionnement sur la compassion, l’humanité, le vivre-ensemble… On n’a pas l’impression de jouer un rôle, mais d’être, tout simplement. Et la musique de Bach est si extraordinaire, elle ne vous donne jamais l’occasion de vous mettre en avant, donc là aussi on fait partie d’un tout. Et pour Pelléas, dont l’univers est déjà si étrange, la musique ne réclame ni effets de lumières ni costumes extravagants pour rendre l’œuvre plus intéressante. En plus, la distribution était incroyable, j’avais les meilleurs partenaires possibles, Gerald Finley en Golaud, Christian Gerhaher en Pelléas…

On vous a également vue dans de petits rôles à Baden-Baden, le musicien dans Manon Lescaut ou la deuxième Dame dans La Flûte enchantée.

J’y ai également chanté Octavian, en 2015. Mais soyons honnête : parfois, j’apprécie de pouvoir passer un peu de temps avec ma famille tout en travaillant. Et on oublie que, dans le passé, beaucoup de chanteurs célèbres s’accordaient parfois un répit en n’interprétant pas que de très grands rôles. Les gens pensent qu’on ne devrait accepter que des rôles énormes dès lorsque l’on devient connu, mais c’est très sain de ne pas toujours être soumis au même degré de stress. Et puis dans La Flûte enchantée, les autres dames étaient Annick Massis et Nathalis Stutzmann, ce qui en dit long sur le luxe que peut s’autoriser le festival de Baden-Baden !

Dans un avenir beaucoup plus lointain, prévoyez-vous de chanter jusqu’à un âge avancé, quitte à interpréter des personnages de vieille dame, comme l’ont fait certaines de vos illustres consœurs ?

Je n’en ai aucune idée ! Tant que je peux apporter quelque chose, tant que ma voix fonctionne, je souhaite continuer à chanter. J’adore mon métier et j’ai du mal à imaginer que je devrais arrêter. C’est sans doute formidable de pouvoir enseigner lorsqu’on ne fait plus carrière, mais je ne m’y suis encore jamais essayée, et il y a beaucoup de grands chanteurs qui ne sont pas de grands professeurs. Nous verrons bien, il viendra peut-être un temps où je n’aspirerai plus qu’à faire du jardinage !

Quels sont vos projets dans un avenir plus immédiat ?

Je vais donner les Folk Songs de Berio à Bruxelles, sa Sequenza pour voix et les Poèmes de Mallarmé de Ravel à Berlin, puis les Chants bibliques de Dvorak à Munich, sous la direction de Jiri Belohlavek. A plus long terme, il y a beaucoup de rôles haendéliens que je n’ai encore jamais chanté : Sesto est le seul que j’ai joué (j’ai également enregistré Giulio Cesare), mais je n’en ai chanté aucun autre en scène. J’attends, je suis sûre que ça viendra !

Et au disque ?

J’enregistre des chansons de Cole Porter avec un groupe de jazz tchèque qui reconstitue les arrangements originaux. Je ne suis pas du tout tentée par le crossover, je n’aime pas que les chanteurs d’opéra essayent de s’inventer une autre voix, mais je pense que Cole Porter peut être interprété de plusieurs manières. J’ai entendu Frederica Von Stade le faire de manière tout à fait charmante, et je ne cherche pas à me faire passer pour une chanteuse de jazz. Pour donner ce programme en concert, j’avais travaillé sur le phrasé, sur le rythme. Je me suis beaucoup amusée, et quand des gens m’ont dit qu’il fallait l’enregistrer, je me suis laissé persuader.

Vous reverra-t-on bientôt à Paris ?

Oui, je reviens en septembre pour un tout autre projet. Quand je préparais Carmen, j’ai fait les choses très sérieusement. Je voulais savoir ce qu’on ressent lorsque l’on est espagnole, lorsque l’on est une gitane, alors je suis allée à Xérès et j’ai appris à danser le flamenco. Ce voyage m’a permis de rencontrer des musiciens, nous sommes devenus amis, et je proposerai donc ici, au Théâtre des Champs-Elysées, un concert de musique baroque espagnole. Le TCE est un peu devenu ma maison à Paris ! J’ai déjà chanté dans votre merveilleuse Philharmonie, dont je trouve l’acoustique formidable, et j’y serai l’an prochain pour The Dream of Gerontius, sous la direction de Daniel Harding. J’adore cette partition d’Elgar, que j’ai déjà chantée plusieurs fois, mais j’ai été assez surprise et honorée qu’on me sollicite pour ce qui est d’ordinaire la chasse gardée des mezzos britanniques. Enfin, j’imagine que c’est l’un des avantages d’être l’épouse d’un chef d’orchestre anglais !

Propos recueillis et traduits le 27 février 2017

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