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Malena Ernman, l’acrobate

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Actualité
18 juillet 2016

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Pour bien démarrer ce (tardif) été, voilà une perle qui ne se prend pas trop au sérieux alors qu’elle en aurait franchement les moyens. Malena Ernman est une chanteuse tout terrain : du baroque à Weill et même l’Eurovision en passant par Rossini et Mozart, du contralto à la soprano ou la chanteuse de variété, cette actrice à l’énergie dévorante déploie un chant animal et ravageur, non exempt d’autodérision.

Ce qui la distingue le plus, c’est la nature physique de son chant. On répète souvent que les chanteurs sont de grands sportifs pour dire à quel point leurs muscles respiratoires sont surentrainés, c’est d’autant plus vrai pour Malena Ernman qui interprète toujours ses personnage en se demandant comment ils se déplaceraient, comment ils habiteraient leur enveloppe charnelle. De cette conception découle un chant très incarné et circonstancié physiquement. Tant et si bien que son timbre ne sera pas le même si elle joue un homme ou une femme. Cela relève de l’évidence pour des acteurs mais pour des chanteurs qui sculptent patiemment leur voix pendant des années, la travestir relève de la gymnastique la plus dangereuse. Si elle attire immédiatement la sympathie de beaucoup, ces mêmes qualités peuvent aussi agacer : souvent plus sportive que spirituelle, elle se jette à fond dans les délires de certains metteurs-en-scène ou de certains chefs qui abêtissent musique et drame. Et la gymnaste de renoncer à toute la délicatesse et la subtilité de l’artiste. En bonne acrobate, il faut donc lui tendre des trapèzes pour guider une vivacité qui tourne sinon facilement à l’entropie, à la démonstration vaine. Ce fût le talent de William Christie ou de René Jacobs qui ont immédiatement perçu tout ce qu’une voix avec un tel ambitus dans un corps d’actrice effrontée pouvait produire de spectaculaire. Autre ombre au tableau, on ne chante hélas pas impunément tous ces répertoires aux techniques si différentes sans abimer son timbre et son agilité, et si elle reste une combattante aux moyens impressionnants, l’artiste y a perdu quelques plumes au grès des différents horizons esthétiques où l’a mené sa liberté. Cette grande liberté fait qu’elle a aussi finalement peu chanté le répertoire baroque, mais sa personnalité est si forte qu’elle est restée inoubliable dans beaucoup de ses rôles. Abordons-en quelques-uns.

C’est en Néron cocaïnomane qu’elle fut révélée au grand public, dans la mythique production signée David McVicar et René Jacobs de l’Agrippina de Handel. Vocalises ultrarapides et musclées, sens du théâtre et du contraste qui donne tout son sens à la seconde partie hallucinée de l’air, aisance scénique qui a confondu un public médusé par une telle androgynie. Elle prouve dès le début qu’elle sait aussi bien caracoler que suggérer, tenir une ligne de chant en suspens et jouer du mystère d’un personnage. C’est d’autant plus vrai dans son premier air. Contrairement à « Come nubo » où le futur empereur se compare à un nuage emporté par le vent, ce premier air le voit se remettre entièrement dans les mains de sa terrifiante mère pour obtenir le pouvoir. Elle y incarne parfaitement le monstre dompté, presque touchant (les débuts berçants de chaque phrase), et pourtant déjà plein des atrocités qu’il commettra (les vocalises de plus en plus puissantes sur « ascendero »).

Autre rôle d’adolescent handelien, Sesto dans Giulio Cesare. Etrangement elle choisit de le chanter de façon très grave, alors que ce registre est assez étouffé chez elle, surtout en comparaison de ses aigus fulgurants. Et pourtant cela fonctionne : son Sesto est impétueux, écrasant ses doutes et sa timidité puérile sous son devoir de piété filiale. Les graves concassés et appuyés sont ceux d’un adolescent qui veut faire croire qu’il est un adulte, qu’il est digne de son père – conviction hallucinée que le regard intense de Malena Ernman rendait de façon poignante lors du concert. Elle alourdit volontairement son air d’entrée, « Svegliatevi nel core », de graves poitrinés et énergiques avant de prendre appui sur eux pour reprendre ses invectives avec encore plus de véhémence. Puis vient le « Cara speme », incarné comme rarement, derniers échos – avec le duo qui conclut l’acte – de l’enfance pour celui que les évènements ont précipité hors de l’adolescence. Mais c’est surtout « L’angue offeso » qui emporte la mise, accompagnée par un orchestre superlatif, elle traduit parfaitement le rapprochement avec cet animal humble à la puissance rampante qui n’a de repos qu’après la vengeance. Enfin « L’aure che spira » la voit fulminer avec une superbe virevoltante. A travers ces différents airs, elle prouve que virtuosité ne rime pas nécessairement avec superficialité et dresse le portrait sincère et crédible d’un personnage en pleine transformation.

Pour Lichas, compagnon d’arme d’Hercules qui cause involontairement sa mort en lui portant la tunique de Nessus, Malena Ernman densifie et assombrit son émission à l’excès. Le timbre devenu très mat perd en pouvoir de séduction mais pas en ductilité, ce qui lui permet de sculpter avec beaucoup d’intentions ses paroles. Notamment dans cet air où le personnage tente de redorer le blason d’Hercules auprès de sa femme jalouse, en évoquant l’éclat des étoiles qui disparait soudainement : elle y décoche des aigus fugaces qui confèrent un relief étrange à son discours.

En concert, elle a également interprété l’air ou Déjanire veut rejoindre son mari qu’elle croit mort aux enfers. Ici tout est plus léger, lumineux et surtout féminin. Même si le rôle est beaucoup moins grave que celui de Lichas, cette comparaison illustre à quel point ses interprétations sont nourries de la caractérisation des personnages avant d’être liées à un compositeur ou un chef.

Autre exemple avec la Didon de Purcell. Elle ne cherche pas à inventer une nouvelle interprétation psychologique alors que tant d’autres se sont illustrées avant elle dans ce rôle, mais ancre entièrement son jeu et son chant dans la chair mourante, le terrestre, cette reine n’a rien d’éthérée, sauf sur son dernier souffle. Ecoutez comme, pour sa mort, la puissance de sa voix est modulée au fur et à mesure que la vie s’échappe de son corps, et comme le souffle semble peu à peu se désincarner et finalement disparaitre, comme de la buée en hiver, c’est comme si chant et vie quittaient sa gorge au même instant. C’est une mort à la fois très concrète et poétique.

Dans son récital Opera di Fiori où elle chante à peu près tout ce qui lui fait plaisir, elle aborde notamment le grand air de la Reine de la Nuit de Mozart. S’il est bien entendu qu’elle ne se le permettrait sans doute pas sur une scène d’opéra, elle y livre une vision tout aussi solide et ancrée dans la colère, avec la même hargne qu’une Edda Moser, et fait oublier des aigus bien présents mais souvent étranglés, ce qui tient du tour de force pour un tel air.

Concluons dans le léger comme promis en ouverture de cet article. Notre suédoise a été numéro un des ventes dans son pays avec une chanson variéto-lyrique qui l’a emmenée jusqu’à l’Eurovision. Dans un exercice délicieusement kitsch et récurrent (la Roumanie a récemment envoyé au même concours un contre-ténor pour jouer d’un similaire mélange des styles), elle alterne entre ses deux voix avec une agilité rafraichissante, même si la partition sirupeuse colle un peu.

Et notre acrobate a aussi rendu hommage aux sportifs de son pays dans un medley sans aucun intérêt artistique mais assez hystérique où elle égrène des noms de joueurs, dont celui d’un certain Zlatan. On comprend qu’il ait, depuis ce moment fondateur, acquis un égo surdimensionné.

 

Discographie baroque

2004
HANDEL, Hercules – Christie (DVD BelAir)

2009
PURCELL, Dido & Aeneas – Christie (DVD Fra Productions)

2011
Récital, Opera di Fiori – Sjökvist (RoxyStar)

2013
Récital, Miroirs – Spinosi (Deutsche Grammophon)

2014
MOZART, Cosi Fan Tutte – Currentzis (Sony Classical)

Interprétations diffuseés uniquement à la radio

HANDEL, Agrippina – Jacobs (Paris 2000 & 2004 ; Bruxelles 2002) & Bicket (Barcelone 2013)
HANDEL, Giulio Cesare – Jacobs (Paris 2008) & Goodman (Drottingholm  2001)
HANDEL, Serse – Spinosi (Vienne 2011)
SCARLATTI A., La Griselda – Jacobs (Paris 2000)

Son site web : www.malenaernman.com

Son compte Twitter (surtout en suéduois) : https://twitter.com/malena_ernman

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