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Maometto II, un sultan peu rossinien

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Actualité
13 juillet 2017
Maometto II, un sultan peu rossinien

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Pour leur Maometto II, Rossini et son librettiste Cesare della Valle, duc de Ventignano, adaptent en 1820 une pièce  de ce dernier, Anna Erizo. L’opéra a pour cadre Negroponte, possession vénitienne et actuelle île d’Eubée, dans le sud-est de la Grèce. Le 7e sultan ottoman Mehmet II (ou Mahomet II), « le Conquérant », y mit le siège en 1470, durant la guerre qu’il menait contre Venise.

Mehmet II a en quelque sorte régné deux fois. Né à Edirne en 1432, il est le 4e fils du sultan ottoman Mourad II. En 1444, ce dernier abdique et se retire, laissant le trône au jeune Mehmet, qui n’a que 12 ans. Malgré son jeune âge, ce dernier s’illustre déjà par les armes, puisque durant ce premier règne, il doit affronter les croisades menées par les Hongrois de Jean Hunyadi. Il adjure son père de revenir l’aider à repousser les envahisseurs, en lui écrivant dans ces termes : « Si vous êtes le sultan, alors vous devez venir prendre le commandement de vos armées. Si je suis le sultan, alors je vous ordonne de revenir prendre le commandement de mes armées ». Poussé par le grand vizir Çandarli Halil Pacha, Mourad II s’exécute et remporte la célèbre bataille de Varna, en novembre 1444. Il restera finalement sur le trône 6 ans de plus et mourra en 1451. Mehmet peut désormais gouverner sans partage. C’est alors un jeune lettré qui écrira des poésies et qui parle déjà au moins six langues.

Il entame cependant d’emblée un règne de conquêtes militaires dont la première est un coup de tonnerre mondial : la chute de Constantinople le 29 mai 1453 après 57 jours de siège, qui porte un coup fatal à l’empire romain d’Orient. Mais l’ambitieux sultan ne s’arrête pas là et multiplie les campagnes  : en Serbie, où il remporte une victoire décisive à Smederevo (1459) ; en Morée, qu’il conquiert à la fin des années 1450 – épisode qui voit également la chute de Corinthe – ; autour de la mer Noire ou en Valachie, avant la Bosnie ou l’Albanie. En 1463, il profite d’un prétexte pour entrer en guerre contre la République de Venise, qui tient solidement de nombreuses possessions en Méditerranée orientale. Cette guerre, la plus longue de son règne, durera seize ans et c’est dans ce cadre que le (vrai) siège de Negroponte intervient, en juin 1470.

L’île compte alors 4000 habitants. Elle est bel et bien gouvernée depuis deux ans par Paolo Erizzo, noble vénitien âgé d’une cinquantaine d’années, lequel comptait auprès de lui un certain Alvise Calbo, personnages présents dans l’opéra de Rossini. Della Valle ne les avait donc pas inventés. On n’est pas certain, en revanche de l’existence d’une Anna Erizzo : au moment du siège de Negroponte, Mehmet avait déjà épousé cinq femmes dont il avait eu quatre enfants. Mais une légende née dès après la chute de la ville, raconte l’histoire de la fille de Paolo Erizzo, dont le sultan était tombé amoureux mais qui l’avait repoussé. On trouve cette légende dans La prise de Negroponte de Loonicus Calcondyla au milieu du XVIe siècle, puis dans les Annales turques de Sansovino. Le jésuite français  Pierre Le Moyne racontera la même histoire dans sa Galerie des femmes fortes en 1647.

Au début du siège, les Vénitiens tentent bien d’envoyer une flotte pour desserrer l’étau turc, mais échouent. Erizzo sait alors que sa situation est désespérée. Sa résistance, pendant presque un mois, avait été héroïque, les Ottomans ayant subi de très lourdes pertes. Erizzo offre cependant de rendre les clés de la ville (l’actuelle Chalcis) si les Ottomans préservent la vie des habitants et des défenseurs. Le 12 juillet 1470, il capitule. Mais à peine les Turcs entrés, ils massacrent tous ceux qu’ils trouvent sauf les jeunes femmes de moins de 15 ans, réduites en esclavage. Quant à Erizzo, il est exécuté séance tenante. La nouvelle de la chute tragique de Negroponte fait le tour de l’Europe. La guerre se poursuivra jusqu’en 1479 et Mehmet II finit par obtenir de Venise, par le traité de Constantinople, de nombreuses possessions de la Sérénissime, un tribut de 100 000 ducats et un droit de passage annuel de 10 000 ducats pour commercer sur la Mer Noire. Venise perdait ainsi beaucoup de sa puissance en Méditerranée orientale. A sa mort en 1481, peut-être empoisonné, le sultan laisse un empire immense mais fatigué par les guerres incessantes et moins assuré qu’il y paraît. Peu de temps après sa disparition, une guerre civile éclate entre deux de ses fils, dont le célèbre Bajazet II, lequel l’emportera.

Aussi peu soucieux de la vérité historique que pouvait l’être un compositeur d’opéra, Rossini avait pourtant préféré appeler son œuvre Maometto II plutôt que reprendre le titre de la pièce originale.  Dès son air d’entrée (« Sorgete, sorgete ! »), le sultan exalte impérieusement son propre triomphe. Mais il montre un cœur sous la cotte de maille, lorsque, rappelant à ses fidèles ses victoires passées, il songe à Corinthe, où il rencontra la belle Anna dont il était tombé amoureux. Durant tout l’opéra, Maometto oscillera entre sentiments et cruauté, en lointain écho, par exemple, au futur Attila de Verdi, promettant gloire et honneurs à l’aimée qui ne peut se résoudre à aimer celui qui lui avait menti en cachant son identité à Corinthe.

La création de l’opéra à Naples,  le 3 décembre 1820, est un échec cuisant. Sans se démonter, Rossini exporte l’œuvre à Venise 2 ans plus tard et, pour l’occasion, révise une première fois la partition, ménageant une fin heureuse, qui voit la victoire des Vénitiens et l’hymne triomphal d’Anna,  pour lequel il réutilise la cabalette finale « Tanti affetti » de la Donna del Lago. Une seconde révision plus importante interviendra quelques années plus tard, lorsque Rossini reprendra l’œuvre pour raconter le siège de Corinthe, également dirigé lors de la conquête de la Morée par le même Mehmet II. La motivation sera alors plus politique, en écho à la guerre de libération menée par les Grecs contre les Ottomans. Mais c’est une autre histoire…

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