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Maria Agresta : « La culture est la nourriture de l’âme »

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Interview
16 mars 2020
Maria Agresta : « La culture est la nourriture de l’âme »

Infos sur l’œuvre

Détails

Alors qu’elle venait de commencer à répéter Roberto Devereux au Théâtre des Champs-Elysées, nous avons rencontré Maria Agresta pour faire le point sur sa carrière, ses choix de répertoire et sa conception du personnage d’Elisabetta qu’elle s’apprêtait à incarner pour la première fois mais que la crise sanitaire que nous traversons ne nous permettra malheureusement pas d’entendre.


Comment est née votre vocation ?

Enfant, j’aimais chanter, j’étais une petite fille silencieuse, je ne parlais pas beaucoup mais je chantais toujours, les chansons qu’on m’apprenait à l’école, celles des dessins animés ou de quelques chanteurs à la mode, quant à mon papa, dès mon plus jeune âge, il me faisait écouter des extraits d’opéras comme par exemple « Va pensiero » ou « Casta diva » par Maria Callas. Alors, même si j’étais occupée, je m’arrêtais aussitôt, attirée comme par un aimant  par cette voix, j’étais incapable de faire autre chose. Je n’imaginais pas pour autant devenir chanteuse à l’époque mais un jour, ma sœur m’a demandé de chanter l’Ave Maria de Schubert à son mariage. Je suis donc allée voir une pianiste pour travailler cet air et au fil de nos rencontres,  j’ai senti ma voix monter comme si elle tournoyait dans ma tête. De son côté la pianiste qui trouvait que ma voix était belle, m’a suggéré d’entreprendre des études de chant. A partir de ce moment je me suis mise à penser que je pouvais peut-être en faire mon métier.

Quel est le premier opéra que vous avez vu sur scène ?

Le tout premier opéra que j’ai vu est Cavalleria Rusticana au San Carlo à Naples et j’ai immédiatement adoré ce spectacle, déjà grâce aux interprètes qui étaient excellents, je me souviens de Ghena Dimitrova dont la voix impressionnante semblait surgir de toutes parts, ensuite à cause du théâtre lui-même qui est tellement magnifique que j’en ai pleuré à chaudes larmes tant j’étais émue. J’étais allée voir ce spectacle avec l’école et j’ai demandé à ma professeure s’il était possible de visiter les coulisses et lorsqu’elle nous y a emmenés, j’y suis entrée comme on entre dans une église, avec un respect, une dévotion, une émotion immense, je m’en souviens encore comme si c’était hier.

Ensuite vous avez commencé vous études …

Les études sont arrivées relativement tard parce que j’ai eu la chance de rencontrer un professeur de chant, ancien ténor, qui m’a dit « attends, attends ». J’ai donc attendu d’avoir 17 ans et je suis retournée le voir pour qu’il me prépare à l’examen d’entrée au conservatoire de Salerne mais je ne pensais pas réussir parce que cette année-là plus de deux cents personnes se sont présentées à cet examen alors qu’il n’y avait que six places. Pourtant j’ai été prise et là j’ai commencé à travailler avec un autre ténor italien, aujourd’hui disparu. Une fois diplômée, j’ai participé à un concours dont la présidente du jury était Raina Kabaivanska, alors j’ai décidé d’entreprendre avec elle un cycle d’études que j’ai terminé au conservatoire de Modène.

Et votre premier rôle sur scène ?

Didon, dans la Didon et Enée de Purcell au théâtre Carlo Gesualdo d’Avellino. C’était un projet qui émanait d’un laboratoire de musique ancienne. Avant cette première expérience en tant que soliste, j’avais chanté dans les chœurs de Salerne ce qui m’avait permis d’observer les chanteurs sur le plateau, de comprendre comment ils bougeaient comment ils chantaient, ce fut une véritable école pour moi. Après j’ai interprété d’autres ouvrages, de Mozart, de Rossini avant d’aborder Verdi et Puccini.

Qu’avez-vous chanté de Mozart ?

Tous les rôles de mezzo-soprano – je l’ai été pendant dix ans – Cherubino, Dorabella… et je me suis beaucoup amusée. Ensuite,  j’ai débuté à la Scala dans Don Giovanni où j’incarnais Elvire, le seul rôle mozartien que j’aie fait en tant que soprano.

A présent votre répertoire couvre tout le XIXe siècle depuis le bel canto jusqu’à Puccini en passant bien sûr par Verdi. Comment gérez-vous autant de styles différents ?

Je pars du principe que la technique du bel canto italien convient à tous les répertoires. Ensuite, le style, on le façonne selon le rôle que l’on chante mais la technique et la manière de chanter est toujours la même. C’est l’accent, le phrasé qui conduit une voix d’un style à un autre mais la base est identique. C’est comme lorsqu’on veut construire un immeuble et une villa, l’immeuble est plus grand, plus haut mais les fondations sont les mêmes. Ensuite il est important de bien planifier une saison: pour un opéra donné,  il faut faire attention à ce qu’on chante avant et après de manière à éviter d’imposer à la voix de brusque changement de répertoire, et si cela doit se produire, si je dois passer d’un ouvrage belcantiste à un opéra de Puccini, alors je m’accorde un petit temps de repos chez moi pour retravailler mon instrument pour remettre ma musculature en conformité avec le rôle que je vais chanter un peu comme font les athlètes.  

Et que préférez-vous chanter, le bel canto avec ses ornementations ou des rôles comme Mimi ou Liù ?

C’est un choix difficile. Disons que sur le plan vocal, les personnages qui demandent un investissement technique intense me stimulent parce que ce sont des rôles dans lesquels il faut avoir une maîtrise totale, un contrôle sans faille de sa technique. J’aime les affronter parce qu’il me plait- comme je dis- d’associer la difficulté technique à l’interprétation du personnage et donc de façonner la voix en m’appuyant simultanément sur l’une et l’autre, un peu comme une roue qui tourne continuellement dont le mouvement permet de construire, de modeler un rôle dans lequel les difficultés techniques vont constamment de pair avec les difficultés musicales. Lorsque je chante Puccini, je dois dire que je perçois des émotions différentes de celles qui sont à fleur de peau parce qu’elles touchent l’âme, qu’elles y pénètrent profondément peut-être parce qu’elles sont plus proches de nous. Mimi, par exemple, est un rôle qui m’a émue depuis le premier jour où je l’ai chanté parce que c’est une histoire concrète, réelle, proche. Combien de gens voyons-nous souffrir par amour ou à cause de problèmes de santé ? Je crois que Puccini est très doué pour décrire ces divers aléas de la vie, ce sont des émotions qui marquent comme une lame qui écorche la peau. Verdi est une école de chant. Finalement je ne sais pas ce que je préfère, je sais que j’aime chanter, je sais que j’aime ce métier, ça oui, je sais que j’aime alterner les rôles parce que passer d’un répertoire à l’autre me permet de vivre toujours avec cette impression de nouveauté même lorsqu’il s’agit d’un opéra que j’ai déjà beaucoup interprété, par exemple une Mimi qui arrive après un Trovatore ou après un Otello a toujours quelque chose de différent, d’inédit c’est pourquoi j’aime beaucoup cette alternance.

Y a-t-il des cantatrices qui vous inspirent, Callas mise à part ?

Je dois dire que je suis une très grande fan de Madame Callas parce que je crois qu’elle a vraiment inauguré une ère nouvelle, nouvelle ou unique, je ne sais pas. Au-delà de la beauté de l’instrument, elle avait un phrasé, une manière inconnue avant elle d’interpréter ses personnages qui marque durablement et puis il y a le timbre de sa voix qui imprègne de façon indélébile les rôles qu’elle a chantés. Mais je suis également une très grande admiratrice de bien d’autres chanteuses comme mon professeur Madame Kabaivanska parce que je crois qu’au-delà de la beauté de sa voix, c’est une très grande interprète, une très grande artiste qui, lorsqu’elle monte sur scène, capte l’attention parce qu’on ne l’écoute plus, mais on la vit, parce qu’elle est très belle, qu’elle a un grand pouvoir de fascination, une grande élégance et un style accompli. J’ai beaucoup aimé les voix de Mesdames Freni et Scotto, pour parler de celles qui sont plus proches de nous et j’ai été également attirée par Madame Tebaldi une grande interprète elle aussi et une grande voix. Parmi les mezzo-sopranos, j’aime beaucoup Marilyn Horne, j’écoute beaucoup de chanteuses du passé parce que j’aime comprendre ce que l’on faisait alors lorsqu’il y avait d’autres chefs et d’autres types d’orchestres.

Vous avez également abordé le répertoire français, notamment à travers les rôles de Micaela et Marguerite. Est-ce difficile de chanter dans notre langue ?

Oui, parce que je suis une puriste dans le sens où j’aime faire bien les choses c’est pourquoi je n’étais jamais contente de mon français. Je le parle un peu, je l’ai même étudié mais en tant qu’italienne, je me pose sans arrêt des questions sur la prononciation et sur l’accentuation des mots, donc j’ai travaillé avec divers coach. Cela dit c’est une langue qui me plaît beaucoup, je la trouve raffinée et musicale, quant à l’opéra français je l’apprécie pour sa sensualité et son élégance qui sont très proches de mes goûts musicaux et de ma façon de ressentir les choses.

Y a-t-il d’autres opéras français que vous aimeriez aborder ?

Oui, j’aimerais beaucoup chanter la Manon de Massenet, c’est un rêve. J’ai également chanté La Vestale en français et j’aimerais, pourquoi pas, aborder Médée, un autre opéra que je trouve fascinant.

Parlons à présent du personnage d’Elisabetta dans Roberto Devereux : comment vous êtes-vous préparée à ce rôle ? Avez-vous lu des ouvrages sur elle ?

Oui, je cherche toujours à cerner les personnages que j’interprète du point de vue historique, savoir quel a été leur histoire, leur vécu. Ce rôle est très intéressant parce que c’est la première fois que je joue une femme âgée*, une reine âgée*. Et puis c’était une reine dure, très dure, qui inspirait la peur  mais c’est aussi une femme qui a énormément souffert par amour parce qu’elle n’a pas réussi à réaliser son désir d’être aimée. C’est un travail très intéressant, un travail qui commence sur le papier à travers son histoire, à travers la musique, le texte et à présent à travers la mise en scène. Je suis en train de sculpter, de ciseler ce personnage et j’aimerais réussir à en exprimer toute les facettes, la reine, la femme, la femme blessée, la femme qui aime et aussi la femme cruelle parce qu’elle pouvait aussi être méchante.

Quelle facette de ce personnage allez-vous privilégier ? La femme amoureuse, la femme jalouse, la reine autoritaire ?

Je crois que l’intérêt de ce personnage est qu’elle est tout cela à la fois, c’est une femme qui aime et lorsqu’elle est devant Roberto elle a parfois des faiblesses, devant la cour aussi et cela me plait beaucoup car si autoritaire ou méchante qu’elle soit ces faiblesses trahissent son émotivité.

Avez-vous écouté d’autres interprétations du rôle ?

Pour être franche, non pas encore parce que lorsque j’aborde un rôle je cherche habituellement à être très fidèle à la partition, fidèle au compositeur qui a donné vie à ce personnage. En ce moment, je suis en train de construire mon personnage, ma propre Elisabetta. Après j’écouterai certainement quelque chose mais pour l’instant je voudrais rester objective et me laisser transporter par la musique et par Donizetti, par l’Elisabetta de Donizetti.

Vous êtes un soprano lyrique et ce rôle est plutôt « spinto » : comment gérez-vous cela ?

J’ai étudié, j’ai construit ce rôle en respectant les caractéristiques de ma voix, c’est-à-dire, bien que je sois un soprano lyrique, en lui donnant une intensité dramatique à partir des couleurs de ma voix, des accentuations de la musique et même du texte. Cela m’aide beaucoup. Je suis persuadée d’une chose : si nous pensons à l’époque à laquelle cet opéra a été composé nous devons avoir en tête que les orchestres n’étaient pas comme ceux d’aujourd’hui, que leurs intonations étaient différentes de celles des orchestres actuels et que l’effet produit par les voix n’était certainement pas celui que nous entendons aujourd’hui donc le fait que ce soit un rôle « spinto » ou dramatique ne me préoccupe pas. Je me concentre sur les couleurs requises pour créer certains effet dramatiques comme la colère du personnage par exemple, c’est je crois un travail qui doit être fait sur le texte, les mots et l’accentuation de la phrase musicale.

Vous avez également chanté Anna Bolena …

Anna Bolena est certainement plus proche de moi par sa jeunesse, elle a en elle cette souffrance que nous pouvons tous ressentir devant une trahison quelle qu’elle soit, pas seulement sur le plan amoureux. La prise de conscience de son échec qui la conduit à cette scène de la folie finale a quelque chose de beau, cela m’a d’ailleurs marquée un peu car j’ai ressenti la douleur de cette femme et j’ai compris ce que l’on peut éprouver dans ces moments, comment et pourquoi une femme arrive à perdre la raison par amour et en même temps devenir encore plus fragile car je pense que même les femmes les plus solides ont une grande fragilité qui se dévoile dans certaines circonstances. Face à certaines douleurs nous sommes mis à nus, déshabillés de toute protection, nous devenons petits, délicats, fragiles donc j’ai ressenti cette Anna Bolena, je l’ai vécue en tant que femme proche de moi par l’âge. Cependant Elisabetta est un rôle qui me plait de plus en plus et le défi d’interpréter une femme âgée me stimule, je suis allée voir des actrices qui ont incarné ce personnage et  j’observe aussi dans la rue les vieilles personnes, leur démarche, leur manière de se tenir, c’est également un travail sur le corps que je suis en train de faire et cela me plait beaucoup.

C’est une femme mûre mais pas une vieille femme…

Non, mais c’est une femme éprouvée.

Et la troisième reine donizettienne, Maria Stuarda, vous envisagez de l’aborder aussi ?

Qui sait ? J’aimerais bien.

Vous avez d’autres projets en France ? à Paris ?

Oui, bien sûr. Je ne peux pas en parler tant que les saisons ne sont pas dévoilées, mais j’en ai, oui.

La production de David McVicar est traditionnelle mais vous avez eu l’occasion de travailler avec des metteurs en scène comme Calixto Bieto à Bastille. Les relectures modernes vous dérangent-elles ?

Non, elles ne me dérangent pas lorsqu’elles sont faites avec intelligence mais je n’aime pas que l’on défigure l’opéra. Je crois sincèrement que l’opéra est un chef-d’œuvre au même titre qu’un tableau de Picasso ou de Monet ou que la Pietà de Michel-Ange. Imagine-t-on que l’on se mette à retoucher ces œuvres ? Non, et c’est pareil pour l’opéra. Quand la mise en scène souligne le génie d’un ouvrage cela me plaît, je dirais même que cela me stimule parce qu’on lui donne un sens, on le rend actuel ce qui est une démarche intelligente. Mais je n’aime pas que l’on cherche à changer, à déformer un chef-d’œuvre, ça non. La nouveauté ne réside pas dans le ridicule ou dans l’absurde, le talent d’un metteur en scène consiste à trouver une clé de lecture, une nouvelle manière de représenter une œuvre, nouvelle sans être dévoyée.

Vous chantez beaucoup en Europe et aux Etats-Unis, mais aussi dans votre pays. Qu’en est-il de la situation des théâtres en Italie à propos desquels on entend bien des choses, parfois alarmantes ?

En Italie, la situation est un peu particulière, il y a une crise importante c’est sûr, comme ailleurs dans le monde mais l’Italie est le pays de de la culture, du bel canto, l’opéra est né en Italie, de très grands compositeurs y ont vu le jour, aujourd’hui ce pays souffre d’un manque d’intérêt pour la culture de la part de ses dirigeants. J’ai entendu des hommes politiques tenir des propos terribles comme par exemple que la culture ne nourrit pas son homme. C’est faux. La culture est la nourriture de l’âme, la culture est l’unique chose qui puisse nous sauver des inciviltés et de la laideur qui nous entourent. Il faut investir dans la culture pour créer la beauté et la répandre dans le monde. Le monde a besoin de beauté et de paix et c’est seulement à travers la connaissance, l’art et la culture que l’on peut atteindre ce but. Il y a pourtant de la part des théâtres et de ceux qui ont les moyens d’aider la culture une volonté de la faire redécouvrir. J’ignore si c’est pour des raisons politiques, mais on a pu constater que dans les écoles la musique était de plus en plus marginalisée  or c’est une discipline qui devrait être cultivée, qui devrait être enseignée au même titre que les langues, les mathématiques ou les sciences, d’ailleurs n’est-elle pas la science des sons ? Il y a eu cette carence en Italie mais d’aucuns essayent de réactiver cette grande machine. Oui, il y a une crise économique importante mais tant que nous aurons une classe politique qui n’est pas convaincue par la force et le pouvoir de cette industrie parce que la culture est aussi une industrie, nous aurons de grosses difficultés. Il y a cependant des théâtres qui fonctionnent très bien, d’autre qui avec de la volonté continuent à aller de l’avant malgré leurs innombrables difficultés, à diffuser notre immense patrimoine donc j’espère que les choses iront en s’améliorant.

A part l’opéra écoutez-vous d’autres musiques ?

Oui bien sûr, j’aime beaucoup la musique symphonique, je suis également une grande amatrice de piano peut-être parce que lorsque j’étais enfant j’aurais voulu apprendre à jouer de cet instrument mais je n’ai pas pu. Je suis une admiratrice de Martha Argerich par exemple mais tant d’autres pianistes me plaisent aussi. J’aime aussi faire quelques incursions dans d’autres styles musicaux, le flamenco me plait beaucoup, le jazz aussi mais finalement quand je veux écouter autre chose que de l’opéra j’écoute surtout du piano.

* En français dans le texte.

Propos recueillis et traduits de l’italien le vendredi 28 février 

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