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Olivier Py : « La provocation gratuite, la subversion et la déconstruction des œuvres ne m’intéressent pas »

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Interview
4 mars 2008

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Olivier Py
« La provocation gratuite, la subversion et la déconstruction des œuvres ne m’intéressent pas »

 

 
Homme de théâtre, auteur, comédien, réalisateur, chanteur, directeur du CDN d’Orléans et depuis mars 2007 du prestigieux Théâtre de l’Odéon, vous débutez seulement aujourd’hui à l’Opéra National de Paris en tant que metteur en scène, alors que votre première expérience lyrique remonte à 1999. Comment avez-vous rencontré et goûté à l’opéra ?

Olivier Py : Très naturellement au départ, grâce à ma grand-mère italienne qui écoutait principalement le répertoire italien, puis avec la passion de la musique. A 18 ans j’ai eu envie de devenir chanteur et j’ai donc travaillé ma voix avec un professeur de chant pour être ténor, mais je me suis rendu compte qu’il fallait s’investir énormément et ne faire que cela, ce qui était incompatible avec mes multiples aspirations, comme vous l’avez signalé. En un sens, j’ai presque rencontré l’opéra avant le théâtre, puisque j’ai appris à le connaître par le disque. Je me souviens que ma grand-mère chantait en s’accompagnant au piano Tosca en français et que je la suivais, fasciné. Par la suite j’ai découvert Mozart et Wagner qui ne faisaient pas partie du répertoire familial.

Avant de vous confronter à votre premier opéra, on disait de votre travail qu’il avait une dominante lyrique. Etait-ce selon vous de l’ordre du conscient ou de l’inconscient ?

Olivier Py : Du conscient et de l’inconscient. Je suis un poète lyrique, ce que j’assume et j’ai cherché des acteurs lyriques pour incarner un verbe qui l’est par essence ; mais ce n’est pas un choix. D’ailleurs on n’est pas plus un poète lyrique, que l’on n’est un peintre expressionniste, c’est ainsi. On se rend compte que l’on est comme ça et que c’est inscrit dans son corps. Comment, je ne sais pas, c’est un sujet de méditation profonde. Ma troupe a frayé avec Antoine Vitez qui était un défenseur du grand verbe et du verbe lyrique. Mais attention, on peut être poète sans être lyrique, regardez Joël Pommerat qui crée Pinocchio en ce moment, voilà un grand poète, qui n’est absolument pas lyrique.

Depuis Der Freischütz de Weber à Nancy, vous avez mis en scène trois opéras français, deux ouvrages de Wagner, un de Britten et participé à une création mondiale de Suzanne Giraud, Le vase de parfums. Ces titres sont-ils proches de vos affinités en matière lyrique, où le reflet de propositions qui vous ont été faites ?

Olivier Py : Plutôt une question de choix ; on peut dire qu’un chemin s’est tracé d’ouvrage en ouvrage, sans aucune rencontre avec l’opéra italien, ce que je regrette. On a fait appel à moi pour des opéras plus noirs, plus durs comme le confirme la proposition du Rake’s progress, dont la musique n’est heureusement jamais lourde, même quand le livret d’Auden est violent ou sinistre ; elle conserve toujours une part de lumière. Ce conte garde une certaine légèreté même dans l’épouvantable. Je ne sais pas comment cela marche ! Pour revenir aux premières propositions, elles étaient tout de même un peu préméditées par Jean-Marie Blanchard. Quand il m’a demandé ce que je voulais faire, j’ai répondu Les contes d’Hoffmann, mais il l’avait déjà au répertoire. Il m’a donc confié Der Freischütz, ce qui m’a réjoui. Une fois à Genève nous avons pu monter Les Contes, puis La Damnation de Faust. Ainsi, avons-nous construit une trilogie autour du diable et de la question du fantastique comme source d’inspiration romantique. A ce propos nous allons reprendre la saison prochaine à Genève ces trois titres. Quand aujourd’hui on me propose The rake’s progress, j’ai l’impression qu’il y a une sorte d’unité, puisque c’est un Faust des années cinquante. Mais j’aimerais beaucoup m’attaquer à Madame Butterfly, à Verdi, à Tosca, j’aime beaucoup les grands italiens ; à l’opéra j’aime pratiquement tout d’un point de vue musical, à part certains livrets. J’ai des avis particuliers, car je trouve celui de Cosi fan tutte faiblard, alors que celui de Thaïs me plait davantage. Le XIXe siècle ne me fait pas peur. J’avais un projet de Huguenots de Meyerbeer au Châtelet, mais rien ne s’est concrétisé; l’œuvre est assez formidable. Je ne refuserais pas non plus Les pêcheurs de perles.

On entend souvent dire que les metteurs en scène de théâtre apportent davantage de densité dramatique, quand ils sont appelés à l’opéra. Vous qui passez de l’un à l’autre, trouvez-vous que le théâtre soit plus exigeant et novateur que l’opéra en matière de jeu ?

Olivier Py : Pas du tout, ce sont des choses que l’on disait dans les années soixante dix. Qu’est ce qu’on appelle novateur ? Aujourd’hui la critique n’a plus qu’un seul critère de critique, pardon pour cette tautologie, c’est le catéchisme de la subversion. Si un spectacle fait scandale, il est forcément génial. C’est très fatigant, car cela nous empêche de travailler, de réfléchir et de chercher la beauté. La provocation gratuite, la subversion et la déconstruction des œuvres ne m’intéressent pas. L’actualité est moins riche que ce qu’il y a dans les œuvres. L’appareil poétique qu’il peut y avoir chez Wagner, ou dans le Nerval de La Damnation, n’a rien d’actuel et c’est justement cette « inactualité » qui est passionnante, car elle apporte autre chose que notre quotidien. Je ne crois pas qu’au théâtre on invente plus qu’à l’opéra. J’ai toujours demandé à mes acteurs de jouer au théâtre comme les chanteurs d’opéra. Bien sur si on joue Tchekhov il n’est pas indispensable d’avoir un jeu lyrique, mais si l’on représente Claudel, ou L’Orestie, il est nécessaire de jouer avec lyrisme. Tous les acteurs avec lesquels je travaille sont des fans d’opéras, inspirés par le jeu des grands artistes lyriques. Seulement beaucoup de jeunes artistes lyriques ont une vision du jeu totalement formatée par le cinéma et la télévision. Il faut leur apprendre à être lyrique, car si pour eux un bon acteur doit jouer comme dans un feuilleton télé, je ne vois pas l’intérêt d’aller à l’opéra. Je ne travaille pas sur le psycho-réalisme, car n’importe qui peut s’en approcher, alors que retrouver ce que faisaient Gwyneth Jones ou Shirley Verrett, les jeunes artistes ne savent pas le faire. Ni un geste formaliste, ni un geste psycho-réaliste, donc un geste de théâtre : voilà ce à quoi j’aspire et ce qu’étaient les grands enseignements de Jean Vilar et d’Antoine Vitez.

Le chef Marc Minkowski avec qui vous avez réalisé Pelléas et Mélisande à Moscou, dit que vous avez une vraie oreille et un véritable amour de la musique. Le fait d’avoir suivi des études de chant et joué la comédie n’est-il pas un avantage pour mieux comprendre les artistes, répondre à leurs questions et leur demander précisément ce que vous attendez d’eux ?

Olivier Py : Je pense en général que ce qui est bien pour la musique, l’est aussi pour le théâtre. Ce point de vue original déroute certains de mes camarades ; je m’explique. Quand le placement des chœurs est bon musicalement, il l’est aussi dramatiquement. Quand un chanteur me dit qu’il ne peut pas effectuer un geste juste avant un passage difficile, je pense qu’il a raison. Donc je ne pars pas de l’idée qu’il y a un tiraillement entre le jeu dramatique et les exigences musicales, au contraire. S’il y en a un, je me suis trompé. On peut faire une propagande en disant que les chanteurs d’opéra sont impossibles, qu’ils regardent systématiquement le chef et qu’ils se placent à l’avant-scène, etc. Il y a des chanteurs qui ne pensent qu’à faire des acrobaties et des critiques qui considèrent que seule une chanteuse mince est une bonne actrice. Ca n’a rien à voir. J’ai toujours pensé que Montserrat Caballé était une grande actrice, mais tout cela est trop compliqué et personne ne comprend ce que je veux dire. Seulement, à ce propos les jeunes chefs devraient comprendre que lorsqu’ils font de l’opéra, il ne s’agit pas d’un disque. Ils ont souvent l’oreille déformée par le CD et ne comprennent pas la spatialisation de la musique. La première qualité d’un chef d’opéra est de savoir cela. Une voix qui vient du lointain et avance vers l’avant-scène, c’est de la musique. Même des bruits de pas peuvent participer de la musique. Ed Gardner sur la production du Rake’s progress en est tout à fait conscient.

Contrairement à certains projets élaborés très longtemps à l’avance, vous avez accepté de remplacer Luc Bondy qui devait mettre en scène The Rake’s progress de Stravinsky au Palais Garnier à quelques mois de la première. Fait du hasard, vous aviez devant vous le temps nécessaire à l’étude et au montage de l’œuvre. Auriez-vous donné votre accord si rapidement s’il s’était agi d’un ouvrage aux possibilités scéniques plus modestes et pourquoi ?

Olivier Py : Je ne donne jamais mon accord pour une œuvre que je n’aime pas à 200%. Si l’on me proposait Cosi, vous l’avez compris, je répondrais que je n’ai pas d’idée, car c’est un théâtre que je ne sais pas faire. Pour ce qui est du Rake’s progress, cela tombait bien, car je connaissais l’œuvre, l’appréciais et avais le temps nécessaire devant moi pour ficeler un projet.

Les thèmes du Rake’s progress sont sans doute les plus proches de votre univers : un sujet noir qui raconte la descente aux enfers, consentie, d’un être qui a tout pour être heureux, mais qui préfère pourtant choisir le pire. Comment vous sont venues les idées, le concept, l’atmosphère dans laquelle vous avez choisi de faire évoluer Tom Rackwell et Nick Shadow ?

Olivier Py : J’ai toujours pensé que ce n’était pas une œuvre néoclassique, qu’elle n’avait pas grand chose à voir avec le XVIIIe, mais qu’au contraire il s’agissait d’un ouvrage typique des années cinquante avec des thèmes philosophiques liés à cette époque. Selon moi ce n’est pas une œuvre morale, à la différence des peintures d’Hogarth. Par ailleurs je fréquente Auden depuis une vingtaine d’années. Partant de ce principe, j’ai décidé de me débarrasser des costumes XVIIIe avec la volonté de faire entendre Stravinsky.

La figure du diable, représentée ici par Nick Shadow, ajoutée par Stravinsky, n’est pas nouvelle pour vous qui avez déjà dû la traiter dans Les contes d’Hoffmann d’Offenbach et dans La damnation de Faust de Berlioz. Que vouliez-vous dire de cette incarnation du mal cette fois ?

Olivier Py : Hogarth ne représente ni Faust, ni la femme à barbe, mais une vieille marquise que Tom épouse pour l’argent. Chez Auden, il se marie à un monstre pour affirmer la notion de libre arbitre, ce qui est une question philosophique existentielle propre aux années cinquante. Ce diable est moins radical : il est agissant. Claudel dit que « le diable est un esclave qui pédale pour faire monter l’eau », c’est un peu ce que dit Nick avant de disparaître, en déclarant qu’il doit travailler chaque jour. Nick est un mal nécessaire chez Auden.

Au théâtre comme à l’opéra, vous avez fréquemment besoin de lourdes machineries et de décors imposants, constitué d’armatures, d’architectures métalliques, créées par votre décorateur attitré Pierre-André Weitz, depuis 1990. D’où vous vient ce goût pour la démesure, cette propension au gigantisme, à l’épique, que l’on retrouve également dans vos textes dont certains peuvent durer 24 heures, comme La servante, histoire sans fin ?

Olivier Py : Pas toujours, il m’arrive de réaliser de petites formes comme Curlew river, ou le conte de Grimm. J’aime les machineries, les cintres, c’est exact et avec Pierre-André qui est à la fois chanteur lyrique et architecte, ce qui est rare, nous avons inventé ce théâtre-là. Il essaye de conjuguer à la fois Le Corbusier et le lyrisme du chant, le déplacement des décors permettant de visualiser la partition. Ce parti pris est réussi quand derrière un effet de machinerie spectaculaire, quelque chose de l’âme apparaît. C’était le cas avec Tristan, où nous avons tenté de montrer l’action intérieure, le bouillonnement des cœurs, grâce aux décors.

Personnalité polymorphe de la scène française, vous cumulez les postes d’auteur, de comédien, de metteur en scène et de directeur de salle et non des moindres, ce qui s’est rarement vu. De quoi êtes-vous le plus fier, qu’est-ce qui vous satisfait le plus et pour quelles raisons ?

Olivier Py : D’abord je suis une personne plus qu’une personnalité (rires). Trêve de plaisanterie, je suis fondamentalement un poète et la seule chose essentielle à ma vie c’est l’acte d’écrire. Le reste, je le fais par plaisir, quelque fois par devoir et toujours par amour du théâtre.

 

Propos recueillis par François Lesueur

 

 

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