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Orlando furioso, la raison d’un échec

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21 février 2011

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Un nouveau numéro de l’Avant-Scène Opéra vient nous le rappeler. Orlando furioso sera prochainement à l’affiche du Théâtre des Champs-Elysée dans une mise en scène de Pierre Audi. Créé en 1727 à Venise, le dramma per musica d’Antonio Vivaldi aura attendu plus de 2 siècles et demi pour être reconnu puis représenté à Paris. Pourquoi ?

 

Créé le 15 novembre 1727 au Teatro Sant’Angelo de Venise, Orlando Furioso¸ dramma per musica en trois actes d’Antonio Vivaldi sur un livret de Grazio Braccioli, a connu le sort de nombreux opéras célèbres – La Traviata, Carmen, etc. Ses premières représentations se soldèrent par un échec. Non pas un fiasco tapageur avec huées et batailles menées à grands fracas d’injures entre la populace du parterre et les loggionisti, mais un silence que l’on l’interprète comme une défaite. Aucun témoignage, aucun écho, comme si l’œuvre était passée inaperçue. Un mois plus tard, en décembre 1727, Farnace dont le succès, lui, est lui parvenu jusqu’à nos oreilles, remplaçait Orlando Furioso à l’affiche. Le rideau tombait sur ce qu’aujourd’hui l’on considère comme le chef d’œuvre lyrique de Vivaldi. Il nous aura fallu plus de deux cent cinquante ans pour nous en rendre compte.

 

Est-ce l’originalité de la partition, comme souvent en de pareils cas, qui dérouta un public vénitien que Patrick Barbier1 décrit comme particulièrement indiscipliné, plus occupé à entrer, sortir et badiner qu’à s’immerger religieusement, comme nous le faisons de nos jours, dans un spectacle de plusieurs heures ? Pas nécessairement. Si Orlando Furioso comporte de nombreuses audaces avec notamment des grandes scènes dramatiques qui vont à l’encontre des codes en vigueur, l’ouvrage offre son quota d’arias propres à séduire, entre deux cuillères de sorbet, les contemporains de Vivaldi : l’énergique « Nel profondo cieco mondo » dont Marylin Horne a livré une interprétation quasi définitive ; « Sol da te mio dolce amor », romance élégiaque et exemple unique chez Vivaldi d’un air accompagné par une flute traversière ; « Cosi potessi anch’io » qui dessine un portrait poignant d’Alcina, à l’égal – ou presque – de ceux que Haendel composa pour figurer l’enchanteresse. On retrouve dans Orlando furioso tout ce qui fait la valeur et l’intérêt de l’opéras vivaldien : la générosité mélodique, une virtuosité calculée (c’est-à-dire non pas gratuite mais envisagée comme ressort dramatique en cohérence avec le livret), la dynamique (ce que Frédéric Délémea2 appelle « vitalité rythmique »). A ces ingrédients familiers, auxquels la maturité du compositeur apporte un degré de réalisation supplémentaire, s’ajoute la structure de l’œuvre, mouvante à l’image de la raison chancelante d’Orlando. Vivaldi ne se contente pas d’alterner récitatifs et airs comme on enfile des perles mais introduit dans le discours musical des formes moins usitées : arioso, cavatine, duetto, coro… Puis, il y a évidemment les scènes de folie, trois au total, qui offrent autant d’occasions au compositeur de pulvériser les schémas conventionnels. De là à bouder l’œuvre, vraisemblablement pas. Déjà, lors d’une première mise en musique du livret de Grazio Braccioli réalisée quatorze ans auparavant (à ne pas confondre avec Orlando finto pazzo, composé lui aussi à la même époque), Vivaldi épanchait sa soif d’expérimentation formelle. L’œuvre, dont seuls subsistent les deux premiers actes, n’en fut pas moins bien accueillie. Au contraire, elle fut reprise l’année suivante, traversa les frontières et connut même une certaine fortune en Europe Centrale.

 

Une fortune qui innocente par la même occasion le livret de Grazio Braccioli, si tant est que dans notre recherche d’explications à l’insuccès d’Orlando, nous ayons voulu le mettre en cause. Assez alambiqué, ce qui n’était pas de nature à déconcerter le public de l’époque habitué aux galimatias des arguments d’opéra, il suit d’assez près le poème épique de L’Arioste (1516-1532). Sur l’île enchantée d’Alcina, Orlando retrouve Angelica qu’il aime en vain. La belle lui préfère Medoro. Ils sont rejoints par Astolfo, qui courtise Alcina, et par Bradamante à la recherche de son amant Ruggiero. Tout ce petit monde va s’affronter à coup de serments et de sortilèges au point qu’Orlando en perdra la raison. Il faudra trois actes pour dénouer l’écheveau. Finalement Alcina sera vaincue et Orlando guéri de sa funeste passion pour Angelica. Rien que de très banal, on le voit, dans le petit monde du dramma per musica. On reste en présence d’une histoire d’inspiration chevaleresque avec une intrigue qui se noue autour d’amours contrariés dans le but d’exalter des valeurs morales, ici la constance et la fidélité.

 

La raison de l’échec d’Orlando, il faut plutôt la chercher, comme le propose Philippe Venturini3, dans le contexte musical des années 1730. Depuis dix ans se dessine au sud de l’Italie une nouvelle forme d’opéra, dit napolitain, dont Leonardo Leo (1694-1744) et Leonardo Vinci (1690-1730) ont posé les premières pierres. Motivée par l’extraordinaire technique des castrats qui touchent alors à leur apogée, l’écriture musicale s’y place au service de la voix considérée sous le seul angle de la virtuosité. Les impératifs dramatiques sont délaissés au profit de l’effet vocal. Dans cette nouvelle approche où plaisirs mélodique et vélocité priment sur tout le reste, l’aria da capo s’impose. Charge aux récitatifs secs d’effectuer la liaison en supportant l’action. L’opéra napolitain se propage rapidement dans la péninsule italienne (au point que certaines encyclopédies lui préfèrent le terme « panitalien ») puis dans toute l’Europe. Ou presque, on sait que la France qui avait développé sa propre école lyrique ne sacrifia pas à la vogue de l’opera seria toutes origines confondues, ce qui explique pourquoi Orlando Furioso, comme tous ses congénères, ne fut pas représenté à Paris avant 1981. Tentative ou non de riposte à l’invasion napolitaine, les efforts de Vivaldi pour exprimer musicalement les tourments de son héros allaient à l’encontre du mouvement. En 1727, son opéra était tout simplement démodé.

 

Plus de deux siècles furent nécessaires pour qu’Orlando furioso sorte de l’ombre dans laquelle, à peine créé, il avait été plongé, même si Vivaldi, fidèle aux habitudes de l’époque, en recycla plusieurs airs dans des ouvrages postérieurs (ainsi on retrouve « Nel profondo cieco mondo » un an après dans Atenaide). En 1978, Claudio Scimone, séduit par l’alliage unique de récitatifs puissants et d’airs magnifiques, exhumait la partition à Vérone dans une mise en scène de Pier Luigi Pizzi. Un enregistrement suivit dont le succès ne suffit pas à remettre aux goûts du jour les opéras de Vivaldi. Pour cela, il fallut attendre plus de vingt ans Cecilia Bartoli et son prophétique Vivaldi album suivie de l’entreprise Naïve4 qui nous vaut aujourd’hui au disque l’Orlando furioso de référence – Jean-Christophe Spinosi, Marie-Nicole Lemieux, Philippe Jaroussky, Jennifer Larmore, Veronica Cangemi, etc. –, la distribution qu’à un ou deux noms près nous retrouverons sur scène à Paris dans quelques semaines.

 

Christophe Rizoud

 

  • A lire : L’Avant-Scène Opéra n° 260 – Orlando Furioso (plus d’informations)
  • A écouter : Orlando Furioso – direction musicale : Jean-Christophe Spinosi avec Marie-Nicole Lemieux (Orlando), Veronica Cangemi (Angelica), Jennifer Larmore (Alcina), Ann Hallenberg (Bradamante), Blandine Staskiewicz (Medoro), Philippe Jaroussky (Ruggiero), Lorenzo Regazzo (Astolfo)
  • A voir : Orlando Furioso à Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 6 représentations du samedi 12 mars au mardi 22 mars (plus d’informations)

 

1 Patrick Barbier : Venise, 1727 : musique et société (L’Avant-Scène Opéra n° 260)

2 Frédéric Delaméa : Introduction et guide d’écoute (L’Avant-Scène Opéra n° 260)

3 Philippe Venturini : Vivaldi et l’opéra (L’Avant-Scène Opéra n° 260)

4 Conçue par le musicologue Alberto Basso et le label indépendant Naïve, l’Edition Vivaldi a pour objet premier d’enregistrer la vaste collection de manuscrits autographes vivaldiens conservée à la Bibliothèque Nationale de Turin, soit quelque 450 opéras, concertos, compositions sacrées et cantates, la majorité de ces œuvres n’ayant pas été entendue depuis le XVIIIe siècle.

 

 

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