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Robert King : « La rencontre de Mendelssohn et de Händel aboutit à un projet éminemment Européen »

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Interview
21 avril 2016

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En 1833, Felix Mendelssohn monte Israël en Egypte à Düsseldorf ; il ajoute à cet oratorio de Händel une ouverture flamboyante, en révise l’orchestration et remplace les paroles en anglais par une version allemande du livret. C’est cette version qu’enregistre Robert King, à la tête de son King’s Consort.


Voilà un chef britannique qui redécouvre la version allemande – revisitée par un compositeur allemand – d’un oratorio anglais composé par un autre compositeur allemand !

… Dont le manuscrit se trouve à Londres mais dont la recréation a eu lieu en Allemagne. C’est probablement le projet le plus éminemment européen auquel il est permis de penser. J’adore ce genre de projets.

Comment Mendelssohn a-t-il été amené à retravailler cette œuvre de Händel ?

On connaît la fascination de Felix Mendelssohn pour Bach, mais sa fascination très tenace pour la musique de Händel est nettement moins connue. Celle-ci est très certainement née en grande partie de ses propres recherches, mais il a pu être guidé par son maître Carl Friedrich Zelter dont la fascination pour le grand style baroque est extrêmement documentée. Mendelssohn a fréquemment visité l’Angleterre, mais au cours de l’une de ses visites – en 1829 – il a passé beaucoup de temps à la Royal Library à compulser des manuscrits et des éditions de Händel, ce qui l’a fasciné. Il a pu découvrir, à l’époque, des choses que nous considérons aujourd’hui comme acquises, par exemple que Händel n’hésitait pas à utiliser la même musique pour différentes pièces totalement différentes. Israël en Egypte est une œuvre qui l’a particulièrement marqué. Je pense qu’il a adoré l’histoire, qui est extrêmement dynamique, mais l’écriture chorale l’a également beaucoup intéressé, en particulier l’écriture pour double chœur. Tout dans cette pièce a semblé l’inspirer et il a donc logiquement décidé de l’interpréter en tant que chef d’orchestre. 

Il commence donc par la réorchestrer en fonction des instruments dont il dispose, remplaçant l’orgue par des bois, par exemple.

C’est ce qui rend ce projet particulièrement intéressant. À Düsseldorf, où Mendelssohn allait monter la pièce en 1833, il ne disposait effectivement pas d’un orgue. Etant extrêmement pragmatique, il a rapidement admis que se passer de continuo confèrerait à la pièce des allures de bouche édentée. Et donc, il a simplement ajouté les parties harmoniques manquantes directement dans l’écriture orchestrale. Comment le savons-nous alors que ses manuscrits sont perdus ? Parce qu’il en reste quelques fragments ici ou là, principalement à la Bibliothèque bodléienne d’Oxford où la collection semble avoir atterri par cette opération prodigieuse qui veut que des documents qui devraient être à un endroit précis atterrissent ailleurs sans réelle explication. Et il reste donc un mouvement où il est manifeste que Mendelssohn a remplacé l’orgue par deux clarinettes et puis, avec un autre type d’encre – plus tard, probablement – Mendelssohn a barré les clarinettes et indiqué « ne faites pas ceci quand vous disposez d’un orgue ». Cet exemple a permis de déterminer où et de quelle manière Mendelssohn a pu intervenir dans la réécriture de la pièce ce qui, à mon tour, m’a permis de travailler à la réécriture de la pièce de Mendelssohn. J’ai donc fait de mon mieux pour récréer ce que Mendelssohn avait fait de son mieux à recréer.

On connaît les immenses qualités de Händel, mais est-ce que Mendelssohn n’était pas un meilleur orchestrateur ?

J’ai toujours dit que Mendelssohn était un génie de l’orchestration, un très grand maître de l’orchestre. Mais le comparer à Händel est un peu injuste parce que Händel écrivait dans la première partie du dix-huitième siècle, dans le style merveilleux de son époque. Disons que Mendelssohn part avec l’avantage de quatre-vingts ans d’évolution musicale supplémentaire. Alors, bien sûr, l’orchestration de Mendelssohn est beaucoup plus détaillée, de là à dire qu’il est un meilleur orchestrateur, c’est comme comparer des pommes et des cerises. Les deux fruits sont merveilleux mais parfaitement incomparables. Heureusement, il est possible de les manger dans une même coupe. 

L’ouverture, j’imagine, est le seul fait de Mendelssohn ?

Oui, c’est du Mendelssohn pur jus. À vrai dire, il part d’une œuvre composée quand il était adolescent et la modifie considérablement comme le montre le manuscrit qui est conservé à la Bibliothèque Nationale de France. C’est de la musique incroyable. Le père de Mendelssohn a toujours prétendu qu’il s’agissait de sa meilleure œuvre pour orchestre, en tous cas sa meilleure ouverture. C’est ébouriffant.

On connaît l’argument biblique, mais ce qui fascine peut-être le plus ici, c’est l’usage que font Händel et Mendelssohn du chœur, dans le cadre du drame.

L’utilisation du chœur par Mendelssohn, ou plutôt son utilisation par Händel, suivi par Mendelssohn, est admirable. C’est, parmi les oratorios de Händel, l’un des plus chargés pour le chœur, avec l’utilisation fréquente d’un double chœur à huit parties et il est clair que Mendelssohn était littéralement saisie par cette écriture qui relève du tour de force. D’ailleurs, il ne change pratiquement rien aux parties chorales, il s’en tient à ce que Händel a écrit, sinon qu’il change la langue, utilisant un livret préexistant qu’un poète avait écrit dans les années 1820 et donc c’est l’orchestration qui change, pas réellement les parties vocales, Mendelssohn voyait très bien ce qu’il était impossible d’améliorer. C’est la plus grande qualité d’un arrangeur : être capable de déterminer ce qui peut être modifié et ce qui doit absolument être préservé.

Justement, l’allemand est une langue très différente ; de quelle manière ce changement de langue influence-t-il la perception de l’œuvre ?

Je trouve que ce changement de langue est un atout pour la pièce, plus particulièrement dans les scènes les plus intenses, les plus violentes, par exemple lors du massacre des premiers nés, la rugosité de la langue allemande ajoute à la violence de la situation, avec ces plosives qui rugissent comme des flèches, c’est vraiment une utilisation passionnante des caractéristiques de la langue allemande. Donc, franchement, je trouve que la pièce fonctionne mieux en allemand qu’en anglais. Il ne faut pas oublier que Händel, avant d’adopter l’anglais comme langue de travail, est germanophone et il est permis de se demander si, parfois, il pensait les mots en allemand alors qu’il les mettait en musique en anglais. Dans ce cadre, Mendelssohn a, en quelque sorte, poursuivi la réflexion.

À nos yeux contemporains, il pourrait paraître extravagant de retravailler la pièce d’un collègue estimé ?

À l’époque baroque, se saisir d’une œuvre et l’arranger à sa sauce était plutôt vu comme un hommage. On pense à Telemann et à sa Tafelmusik et à ses échanges avec Händel, c’était un compliment de citer quelqu’un ; il n’y avait pas d’avocat prêt à bondir pour réclamer des millions de dollars de dommages et intérêts pour avoir osé utiliser quatre notes d’une œuvre. Au contraire, qu’un collègue dise qu’il apprécie votre œuvre au point de vouloir la retravailler était vu comme quelque chose d’assez plaisant. Aujourd’hui, les choses ont changé.

Votre dernier enregistrement était consacré à la musique de chambre de Purcell ; vous enregistrez à présent une pièce beaucoup plus large. C’est un sacré saut dans les effectifs.

Ce qu’il y a d’excitant dans le fait de diriger son propre label de disque, c’est que nous choisissons ce que nous avons envie d’enregistrer. Et donc notre premier disque sur ce label fut consacré aux musiques cérémoniales de Stanford et de Parry, avec des effectifs impressionnants. Ensuite, nous sommes passés aux Leçons de ténèbres de Couperin pour petit effectif. C’est finalement assez fidèle à ce que The King’s Consort a été pendant ces trente-six premières années : un ensemble travaillant sur un catalogue très varié aux effectifs variant également du tout au tout. On aime mettre les artistes et les ensembles dans des cases, mais la diversité de notre répertoire a toujours fait partie de notre ADN. Maintenant que nous pouvons également choisir ce que nous enregistrons, il nous est possible de mettre cette variété en évidence. Reste à enregistrer Gershwin et Jerome Kern, car nous jouons également leur musique.

Oui, pourquoi ne pas le faire ?

Bien sûr. Reste ce détail prosaïque qui se compte en Livres Sterling, en Euros, en Dollars et qui nous empêche parfois d’enregistrer tout ce que nous voulons. Et quand vous dirigez votre propre label, vous ne pouvez enregistrer que ce qu’il vous est possible de financer. Et donc, malheureusement, à moins de gagner l’Euro millions, nous sommes limités par notre autofinancement. Pour un blockbuster comme Israël en Egypte, nous avions assez sur notre compte en banque pour pouvoir le faire sans risquer notre chemise, mais j’ai des milliers d’idées et de projets dont certains verront le jour. Mais aujourd’hui, il faut être très pragmatique et prendre conscience du fait que le budget n’est pas toujours disponible.

Y a-t-il un moment dans l’histoire de l’évolution musicale où vous perdez de l’intérêt pour les œuvres ?

Je suis assez vieux jeu : si je ne peux pas siffler l’air après l’avoir entendu, alors cela ne risque pas beaucoup de m’exciter. Il y a donc peu de chances qu’on me voie diriger les compositeurs les plus avant-gardistes de notre temps, mais en même temps, il y a des musiciens qui s’expriment tellement mieux dans cette musique que je ne le ferais. Il m’est arrivé de m’y aventurer ; je devrais travailler très dur pour le refaire, mais je pense surtout qu’il y a des gens qui s’y plairaient beaucoup plus que moi. Mais ce n’est pas qu’une question de période : vous ne nous verrez pas jouer du Wagner, il y a de grands wagnériens et je suis vraiment ravi de leur laisser la priorité.  

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