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Rossini à Naples

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Actualité
24 mars 2014

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A quelques jours de la première d’Otello le 7 avril au Théâtre des Champs-Elysées, retour sur le séjour de Gioachino Rossini à Naples et sur les neuf opéras seria qui en résultèrent.

 

Quand Gioachino Rossini arriva à Naples en 1815, à l’âge de 23 ans, pour devenir directeur musical du Teatro San Carlo, le souverain français imposé par Napoléon avait quitté la ville depuis peu. Le roi Ferdinand, descendant des Bourbons qui régnaient jadis sur la cité parthénopéenne, était revenue au pouvoir grâce aux Britanniques et aux Autrichiens, soutenu par le retour à l’ordre ancien (les Habsbourg gouvernaient le nord de l’Italie, le Pape contrôlait les Etats papaux, et les Bourbons régnaient sur Naples et la Sicile). Quoi que l’on pense des Bourbons en tant que monarques, on ne peut nier que le roi Ferdinand fut un grand mécène de l’opéra. Le Teatro San Carlo, construit tout près du palais royal, était fortement subventionné par le roi, et la salle était l’une des mieux équipées d’Europe.

Rossini était déjà bien connu pour ses opéras Tancredi et L’Italiana in Algeri. Pour l’impresario qui gérait le Teatro di San Carlo, Domenico Barbaja, Rossini était un atout précieux et donc une cible toute désignée. Barbaja était semble-t-il un rustre doublé d’un goujat, très doué pour gagner de l’argent et toujours à l’affut de ce qui se faisait de mieux (voir l’article de Jean-Philippe Thiellay : « Domenico Barbaja, le garçon de café devenu le Napoléon des imprésarios »). Il avait amassé une fortune considérable comme marchand de munitions et il était désormais responsable du théâtre royal de Naples et des tables de jeu qui y étaient associées. Barbaja avait déjà réuni un équipe de chanteurs vedettes, dont la longévité fut remarquable, un des meilleurs orchestres lyriques d’Europe, et il avait maintenant un compositeur star. Pour un personnage aussi fruste, Barbaja abordait l’opéra avec beaucoup de sérieux. Avant l’arrivée de Rossini, le San Carlo avait monté La Vestale de Spontini et l’Iphigénie en Aulide de Gluck. Pour Naples, Rossini allait écrire neuf opéras employant les principaux chanteurs de Barbaja, la soprano Isabella Colbran et le ténor Andrea Nozzari figurant dans tous les neuf, et Giovanni David dans six d’entre eux

Les largesses dont bénéficiait alors l’opéra de Naples provenaient de deux sources. Il y avait bien sûr le soutien généreux du roi Ferdinand, mais les chanteurs célèbres et les orchestres de 80 musiciens coûtaient cher. L’opéra dépendait donc aussi des profits réalisés grâce au jeu. Le foyer d’un opéra était un lieu où les riches venaient jouer, et loin d’être simplement un endroit où écouter de la musique, l’opéra était un des centres de la vie sociale. Les jeux d’argent étaient autorisés en Italie depuis l’arrivée des Français, et le retour à l’Ancien Régime en 1815 entérina cette évolution. Le foyer des opéras accueillait donc les tables de jeu et le tout nouveau jeu de roulette.

Pendant les sept années de son contrat napolitain, Rossini allait travailler dur, parcourant les mauvaises routes d’Italie à bord de voitures inconfortables pour monter des productions d’opéras à Rome, Milan, Venise et Naples. Mais à cause de la distance séparant Naples du nord du pays, Rossini était en un sens coupé de la vie lyrique italienne, et ses chanteurs vedettes lui offraient un superbe creuset où expérimenter et développer ce qu’était réellement l’opera seria.

Tout n’était pourtant pas simple. Avant 1815, le public napolitain s’était montré relativement indifférent au succès de Rossini, et son arrivée suscita des réactions allant de l’indifférence à la désapprobation pure et simple. Paisiello, compositeur local, considérait la musique de Rossini comme licencieuse.
Mais la distance entre Naples et les autres grandes maisons d’opéra est un élément que Rossini sut utiliser à son avantage. Ses deux premiers opéras napolitains, Elisabetta Regina d’Inghilterra et la comédie La Gazzetta ressemblent un peu à une compilation des airs les plus connus. Elisabetta n’est pas un opéra très attrayant, mais il servit d’écrin à Isabella Colbran et, le soir de la première, Rossini avait mis le public dans sa poche dès la fin du premier acte.

A une voix remarquable Colbran unissait une forte présence en scène. Elle semble avoir su combiner une aisance dans la vocalise à une émission très dramatique, qualités que Rossini exploiterait dans les rôles conçus pour elle par la suite. Il est clair qu’elle perdit en partie sa voix au fil des sept années que Rossini passa à Naples, et certains de ses derniers rôles mettent plutôt l’accent sur son don pour la déclamation théâtrale. Mais il est incontestable que même les rôles plus tarifs présentent de grandes difficultés techniques : le déclin vocal de Colbran se fit donc par paliers. Elle avait pour partenaire Andrea Nozzari, chanteur dont la belle voix de ténor se doublait d’une solide présence. Ils devaient former en scène un duo particulièrement impressionnant. Quand Rossini se mit à écrire pour lui, Nozzari n’était plus le ténor aigu de ses débuts, mais un chanteur barytonal qui pouvait encore émettre des notes hautes. C’est cependant le secondo tenore, Giovanni David, qui offrait chant stratosphérique et virtuosité spectaculaire ; la facilité de David était telle que même ses contemporains trouvaient parfois son ornementation de mauvais goût.

Cette valorisation de la voix de ténor devait correspondre à une préférence locale, car c’est le fil rouge qu’on retrouve dans la plupart des opéras napolitains de Rossini. Barbaja avait à sa disposition deux ténors vedettes et tout un groupe de ténors moins connus mais très corrects, et ces artistes figuraient régulièrement dans les distributions. Rossini semble s’être fort bien accommodé de cette situation, écrivant des duos de ténor, et même un trio (dans Armida), mais ses opéras plus tardifs incluent aussi d’autres voix de façon tout à fait personnelle. Dans La donna del lago, aucun des deux ténors n’épouse l’héroïne à la fin : ce privilège est réservé à Malcolm, incarné par une contralto. Cela dut être perçu comme un défi pour une troupe d’opéra qui venait de subir sept années d’autorité française et donc de règne du goût français. Si les Italiens avaient allègrement remplacé le castrat par le musico (une femme chantant des rôles d’homme), les Français n’avaient jamais eu recours aux castrats et n’avaient donc jamais eu besoin de confier les rôles d’homme à des femmes. Compte tenu de la préférence française pour la voix de ténor élevé, on peut même se demander si là n’est pas l’origine de l’amour des Napolitains pour les ténors.

Rossini allait à nouveau braver cette règle avec Mosè in Egitto et Maometto II. Il était déjà assez audacieux de confier à une basse le rôle-titre de Mosè, mais il s’agit après tout d’un patriarche de l’Ancien Testament, et les basses avaient l’habitude des personnages de pères et d’hommes mûrs. Dans Maometto, en revanche, le rôle-titre est aussi une basse, et c’est lui qu’une idylle lie à l’héroïne (Colbran), tandis que le premier ténor (Nozzari) joue le père de la jeune femme. Voilà qui était bien audacieux, vraiment.

La succession des premiers opéras composés pour Naples donne l’impression que Rossini tâte le terrain, pour voir dans quel sens il peut faire évoluer la forme. Première constatation, ses sources sont on ne peut plus variées. Une œuvre inspirée par un roman anglais (Elisabetta), un drame anglais (Otello), un poème épique italien (Armida), la Bible (Mosè in Egitto), Racine (Ermione), Sir Walter Scott (La donna del lago) et une pièce sur les Vénitiens et les Turcs avec un sultan comme héros (Maometto II). On sent qu’à chaque nouvel opéra Rossini proposait un sujet entièrement nouveau. On pourrait y voir un certain esprit de contradiction, mais le compositeur semble bien avoir encouragé ses librettistes à rester fidèle à leurs sources.

Otello démarre comme un opéra italien ordinaire, avec une intrigue qui ne doit qu’assez peu à Shakespeare, mais avec le remarquable dernier acte, le texte et la musique se rapprochent de leur source et transforment Desdémone en héroïne hors du commun (voir l’article de Christophe Rizoud : « Cinq clés pour l’Otello de Rossini »). Alors que les deux premiers actes ne nous donnent guère l’impression qu’elle forme avec Otello un couple romantique (ils n’ont pas de duo), Rossini nous offre ensuite, en plaçant Desdémone au centre de la scène au dernier acte, une héroïne bien plus complexe que ce n’était en général le cas à l’époque. Otello exploite aussi le vivier de ténors alors disponible, avec des duos pour Iago (créé par Giuseppe Ciccimarra) et Rodrigo (Giovanni David), et pour Otello (Andrea Nozzari) et Rodrigo. Ce dernier duo est ensuite développé en un admirable trio avec l’arrivée de Colbran en Desdémone.

Cette mise en avant des talents de la Colbran allait se poursuivre dans Armida où Rossini écrivit le plus long et le plus complexes de tous les rôles féminins de toute sa carrière, joint à un acte central étonnamment fluide (dans le domaine de la magicienne), incluant un grand ballet qui préfigure la scène de la Gorge aux loups dans Le Freischütz. L’œuvre contient aussi ce qui est peut-être le seul trio pour ténors dans l’opéra italien du XIXe siècle.

Même si Rossini prit grand soin des airs de Colbran dans Mosè in Egitto, on n’y retrouve pas cette impression de mise en relief de la soprano ; il préféra souligner la grandeur cinématographique du récit biblique. Mais il dut s’y reprendre à deux fois, car la première version de cet opéra fut un échec, qu’il réécrivit et remonta un an après.

C’est dans Ermione que l’on découvre à quel point Rossini était prêt à développer le drame. Au lieu de proposer une conclusion bien nette, comme c’était la coutume dans un opéra italien, qu’il soit comique ou sérieux, le livret laisse tout en suspens, reflétant le trouble politique de l’original. A la fin de l’opéra, le premier ténor, Nozzari (Pyrhus) est mort ; le deuxième ténor, David (Oreste), s’est enfui ; Colbran (Hermione) est laissée pour morte. Auparavant, elle a passé presque tout le dernier acte en scène, par un remarquable tour de force théâtral qui s’approche plus du drame en musique que tout ce que Rossini a pu écrire. Cette œuvre ne fut guère appréciée, et Rossini ne la reprit jamais. Il n’en parle pas dans sa correspondance, ce qui indique peut-être que l’échec lui fut douloureux.

Avec La donna del lago, on revient à un cadre plus conventionnel, à l’intérieur duquel le texte de Walter Scott semble néanmoins avoir inspiré à Rossini certaines de ses pages les plus romantiques. Le poème de Scott était très connu, ayant été publié à peine neuf ans avant la première de l’opéra. Rossini et son librettiste auraient pu en tirer quelque chose d’extrêmement convenu, mais l’on a affaire à un drame très poétique dont l’héroïne, Elena, est très loin des grandes dames qu’interprétaient d’habitude les sopranos. Elena n’est qu’une humble jeune fille écossaise, mais elle brille par sa simplicité et sa franchise.

Maometto II allait encore plus loin en choisissant une basse pour héros, et Rossini y prit également des risques d’ordre structurel. Avec son terzettone de 25 minutes et son final où la Colbran est au centre de la scène pendant 40 minutes, cette œuvre semble étirer l’opera seria jusqu’aux limites de la forme. Rossini ne serait plus jamais aussi audacieux, et lorsqu’il reprit Maometto II à Venise en 1822, il en écarta certains passages trop aventureux.

Et après Naples ? Semiramide, son dernier opéra italien, est bien plus conventionnel et connut un certain échec puisqu’il ne put mettre en valeur le talent d’une Colbran désormais en plein déclin. Avec son installation en France, Rossini allait entrer dans un tout autre univers, et son Guillaume Tell montre comment il sut assimiler et s’approprier le grand opéra à la française.

* Robert Hugill est un compositeur, chanteur et journaliste britannique passionné d’opéra. Plus d’informations sur www.planethugill.com.

 
 

 
 

 

Gioachino Rossini
 

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