Aida sans les élucubrations des metteurs en scène et les querelles de genre et de blackface, c’est possible au disque où l’on peut l’imaginer à son choix. Reste à mettre musique et voix sur ses fantasmes et ses souvenirs. C’est là qu’intervient l’inévitable subjectivité personnelle : beauté du chant, plénitude orchestrale, qualité technique de l’enregistrement, souvenirs personnels de représentations à la charge émotionnelle intacte malgré le temps qui passe ? Il est bien difficile de pouvoir regrouper tous ces critères sur un seul enregistrement. Pourtant, celui de Riccardo Muti (1974) est pour moi celui qui, malgré ses 50 ans, propose un maximum des critères évoqués, et d’abord pour ses interprètes. Montserrat Caballe est ici au sommet de son art, dans le rôle-titre qu’elle chante sur scène dans les mêmes années, notamment à Barcelone et à Londres, et dont on retrouve les ineffables notes allégées et filées à l’infini. De son côté, Fiorenza Cossotto, que j’ai beaucoup entendue dans le rôle d’Amnéris en Italie à la fin des années 1960, n’a peut-être plus ce velours de voix sur la colonne d’air qui la rendait si unique et saisissante, mais brille toujours par la puissance et la véhémence. Placido Domingo est d’une vaillance exceptionnelle, même s’il ne fait pas la note finale morendo du « Celeste Aida » comme, à la même époque, la réussissait si bien – les bons jours – Franco Corelli. Piero Cappuccilli, Nicolaï Ghiaurov et Luigi Roni complètent cette exceptionnelle distribution. C’était le premier enregistrement en studio de Riccardo Muti, et certainement le chef a-t-il été de ce fait particulièrement attentif pour que l’exécution soit la plus proche possible, dramatiquement parlant, d’une représentation en public. Donc, non qu’il n’y ait pas aujourd’hui d’excellents enregistrements avec les plus grandes vedettes actuelles, mais celui-ci reste l’un des plus équilibrés et convaincants.
La technique de l’enregistrement stéréo est ici à son plus haut niveau, rarement égalé aujourd’hui (écouter bien sûr la version vinyle d’origine, non remasterisée !), et constitue le plus beau reflet sonore des grandes représentations d’Aïda que l’on pouvait applaudir à cette période aux Arènes de Vérone ou aux Thermes de Caracalla.
Montserrat Caballé (Aida), Plácido Domingo (Radamès), Fiorenza Cossotto (Amneris), Piero Cappuccilli (Amonasro),Nicolai Ghiaurov (Ramphis), Luigi Roni (Il Re di Egitto), Esther Casas (Una Sacerdotessa), Nicola Martinucci (Un Messaggero).
New Philharmonia Orchestra et Chœurs du Royal Opera House, Covent Garden, sous la direction de Riccardo Muti.
Enregistré 2-9 et 11 juillet 1974 au Walthamstow Assembly Hall (Londres).
Le copyright de cet enregistrement sonore est la propriété d’EMI Records Ltd.