On l’a suffisamment répété : Maria Callas n’aimait pas franchement le rôle de Floria Tosca. Elle l’incarne pourtant avec une intensité dramatique inouïe, passant de la jalousie amoureuse à la tragédie sacrificielle avec une vérité bouleversante. À ses côtés, Di Stefano est un Cavaradossi ardent et lumineux, capable des couleurs les plus désarmantes (“Quale occhio al mondo” au I, “E lucevan les stelle“ au III) comme d’un héroïsme qui, on le sait, le poussait dans ses retranchements (“Vittoria, vittoria” du II), tandis que Gobbi livre un Scarpia glaçant de cruauté, d’une noirceur fascinante de sadisme décomplexé. À la tête de l’orchestre de la Scala, Victor de Sabata est assurément celui par qui le miracle put se produire : perfectionniste comme sa protagoniste (qu’il connaît bien : leur Macbeth captée live à la Scala fait aussi partie des disques à posséder dans sa discothèque idéale…), il cisèle chaque détail de la partition avec gourmandise, attentif aux moindres couleurs, à la tension dramatique dont il sait doser les excès sans tomber dans l’expressionnisme, offrant un exemple parfait de théâtre sonore – auquel n’aura finalement manqué que la profondeur d’une prise de son stéréo. Rarement l’opéra a connu au disque un tel équilibre, une si parfaite fusion entre intensité, urgence dramatique et respect stylistique. Plus de soixante-dix ans après, ce témoignage demeure pour beaucoup la Tosca idéale.
Maria Callas (Tosca), Giuseppe Di Stefano (Cavaradossi), Tito Gobbi (Scarpia)
Orchestre et Chœur de la Scala de Milan
Dir. Victor de Sabata
WARNER (1954)