Krzysztof Warlikowski adore tirer sur un fil pour détricoter une œuvre. Parfois, il re-tricote ensuite, d’autres fois non. Ses Contes d’Hoffmann donnés à La Monnaie de Bruxelles sont l’exemple même de la destruction totale, bêtement systématique, qui fait qu’à la fin on a tout perdu de l’œuvre, l’histoire, la musique et la continuité. La représentation du 14 décembre s’est déroulée dans un silence consterné, lourd de non-dits (seulement trois ou quatre timides applaudissements pendant toute la représentations). Personne n’a sifflé (les Belges ont trop de dignité), même quand avant le final une longue scène de remise d’un Oscar à la Stella, digne du théâtre paroissial de Trifouilli-les-Oies, mal écrite et mal jouée, a mis toute la salle dans l’embarras. On n’avait alors plus qu’une seule idée, crier « Musique » ou « Remboursez ! », ou fuir…
En deux mots, ces Contes ont été transposés dans le monde du cinéma des années 50 ou 60 : on a vu cela mille fois, adapté à plein d’autres opéras, c’est de prime abord lassant, et n’a rien de « fantastique ». Hoffmann est un réalisateur lutinant les actrices (c’est bien d’actualité), et pour que l’on comprenne bien, il est en caleçon et marcel pendant une partie de la représentation (sans doute Warlikowski imagine-t-il ainsi Hitchcock ou Cecil B. DeMille), le tout avec des intermèdes parlés sans rien à voir avec l’œuvre d’Offenbach, mettant ce parti pris en situation. Et ni le décor (avec des projections totalement incompréhensibles censées illustrer le répertoire cinématographique de l’époque) ni les costumes n’arrangent quoi que ce soit.
Restait la curiosité de découvrir la partition « la plus complète jamais jouée », l’édition critique Michael Kaye et Jean-Christophe Keck, avec plein d’ajouts de nouvelles mesures. Là encore, le résultat est peu convaincant, surtout pour le prologue, où les lignes musicales partent un peu dans tous les sens, à l’image de la mise en scène. Une direction d’orchestre plate et sans allant d’Alain Altinoglu, et le tour est joué, on est vite déconnecté, on pense aux anciennes versions et l’on réfléchit à celle que l’on préfère…
Quant aux chanteurs ? Ils ont bien du mérite, mais qui a présidé à leur choix ? Patricia Petibon sauve la mise par son jeu, mais ne peut plus chanter l’extrême aigu d’Olympia, donc saute les notes périlleuses ; elle n’a rien non plus d’une Antonia, et le début d’« Elle a fui la tourterelle » fait trembler ; reste Giulietta, pour laquelle elle n’a quand même pas la voix de mezzo qui conviendrait. Eric Cutler a une voix trop jolie et une interprétation très musicale, mais certainement pas la puissance d’un Hoffmann. Les incarnations du diable de Gábor Bretz ne font peur à personne, pas même aux enfants. Sylvie Brunet (la mère) écrase d’une voix forte l’ensemble de la distribution. Il n’y a guère que les belles prestations de Michèle Losier (Nicklausse/la Muse) et de Loïc Félix (les quatre valets) qui réveillent un semblant d’intérêt… Morne soirée !…
NDLR : Forum Opéra publiera un compte rendu plus détaillé de ces Contes d’Hoffmann bruxellois dans leur deuxième distribution