Dernier chef-d’œuvre de Vincenzo Bellini, succès dès sa création en 1835, I Puritani n’avait pas encore eu, en ce XXIe siècle, les honneurs d’un enregistrement en studio. C’est désormais chose faite avec cette intégrale justifiée à elle seule par la présence de Lisette Oropesa en Elvira.
La soprano étatsunienne est ici sur ses terres d’élection : le belcanto virant au romantisme italien. Son Elvira est bien sœur de sa Lucia di Lammermoor, racée, fine, touchante dans les plus légères inflexions mélancoliques de son timbre fruité. Si son registre suraigu est moins aisé, moins évident qu’il y a quelques années, état de fait dont « Son vergin vezzosa » pâtit, sa technique est toujours d’une maîtrise bluffante. Dès le duo d’Elvira et Giorgio, elle se joue avec une facilité déconcertante des vocalises frénétiques de « Sai com’arde in petto mio », anonçant la folie à venir du personnage, puis de la cabalette « A tal nome, al mio contento » avec un élan irrésistible. Ses deux scènes de folie sont tout aussi séduisantes. Sensible, simple, Oropesa touche par la pureté de sa ligne toute bellinienne dans « Oh, vieni al tempio » comme dans « Qui la voce sua soave ». On est face à une grande interprétation qui méritait amplement d’être gravée, et qui donne hâte d’entendre sa Lucia, enregistrée en studio cet automne.
Lisette Oropesa trouve en Lawrence Brownlee un partenaire digne d’elle. Un peu tendue dans le redoutable « A te o cara », le ténor s’épanouit dès sa scène avec Enrichietta, dans laquelle il se montre plein d’énergie. Dans le duo du troisième acte avec Elvira, il déploie toute la suavité d’un timbre mordoré et d’un chant privilégiant le legato et la douceur. Son interprétation s’accorde bien à l’Elvira fougueuse de Lisette Oropesa, notamment dans un « Vieni fra queste braccia » enlevé. On regrette tout de même un peu que l’occasion n’ait pas été saisie de graver « Se il destino a te m’invola », le trio d’Arturo, Riccardo et Enrichietta, mettant très en valeur le ténor. Coupé la veille de la création pour des raisons de longueur qui se posent avec moins d’impératif au CD, on aurait aimé entendre Brownlee l’interpréter.
Face à ce beau duo principal, les clefs de fa sont un peu en retrait. Probe, soigné le Giorgio de Riccardo Zanellato est très bon dans les ensembles et duos où sa clarté de diction, la noblesse de son chant sont de bel effet. Mais son « Cinta di fiori » pourrait être plus sensible. Peut-être son vibrato un peu large empêche-t-il de goûter tout à fait la beauté de cet air tout en legato. Quant au Riccardo d’Anthony Clark Evans, il manque quelque peu d’élégance. Le passage vers l’aigu, certes joli, se fait systématiquement en force et les vocalises sont encombrées d’air entre les notes, ce qui est tout à fait regrettable. Il s’accorde en revanche très bien avec Riccardo Zanellato. À deux, ils font un magnifique accompagnement au « Oh vieni al tempio » déchirant de Lisette Oropesa. Chez les comprimari, on remarque surtout le joli ténor clair de Simeon Esper en Sir Bruno parmi un ensemble de bonne tenue.
Dans un opéra où les forces chorales constituent un protagoniste de premier plan, le MDR-Rundfunkchor s’illustre par un vrai engagement dramatique. Il est saisissant dans le final du premier acte, où les soprani se distinguent tout particulièrement avec un son superbe dans leur accompagnement de « Oh vieni al tempio ». À la baguette, Riccardo Frizza emmène le Dresdner Philharmonie avec fougue, créant de belles atmosphères nocturnes et troubles, notamment dans l’introduction du deuxième acte « Ah, dolor! Ah, terror! ».
Belle intégrale soignée, ces Puritani méritent incontestablement qu’on leur face place dans la discographie bellinienne.