Publiée à l’occasion des commémorations du 150e anniversaire de la mort d’Hector Berlioz (1803-1869), cette courte biographie par l’ethnomusicologue, Bruno Messina, directeur du Festival Berlioz, réussit un tour de force. Riche de tout son savoir à travers une bibliographie pléthorique, l’auteur ne se contente pas de décrire et de commenter à nouveau un parcours hors du commun. Il éclaire, met en perspective, propose des explications.
Après une introduction qui nous place au cœur du sujet, Bruno Messina peint, en vingt-six tableaux sous forme de pochades, un portrait impressionniste de ce génie musical mal aimé. Enfance à La Côte Saint-André sur la rude terre de ses ancêtres où la danse et la chasse lui apprennent à toujours avancer. Futures sources d’inspiration trouvées dans la bibliothèque paternelle. Premier émoi amoureux qui restera inaltérable. Rudiments de pratique musicale à travers le flageolet, la flûte, puis la guitare. Puis, baccalauréat ès lettres en poche, débarquement à Paris en diligence sous prétexte d’étudier la médecine. Dégoûté par la saleté et la misère de la ville, horrifié par les dissections de cadavres, Hector trouve le salut en découvrant l’orchestre de l’Opéra, rue Le Peletier. Le 26 novembre 1821, il assiste à Iphigénie en Tauride de Gluck. Messina écrit : « Sidéré devant tant de beauté, les décors, les voix – dont celle du ténor Adolphe Nourrit – et un orchestre de quatre-vingts musiciens, il pleure, il tremble… À partir de là « Berlioz avance seul, en aventurier, avec pour boussole ses intuitions et les rudiments de solfège légués par son père et les modestes professeurs de son adolescence […] Il apprend la musique en se plongeant dans les partitions […] sans rien connaître, ou presque, du timbre des instruments, du grain des voix, des sonorités de l’orchestre ».
Sa rencontre décisive avec Jean-François Lesueur qui reconnaît en lui le génie lui permet de s’introduire dans la sphère musicale parisienne. Après l’immense succès de La Messe solennelle – produite et dirigée lui-même – Berlioz se soumet un temps à l’enseignement du Conservatoire qu’il rejettera rapidement, non sans avoir concouru cinq fois au Prix de Rome avant de réussir à convaincre le jury de lui attribuer le premier prix. Pour lui, comme pour Gluck, « Il n’est aucune règle, […] la musique est émancipée. Elle fait ce qu’elle veut ». Sur la scène de l’Odéon, Hector, admirateur éperdu de Shakespeare, découvre Harriet en Ophélie. Il est foudroyé. On connaît la suite de ses multiples tourments amoureux qui s’entrecroisent avant qu’il ne retrouve tardivement l’Estelle qui a ébloui sa jeunesse. Berlioz n’a-t-il pas terminé ses Mémoires en nous disant : «… l’amour ne peut pas donner une idée de la musique, la musique peut en donner une de l’amour […] ce sont les deux ailes de l’âme.» ?
Compositeur avant tout, mais aussi orchestrateur, arrangeur, chef d’orchestre reconnu dans un répertoire allant de Haendel à Weber en passant par Beethoven, Gluck et même Rossini… Également écrivain brillant, sachant manier l’humour caustique – il se fait journaliste pour subvenir à ses besoins matériels. Comme l’écrit Bruno Messina, Berlioz semble vivre « en exil dans son propre pays » où on lui barre la route et où il a un mal fou à faire entendre sa musique durablement dans de bonnes conditions. L’immense succès en 1837 de sa Grande messe des morts est suivi peu après par le fiasco de Benvenuto Cellini. Pour se faire apprécier, il doit voyager à l’étranger. Franz Liszt l’épaule en Autriche, Mendelssohn est son ami, l’Angleterre et la Russie lui ouvrent les bras. Surtout, Paganini lui apporte un soutien financier considérable qui le sauve. Même Les Troyens, son ultime et immense chef-d’œuvre lyrique, aujourd’hui universellement reconnu comme novateur à son époque, n’a pas été représenté de son vivant dans son intégralité.
Prise par Nadar en 1860, neuf ans avant la disparition de Berlioz épuisé, la poignante photographie illustrant la couverture de ce livre écrit pour célébrer son génie montre un homme amaigri, le regard morne, la bouche amère.