Dernier opéra de Donizetti créé du vivant de celui-ci, Caterina Cornaro connu un échec cinglant lors de sa première napolitaine. Absent pour préparer celle-ci, le compositeur opéra quelques révisions pour Parme où l’ouvrage connut le succès avant de sombrer dans l’oubli. Lors de la Donizetti Renaissance des années 70, Leyla Gencer vengea par son triomphe le fiasco de la première dans le théâtre même où l’ouvrage avait échoué (pour une analyse détaillée de cette œuvre, on consultera avec profit le dossier réalisé par Yonel Buldrini). Malgré cette revanche posthume, force est de reconnaître que Caterina Cornaro n’offre pas les mêmes richesses que les chefs d’œuvre les plus populaires du Maître de Bergame, la seconde partie étant sensiblement plus intéressante que la première, un peu convenue. D’ailleurs, si d’autres ouvrages ressuscités après guerre, comme Anna Bolena ou Lucrezia Borgia, continuent à être montés de temps à autres, celui-ci reste une rareté. Sans doute faut-il rechercher dans une composition chaotique les raisons de ce relatif manque d’inspiration : Donizetti commença à travailler sur l’œuvre en 1842 (en même temps qu’il composait Don Pasquale, chef d’œuvre de l’opéra-bouffe !), l’abandonna puis l’acheva pour respecter un engagement auprès du San Carlo de Naples (un Ruy Blas qui ne verra jamais le jour).
L’intrigue nous compte les malheurs de Caterina Cornaro, mariée de force (du fait d’intrigues vénitiennes) à Lusignano, roi de Chypre, alors qu’elle aime et est aimée de Gerardo, un jeune noble français. Caterina ayant été obligée de mentir sur les raisons de ce mariage, Gerardo qui se croit trahi est devenu Chevalier de la Croix. A Chypre, Lusignano est lentement empoisonné par les espions vénitiens. Le complot est découvert, les vénitiens attaquent Chypre, défendue par son roi et par le chevalier qui ont enfin compris la situation. Le roi meurt ; Gerardo part pour Rhodes (à Naples) ou meurt au combat (à Parme) ; Caterina devient reine. Notons que cet enregistrement propose très intelligemment les deux finals.
Jusqu’à présent, nous ne disposions guère que des témoignages sur le vif de Leyla Gencer, Montserrat Caballé et quelques rares autres. Ce premier enregistrement studio vient donc compléter avantageusement une discographie quasiment inexistante, les live commercialisés étant toujours coupés. Pour l’occasion, Opera Rara s’est entouré d’une distribution de jeunes chanteurs. Déjà présente dans l’enregistrement d’Il Pirata par cette même firme, Carmen Giannattasio peine à faire oublier ses illustres devancières. Certes, on retrouve un chant poli, propre, un beau phrasé, une technique belcantiste réelle, une authentique italianità, mais le timbre est un peu quelconque, avec peu de variations de couleurs, et surtout l’interprète manque de cette folie sans laquelle il n’y a pas de vraies divas du bel canto : ni suraigus, ni pianissimi extatiques, ni variations audacieuses … Rien qui ne viennent soulever l’enthousiasme. L’air d’entrée fait penser à une Mimi de Puccini égarée chez Donizetti, et il faut attendre les duos, en particulier avec Gerardo, pour retrouver un peu d’électricité dans l’air. Ce dernier rôle est tenu par l’excellent Colin Lee, certes plus rossinien que donizettien, mais qui a le mérite d’assumer sans effort apparent une tessiture particulièrement éprouvante, d’être constamment musical et dramatiquement impeccable. Certes, on a entendu des timbres plus riches, un style plus authentiquement italien, mais rarement associé à une telle précision dans les vocalises et à un suraigu confondant d’aisance (quand on entend son magnifique contre ré à la fin de sa cabalette, on regrette que le chef ne lui ait pas accordé davantage de libertés ailleurs). Le baryton américain Troy Cook incarne un roi de Chypre stylé, d’une bel maîtrise belcantiste et lui aussi capable de camper un personnage crédible sous toutes ses facettes quelque peu contradictoires (quoique faisant preuve de grande noblesse dans ses derniers instants, Lusignano n’était pas gêné d’épouser Caterina contre son gré !). On ne mentionnera pas dans le détail les autres interprètes, globalement impeccables : c’est toujours un vrai plaisir d’entendre les rôles de comprimari incarnés par de bons chanteurs, surtout quand ils sont jeunes, plutôt que par des routiers de troupe un peu décatis comme cela arrive trop souvent à la scène. En spécialiste de ce répertoire, David Parry offre une direction bien équilibrée, théâtrale, attentive aux chanteurs, mais il est regrettable que la prise de son donne une certaine lourdeur à l’orchestre de la BBC, aux couleurs un peu monotones (techniquement, on songe à des enregistrements anciens de chez Opera Rara : or, les prises de son ont fait des progrès depuis). Dommage aussi que davantage de libertés ne soient pas donnés aux interprètes : même du vivant de Donizetti, les chanteurs ne suivaient pas l’édition critique !