Voici un enregistrement dont le programme, exceptionnel, s’articule autour de la Totentanz de Max Reger, à laquelle il emprunte son titre « Dance of Death ». Cette ample pièce de la Geistliche Chormusik (1934) est inspirée par une Danse macabre de 1463 – dont l’original a été détruit par les bombardements en 1942, année où Distler se suicide pour échapper à son incorporation militaire. Une épidémie de peste en est le sujet. « Une farandole menée par des morts aux corps sombres et décharnés, à peine revêtus de linceuls blancs. En tête du cortège, devant les clercs, un mort un peu différent, coiffé d’un beau chapeau, sablier sous le pied, et jouant d’une flûte parée d’un bandeau noir. Suivent le pape, l’empereur, l’impératrice, le cardinal, le roi, l’évêque, le duc, l’abbé, le chevalier, le chartreux, le maire, le chanoine, le noble, le médecin, l’usurier, le chapelain, le fonctionnaire, le sacristain, le marchand, l’ermite, le paysan, le jeune homme et la jeune fille, l’enfant dans son berceau. Âmes au destin similaire, qu’ils possèdent tiare, crosse, bourse ou qu’ils ne possèdent rien ». Quatorze aphorismes, où les personnages dialoguent avec la mort. L’influence de Leonhard Lechner, élève de Lassus à la Cour de Bavière, comme celle de Schütz, est parfois avancée (1). L’ouvrage est puissant et fascine. Il est très rare (2), malgré ses éminentes qualités, les enregistrements, confidentiels, se comptent sur les doigts d’une main, tous réalisés avec des formations allemandes. Non seulement la qualité proprement musicale de l’interprétation est exemplaire, mais il faudrait certainement une oreille très avertie pour distinguer l’allemand chanté de celui de choeurs germaniques. Seul regret, la partie du récitant est donnée en anglais, ce qui interroge. Cette seule œuvre, magistrale, justifierait l’acquisition du CD, malgré ses textes parlés. Ici, rien ne distingue le chœur de Wroclaw des meilleures formations d’Outre-Rhin.
C’est Brahms, dans l’un de ses sommets – le grand motet Warum ist das Licht gegeben dem Mühseligen [pourquoi la lumière est-elle donnée aux malheureux] – qui ouvrait le programme. Immense polyphonie, de 4 à 6 voix, au plus riche contrepoint, au service d’une expression chargée d’émotion. Après les textes bibliques qui en sont le support, le choral Mit Fried und Freud ich fahr dahin, dans la grande tradition luthérienne, permet d’achever dans l’espoir et la confiance. La dynamique et la conduite des phrases, la pureté d’émission, les aigus des sopranes, les unissons (S-T et A-B) n’appellent que des éloges.
La flûte solo étant requise dans la Totentanz de Reger, la sarabande de la Partita en la mineur pour traverso, de Bach, marque heureusement la césure avec le O Tod, wie bitter bist du, célèbre motet à 5 voix de Max Reger. Le recueillement accablé est bien traduit, sans effacer de notre mémoire ce que des versions concurrentes nous offrent. L’ancien chef de la Maîtrise de Notre-Dame et du Chœur de l’Orchestre de Paris, Lionel Sow, qui a pris les rênes de l’ensemble polonais en septembre 2021 en a fait une phalange dont la renommée va grandissante, non seulement dans son répertoire d’origine, mais aussi dans les œuvres les plus redoutables de la grande polyphonie germanique, de Brahms à Distler.
L’enregistrement, réalisé à destination du public polonais et anglo-saxon, est accompagné d’une belle et riche brochure où le lecteur découvrira les traductions, mais le français en est exclu.
(1) Un CD de label Valve associe les Deutsche Sprüche von Leben und Tod, de Lechner, à la Totentanz (dir. Stefan Weiler). (2) A la tête du même ensemble, Lionel Sow, l’avait offert au Festival Berlioz, en août 2024, avec Lambert Wilson comme récitant (Noir, c'est noir ). En 2022, c’était avec le Chœur de Radio France, Abd Al Malik récitant, et Juliette Hurel comme flûtiste, que notre chef l’avait déjà donnée à Paris. Le 10 juin prochain, au temple de l’Oratoire du Louvre, il reprendra le programme du CD (avec Górecki, Penderecki et Philippe Hersant, substitués à Brahms), à la tête du NFM Choir de Wroclaw. Mais, cette fois, ce sera Eric Ruf, narrateur, qui en dira le texte, en français, heureusement.