Debussy portait une affection toute particulière aux Belges : sa « Berceuse Héroïque » dédiée à « Sa Majesté le Roi Albert I de Belgique et à ses soldats » en est une illustration évidente. Et les Belges le lui rendent bien, comme en témoigne ce disque.
« Le Musicien de l’Amour », titre pour le moins surprenant, réunit des mélodies reliées à ce thème universel que l’on n’aurait pas d’emblée associé à celui que les dégoulinades romantiques écoeuraient.
Et pourtant, ce recueil, certes artificiel, nous montre que même s’il se fait pudique ou farouche, l’amour est omniprésent dans ces vingt-quatre mélodies – presqu’un alphabet. Il nous est présenté sous autant de facettes complexes que celles qu’on connait au compositeur-même. Le choix des textes, évidemment, ne pouvait laisser planer l’équivoque. Mais là où d’autres seraient tombés dans un prosaïsme condamnable, Debussy a déployé son génie de la suggestion raffinée.
Jan van der Crabben a toutes les qualités vocales requises pour la mélodie française : un timbre velouté doublé d’un vibrato discret, aucune attaque en force, une diction parfaitement intelligible sans être ampoulée et l’intonation qui ne fait jamais défaut. L’ensemble est d’ailleurs d’une remarquable tenue. Cependant, l’aigu parfois détimbré, en voix mixte ou en falsetto, et les sons blancs, signes généralement louables d’une interprétation élégante, rendent l’émission parfois un peu trop caricaturale. Ces effets récurrents trouvent plus d’adéquation stylistique dans le répertoire de musique ancienne. Ainsi par exemple, les « Fantoches » sont plus précieux que coquins ; « les gazons roux » de « En Sourdine » s’affadissent et « Le Promenoir des deux amants » expose un peu trop l’inconfort de son écriture. On aurait également aimé un peu plus de lyrisme dans « La mer est plus belle », de bravoure pour « Le temps a laissé son manteau » et de mordant pour « La Ballade des femmes de Paris ». De manière générale l’interprétation très distante de Jan van der Crabben nous donne l’impression au bout de quelques plages d’entendre la même mélodie, certes bien chantée mais ressassée, et force à la comparaison avec les Debussy de Souzay, tellement plus savoureux et charnels.
La balance très heureuse de la prise de son ne laisse pas le piano à l’arrière-plan. Tant mieux, car la caractérisation et la colorisation sont bien plus abouties chez la pianiste Inge Spinette. Extrêmement attentive aux détails d’écriture, elle cerne de manière délicieusement contrastée et juste les différentes ambiances de ces mélodies. Accompagnatrice chevronnée et partenaire de longue date de Jan van der Crabben, elle sait se montrer sensuelle dans « Beau Soir », fantaisiste et coquine dans « Mandoline » et enrobante dans les pages les plus lisses des Fêtes Galantes. « Le temps a laissé son manteau » nous montre qu’elle sait également quand il le faut, d’une main assurée et franche, prendre les rennes.