Il règne une joyeuse confusion entre les e muets, les é et les è, les syllabes nasalisées ne le sont pas, les voyelles ont parfois d’étranges couleurs… bref, le français qu’on chante sur ce disque est suffisamment exotique pour imposer qu’on se réfère en permanence au livret où figure le texte des poèmes. Et pourtant, ce récital est des plus précieux, car il accomplit un peu du travail colossal dont le label Timpani ne saurait se charger à lui seul. Faute d’être assurée par nos compatriotes, la défense et illustration de la mélodie française se fait en partie grâce à des interprètes étrangers plus ou moins bien équipés pour cette tâche. La mezzo polonaise Liliana Górska possède ainsi une belle voix bien timbrée, aux aigus clairs et au médium riche, mais ce serait lui tresser des lauriers immérités que de passer sous silence ses difficultés avec notre langue. Elle mérite néanmoins mille mercis pour avoir enregistré un disque consacré à Félix Fourdrain chez Acte Préalable. Evidemment, son compatriote Piotr Ejsmont ne rencontre pas les mêmes problèmes, le langage du piano étant plus universel.
Celui qu’il faut remercier surtout, peut-être, c’est Jan A. Jarnicki, né en 1954 à Varsovie, qui semble avoir à cœur de défendre non seulement les compositeurs de son pays, mais aussi tout un répertoire qui risquerait, autrement, de disparaître. Collectionneur de partitions, il a fondé en 1997 un label qu’il a baptisé (par francophilie ?) Acte Préalable et auquel il a donné pour devise cette phrase d’Henryk Sienkiewicz, auteur du roman Quo Vadis ? et prix Nobel de littérature en 1905 : « Afin que les oeuvres humaines accomplies durant les siècles ne se perdent pas dans la nuit de l’oubli, il est bon et juste de maintenir leur mémoire et de la léguer à la postérité ».
Le tour est donc venu de ressusciter la mémoire de Félix Fourdrain (1880-1923). Ici et là, quelques frémissements nous avaient indiqué un regain d’intérêt pour ce compositeur bien méconnu, qui eut le temps de produire beaucoup durant sa trop courte vie. Ici, c’étaient quelques savoureux extraits de sa féerie de 1913 Les Contes de Perrault ; là, c’était sa très orientaliste mélodie « Alger le soir ». Dans ses Impressions d’Orient, Chrystelle Di Marco aurait d’ailleurs pu y adjoindre « L’oasis », mais il faut bien dire que Fourdrain a sacrifié à tous les exotismes à la mode au tournant du siècle, évoquant aussi bien le Japon que la Bretagne ou l’Alsace. Ces compositions délicieusement post-debussyste ne révolutionnent évidemment pas l’histoire de la musique, mais elles donnent encore un peu plus envie de découvrir la production lyrique de Fourdrain, même si son prétendu chef-d’œuvre (Opéra-Comique, 1903) porte le titre peu engageant de La Légende du point d’Argentan…