Into the Little Hill (2006) et Picture a day like this (2023) sont respectivement le premier et le dernier opéra en date du compositeur britannique George Benjamin. L’Avant-Scène Opéra consacre un numéro à ces deux œuvres lyriques qui s’inscrivent désormais dans le répertoire. Picture a day like this était à l’affiche de l’Opéra Comique au mois d’octobre.
Dans son introduction, le musicologue Pierre Rigaudière souligne la cohérence de l’œuvre lyrique de Benjamin ainsi que les nombreux points communs entre les quatre opéras qui existent à ce jour et dont les livrets sont tous de la plume du dramaturge Martin Crimp. En effet, les intrigues des deux œuvres présentées par l’Avant-Scène partagent le même potentiel politique, une démarche allégorique et le motif de l’enfant comme catalyseur des événements.
De quoi s’agit-il ? Into the little hill est une adaptation de la légende allemande Le Joueur de flûte de Hamelin : un mystérieux étranger propose de mettre fin à une invasion de rats dans la ville de Hamelin, et disparaît avec les enfants locaux lorsque, une fois la tâche accomplie, le maire lui refuse la rémunération promise. Crimp double cette histoire d’un enjeu politique, mettant en avant le comportement opportuniste du maire, qui pense essentiellement à sa réélection.
Dans Picture a day like this, une femme vient de perdre son enfant et doit « trouver avant la nuit une personne heureuse et lui prendre un bouton de sa manche pour que son enfant revive ». Dans sa quête, elle rencontre plusieurs personnages en apparence heureux, mais en vérité tourmentés par des problèmes psychiques et relationnels. Si elle obtient finalement le bouton recherché, celui-ci ne lui est d’aucun secours ; elle comprend par là même que le temps ne peut être inversé.
Selon la tradition de l’Avant-Scène, un guide d’écoute est d’abord proposé pour chacun des deux œuvres. Cette partie, qui constitue la moitié de la revue, a le mérite d’être détaillée, tout en étant d’une lecture agréable, et de faire un lien entre narration et structure musicale en s’appuyant sur de brefs exemples musicaux, consultables via une application.
Ensuite, quatre essais approfondissent certains aspects des opéras. Élisabeth Angel-Perez en relève le sous-texte politique et initiatique, le rôle crucial des femmes à la fois porte-voix de tous et symbole de l’humanité en détresse. Hélène Cao analyse les notes et esquisses que Benjamin a communiquées à l’Avant-Scène à titre exceptionnel – ce sont là des pages particulièrement passionnantes. Raphaëlle Blin, experte en termes de dramaturgie et de mise en scène, livre une réflexion sur le lien entre Benjamin et Crimp d’un côté, et les metteuse et metteur en scène Marie-Christine Soma et Daniel Jeanneteau de l’autre, pointant le caractère complémentaire de leur collaboration ainsi que leurs méthodes de travail dans une approche psychologique de la musique. Enfin, Marianne Massin développe sur les thèmes de l’espérance et de l’échec, le climat ambivalent des œuvres où tout semble « susceptible de réversibilité » malgré les faits prétendument définitifs, engendrant une temporalité entre boucles obsessionnelles et continuité.
Une disco-vidéographie succincte (Pierre Rigaudière) ainsi qu’un synopsis des représentations et données techniques des deux opéras (Aurianne Bec) concluent la revue. Celle-ci s’adresse autant aux mélomanes qu’à un public d’experts et permet la découverte – sous plusieurs angles – de deux œuvres importantes de l’opéra contemporain, proposant des informations tous azimuts. Un ouvrage intéressant et stimulant en cette fin d’année.