Le titre passe-partout « Slavic Opera Arias » pourrait ne pas attirer outre mesure l’attention du mélomane distrait. Et pourtant, Krassimira Stoyanova nous livre ici un récital assez exceptionnel qui vaut largement que l’on y accorde une attention toute particulière. La soprano bulgare possède une voix au timbre plutôt sensuel et une maîtrise du souffle incroyable dont elle se sert comme d’un moyen expressif supplémentaire. Ajoutez à cela un (superbe) registre grave qu’elle va chercher sans aucune difficulté et vous aurez un aperçu global de ses atouts techniques. Il ne manque à cette froide description que la principale qualité de Stoyanova : son intelligence musico-dramatique hors normes.
Dans l’interview qui fait office de notice, la cantatrice explique que, comprenant le russe, elle peut se dispenser de passer par quelque traduction que ce soit dans ce répertoire. Dès l’air de la lettre de Tatiana (Eugène Onéguine), on la sent effectivement en prise directe avec ce qu’elle chante. Et son interprétation d’offrir une vision bien structurée de la logique dramaturgique du passage en question. Son complice, le chef Pavel Baleff assure de main de maître la continuité du flux musical du passage. On retrouve la même intelligence dans la conduite du discours des autres extraits de Tchaïkovski et, de manière particulièrement remarquable, tout au long du Ne málo vrémeni de Borodine.
La musique tchèque est ici représentée par Smetana et Dvořák, formidablement rendus eux aussi. Si le charisme mature (et maternel ?) de Stoyanova nous présente une Rusalka ayant de la « bouteille » et ôte toute forme de naïveté au personnage, il est difficile de ne pas succomber au charme vocal et à l’expressivité de la soprano, superbement accompagnée, là encore, par un Baleff tirant de son orchestre de magnifiques reflets aquatiques (Měsičku na nebi hlubokém). Toujours chez Dvořák ; soulignons la belle interprétation de la prière de Xenie (Dimitri) qui permet à la soprano de dérouler son élégant legato et de prouver encore et toujours sa maîtrise du souffle.
Si l’autre prière, celle de Marie Desislova de l’opéra éponyme de Parashkev Hadjev est rendue avec un subtil mélange de recueillement et de ferveur intense, l’esthétique du compositeur bulgare apparaît comme bien démodée pour une page qui date de… 1981 !. Au rayon des morceaux plus « légers », épinglons le petit extrait de Snegourochka (Rimsky-Korsakov) qui permet à Stoyanova de déployer son agilité virtuose et de se glisser habilement dans la peau de ce personnage merveilleux.
Tout au long du programme, l’orchestre munichois prouve qu’il est à la hauteur de l’enjeu. Et puisque Pavel Baleff met toute son expérience de l’opéra au service des partitions qu’il aborde toujours de manière idiomatique, l’album semble réussi à tous points de vue. Manque juste une traduction des textes, uniquement fournis dans leurs langues originales et en translittération (pour le russe et le bulgare) mais comportant quelques erreurs dans les signes diacritiques du tchèque. Qu’à cela ne tienne, le bonheur musical prime (de loin) sur la présentation…