La couverture – un cliché romantique des jardins à la française de William Christie, à Thiré – donne le ton : dans ces « jardins d’amour », on pleure beaucoup, on s’arrache les cheveux et le cœur, mais toujours avec grâce…Aucun inédit au menu de ce copieux programme, qui cependant, en marge du tube ressassé qu’est la cantate « Cessate, omai cessate » de Vivaldi, aligne un certain nombre de pièces rares.
Le morceau de résistance en est sans doute la Medea in Corinto d’Antonio Caldara (déjà enregistrée par Gérard Lesne, Virgin, 1991) : Carlo Vistoli s’y affirme à nouveau comme l’un des plus expressifs contre-ténors de sa génération, avec ce timbre d’alto naturel, cette superbe technique et, par-dessus tout, cette éloquence, cette élocution incisives qui lui permettent d’exprimer la large palette d’affects convoqués par la partition, culminant dans un sidérant accompagnato.
Mais la cantate doit aussi beaucoup au violon prodigieusement coloré d’Emmanuel Resche-Caserta, dont les bariolages transfigurent la sinfonia d’ouverture comme l’aria « Avverti che il mio sdegno ». Le violoniste fait preuve de la même incandescence, aux côtés de son excellente collègue Augusta McKay Lodge, dans une Septième Sonate de Fontana ciselée comme un vitrail, où se marient la fougue baroque et les diminutions renaissantes. Et on se demande si l’ensemble du concert n’aurait pas gagné à être dirigé par Resche-Caserta, plutôt que par William Christie dont l’approche un peu décorative affadit les duos de Haendel (« Caro autor di mia doglia ») et de Steffani (« Aita, Fortuna »).
Elle sublime en revanche le tendre Andante de la Sonate en trio en Ut mineur du Saxon, ainsi que le « Sempre piango » de Bononcini, autre moment fort du disque. Autre pièce rare aussi (bien que déjà joliment gravée par le Cenacolo musicale pour Arcana, en 2014), qui mériterait le titre de cantate puisqu’entre deux poignants duos à la morbidezza toute italienne, elle confie une aria soliste à chacun des altos, dont l’un chante les plaisirs de l’amour et l’autre ses peines. La langueur convient mieux au chef que le drame et les voix des deux falsettistes se marient ici délicieusement, la lumière plus froide d’Hugh Cutting venant éclairer le sombre velours de Vistoli.
Issu du St John’s College de Cambridge, Cutting est le premier contre-ténor à avoir remporté le prix Kathleen Ferrier et, comme Vistoli, a été révélé en France par le si fécond Jardin des voix de Christie. Le timbre est pénétrant, frais, l’aigu apparemment facile mais son approche de « Cessate, omai cessate » ne convainc guère, faute d’un bas registre mieux sonnant et d’une diction plus mordante – il faut dire que la direction très rapide et superficielle ne l’aide pas à transfigurer une page où l’on a pu applaudir, entre autres, Andreas Scholl, Derek Lee Ragin, Gérard Lesne, René Jacobs, Tim Mead, Max Emanuel Cencic et, surtout, la bouleversante Sara Mingardo (Opus 111, 1997)…
Une balade contrastée, donc, au sein d’un jardin faisant alterner échappées divines et vues plus banales – un disque agréable, impeccablement produit (prise de son, notice), auquel on reviendra de temps en temps.